Préserver ses « amis », comme toujours

Publié le 20 novembre 2008 Lecture : 6 minutes.

La rupture dans les relations entre la France et l’Afrique fut l’un des leitmotivs de Nicolas Sarkozy tout au long de sa campagne pour la présidentielle de 2007. Lors des rares occasions au cours desquelles il fut amené à s’exprimer sur cette question, le candidat de l’UMP n’a cessé de marteler sa volonté d’en finir avec les turpitudes de la « Françafrique » : les pratiques d’un autre âge, le tutoiement facile et la personnalisation jugée parfois outrancière des rapports entre chefs d’État, les émissaires occultes, l’affairisme et le militarisme ambigu de l’ancienne puissance coloniale sur le continent. Près d’un an après sa victoire, force est de constater que ces engagements visant à établir « une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée et débarrassée des scories du passé » sont restés lettre morte. Pire, ils ont fait place à un pragmatisme débridé – celui de la realpolitik –, au détriment d’une approche diplomatique plus globale au sud du Sahara. Sur quels axiomes repose aujourd’hui la politique africaine de la France ? Bien malin celui qui pourrait le dire. Certes, Nicolas Sarkozy a repris certains héritages à son compte. À l’instar de Jacques Chirac, il ne manque pas de se faire l’avocat de l’Afrique dans les instances internationales. Ce fut le cas en septembre, lors de la 62e Assemblée générale de l’ONU, lorsqu’il a défendu l’idée de l’attribution d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité à un État africain. Reste que, maintes fois donné pour mort, le concept inventé par Félix Houphouët-Boigny pour souligner une communauté de destin entre la France et ses anciennes colonies bouge encore. Les interventions pavées de bonnes intentions ou les « sorties » de Rama Yade, secrétaire d’État aux Affaires étrangères et aux Droits de l’homme, annonçant « la fin de l’Afrique à Papa », n’y ont rien changé. Pas même le discours du chef de l’État français prononcé au Cap, le 28 février 2008, au cours duquel le principe de renégociation des accords de défense signés au lendemain des indépendances a été posé. Nicolas Sarkozy n’a fait, sur ce point, que reprendre la tendance observée depuis 1994, date du génocide rwandais : Paris préfère ne plus impliquer ses soldats dans des conflits intérieurs, du moins sans mandat de l’ONU. Comme s’il était à son tour l’otage de relations sous-tendues par le seul désir de la France de continuer à peser dans le concert des nations grâce à l’Afrique, le président Sarkozy a jusqu’ici fait preuve de retenue sur la scène internationale. En fait, c’est sur le plan bilatéral que l’échec de la rupture tant attendue est patent, comme en témoigne la logique de ses déplacements. Les circonstances du calendrier ont, certes, bien fait les choses : premier chef d’État africain reçu à l’Élysée le 25 mai 2007, la Libérienne Ellen Johnson-Sirleaf est un symbole de démocratie et de bonne gouvernance. Elle est aussi la première femme à exercer une telle fonction sur le continent. Pourtant, quelques jours plus tard, le ballet des présidents appartenant au « pré carré » traditionnel, dont certains sont connus pour leur dérive autocratique, est reparti de plus belle. Les habitudes aussi. Sur l’insistance amicale de son homologue et ami, Omar Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 1967, Nicolas Sarkozy a annulé la seconde étape de sa tournée africaine de juillet 2007, initialement prévue en RD Congo, pour se rendre à Libreville. Durant cette visite, 200 millions d’euros de dette dus à la France par le Gabon ont été annulés. Le président français a également montré toute l’étendue de la révolution qu’il entendait mener en décernant la légion d’honneur à des personnages très ancrés dans le village « franco-africain », en particulier l’avocat Robert Bourgi et George Ouégnin, l’inamovible directeur du protocole de Houphouët-Boigny. Même syndrome lorsqu’il s’assure plus ou moins officieusement des services du sulfureux maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany. C’est surtout du point de vue financier que les priorités accordées au développement ont du mal à se concrétiser. Économies budgétaires obligent, avec 7,8 milliards d’euros attendus, l’aide publique au développement (APD) française accusera une baisse en 2008, la première depuis six ans. Alors que Chirac s’était engagé à porter son niveau à 0,7 % du PIB d’ici à 2012, son successeur a renvoyé cette échéance au plus tôt à 2015. Quant à la politique de codéveloppement prônée par le super-ministère de Brice Hortefeux, elle n’a pas les moyens de ses ambitions, ce volet n’étant doté, selon un rapport parlementaire, que de 29 millions d’euros, une somme dérisoire.

Enfin, sur le plan strictement judiciaire, si les efforts pour relancer certains dossiers étrangement laissés en suspens par son prédécesseur ont été réels, ils n’ont pas pour autant fait avancer leurs instructions. Reçue à l’Élysée, la femme du journaliste franco-canadien Guy André Kieffer, disparu en Côte d’Ivoire en avril 2004, a été assurée du soutien de l’État français. Nicolas Sarkozy a également réaffirmé à Élisabeth Borrel sa détermination à faire toute la lumière sur la mort de son mari, le juge Bernard Borrel, survenue à Djibouti en octobre 1995 et pour laquelle certains responsables djiboutiens ont été nommément mis en cause. Quant à la plainte déposée en juin 2007 pour « recel » par plusieurs ONG (Sherpa, Survie, Global Witness) à l’encontre de cinq chefs d’État Africains accusés de posséder des biens financés grâce à des fonds détournés, elle a été classée sans suite. Selon certains