Les GI débarquent…

Le renforcement de la capacité militaire américaine sur le continent suscite la défiance d’une majorité de pays.

Publié le 20 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Les experts du département américain de la Défense le réclamaient à cor et à cri, ils ont enfin obtenu satisfaction. Depuis le 1er octobre 2007, le centre de commandement militaire des États-Unis pour l’Afrique (Africom) est opérationnel. Sa création a été officialisée par la Maison Blanche le 6 février 2007, et son commandement confié au général William « Kip » Ward le 10 juillet suivant. L’amiral Robert T. Moeller et l’ambassadrice Mary Carlin Yates l’assistent respectivement dans la conduite des opérations militaires et des activités civilo-militaires. Leur mission ? Rationaliser les opérations menées par les États-Unis en Afrique, en réunissant dans une seule et même structure tous les pays du continent – à l’exception de l’Égypte –, jusqu’à présent répartis dans trois commandements différents : le Central Command (CentCom), basé en Floride, le Pacific Command (Pacom), situé à Hawaii, et l’European Command (Eucom), installé à Stuttgart, en Allemagne. À terme, ce redéploiement permettra à l’Amérique de n’avoir plus qu’ « un commandant qui travaille avec les Africains quotidiennement, au lieu de trois différents qui ont chacun d’autres priorités relatives à leur région », affirme le sous-secrétaire à la Défense, Ryan Henry. La structure devrait pouvoir compter sur un millier d’hommes environ. Pour sa première année de fonctionnement, son budget s’élève à 75,5 millions de dollars.Actuellement en rodage à Stuttgart avant un transfert vers l’Afrique prévu pour le mois d’octobre 2008, Africom risque toutefois de rester basé au siège de l’Eucom bien plus longtemps que ne l’envisageait initialement Washington. Jusqu’à présent, en effet, aucun des pays africains approchés par les États-Unis pour accueillir le siège de leur commandement n’en a accepté le principe. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé : plusieurs délégations américaines se sont succédé sur le continent en 2007 auprès des dirigeants d’une dizaine de pays. Des voyages restés pour l’heure sans résultat : à ce jour, l’Algérie, la Libye et les quatorze pays membres de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), chaperonnés par l’Afrique du Sud, se sont même engagés à ne pas abriter la structure et ont appelé leurs voisins à en faire autant. Approché en raison des liens d’amitié qui unissent le président Wade et George W. Bush, le Sénégal aurait, lui aussi, refusé l’offre. Poliment… Cet unanimisme de façade ne répond pas, cependant, à une « position continentale » décidée par l’Union africaine. L’expérience prouve en effet que les Africains restent à ce jour incapables de s’entendre sur les grandes questions internationales comme la guerre en Irak ou la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Preuve, s’il en faut, que le continent ne parvient toujours pas à parler d’une seule voix : certaines capitales ont déjà choisi de faire cavalier seul. C’est le cas de Monrovia, notamment. État convalescent qui croit pouvoir consolider sa stabilité en accueillant des GI’s sur son sol, le Liberia a officiellement proposé au commandement américain de s’installer sur son territoire. Mais il n’est pas le seul. São Tomé et le Kenya – jusqu’à ce que l’élection présidentielle de décembre 2007 ne plonge ce dernier dans la crise – se seraient également portés candidats. Tout comme le Maroc, dont une rumeur persistante indiquait, en janvier dernier, qu’il s’apprêtait à accueillir la base américaine à Ras Dari, près de Tan-Tan, dans le sud du pays. À la mi-2007, le royaume avait pourtant emboîté le pas à l’Algérie et à la Libye et pris parti pour le camp du refus. Si les pays qui ne se sont pas encore prononcés restent nombreux, force est de constater qu’ils ne se bousculent pas au portillon pour abriter l’Africom. Parmi eux, beaucoup ne pourraient certes pas dire non à l’Amérique sans remettre en cause une vieille tradition de coopération. L’Éthiopie, à qui Washington sous-traite la pacification de la Somalie, l’Ouganda, qui reçoit chaque année l’une des plus grosses enveloppes de l’aide publique américaine à l’Afrique, ou encore le Mozambique et le Ghana sont, notamment, dans cette situation. Mais leur discrétion montre à quel point ils cherchent à éviter d’aborder la question de front. Bien que l’Afrique reste, sans doute, la région du monde où le sentiment antiaméricain est le moins prononcé – dans sa partie subsaharienne, en tout cas –, la plupart de ses dirigeants s’interrogent sur cet intérêt soudain de l’Amérique pour un continent qu’elle a délaissé pendant plusieurs décennies. Beaucoup de capitales ne croient pas aux déclarations de bonnes intentions de Washington, qui affirme que son nouveau commandement aura pour principal objectif le renforcement de la sécurité et la promotion du développement, de la santé, de la démocratie, de l’éducation et de la croissance économique en Afrique. Bien au contraire. Les Américains ont beau prétendre qu’ils n’ont pas l’intention d’installer de nouvelles bases permanentes, que leur présence sera « relativement modeste et discrète », qu’Africom comprendra une forte composante civile et humanitaire et que le souci de protéger les sources d’approvisionnement en énergie n’est pas la première de leurs préoccupations, l’Afrique reste dubitative.  D’Alger à Pretoria, la création d’un nouveau commandement régional US dédié au continent reste vécue comme une volonté des États-Unis de sécuriser les importantes ressources pétrolières de la région. Soucieux de réduire sa dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient, l’Amérique achète une part croissante de son brut en Afrique : alors que les importations américaines d’or noir en provenance du golfe de Guinée représentent aujourd’hui 15 % à 20 % de l’approvisionnement total du pays, elles pourraient grimper jusqu’à 35 % à l’horizon 2020… D’autres analysent plutôt ce prépositionnement militaire américain à l’aune de la concurrence que se livrent les plus importantes économies de la planète. À l’heure où la Chine occupe une place croissante dans les échanges commerciaux des pays africains, Africom pourrait constituer la première étape d’une stratégie beaucoup plus vaste, dont l’objectif suprême serait de concurrencer les partenaires traditionnels du continent – France et Grande-Bretagne, notamment –, d’endiguer l’expansion de Pékin en Afrique et d’empêcher les géants économiques de demain – comme l’Inde ou le Brésil – de s’y implanter durablement. Certains voient enfin dans cette approche strictement militaire des relations américano-africaines une volonté de réinvestir le continent en termes de renseignement, de présence diplomatique et de capacité d’intervention – une politique chère à l’Amérique depuis les attentats de New York d’il y a sept ans. Au crédit des partisans d’un tel argument, il est vrai que la création d’Africom intervient dans la foulée de celle du camp Lemonier, à Djibouti, où plus de 1 800 soldats américains sont stationnés depuis septembre 2002, de la mise en place de l’initiative Pan-Sahel la même année, des interventions de la CIA contre les Tribunaux islamiques en Somalie, de la transformation de l’Éthiopie en centre de détention et d’interrogatoire pour djihadistes présumés, de l’installation d’une station radar à São Tomé, de négociations pour obtenir des facilités navales et aériennes avec une demi-douzaine de pays et de la construction de nouvelles ambassades aux normes sécuritaires post-11 Septembre…  Pour leur part, les pays africains ont du mal à déterminer les bénéfices qu’ils pourraient retirer de l’accueil du quartier général d’Africom. Certes, l’État qui lui offrira l’hospitalité obtiendra un gros chèque de Washington en guise de remerciements. Mais à long terme, il risque aussi d’entraîner avec lui tout le continent dans une guerre contre le terrorisme qu’il n’a pas choisie, et d’en faire la proie des poseurs de bombes islamistes qui ont fait des intérêts américains disséminés à travers le monde des cibles de choix. La feuille de route d’Africom n’indique-t-elle pas, après tout, que la structure « pourra [aussi], sur instructions, conduire des opérations militaires afin de repousser les agressions et de répondre aux crises » ?

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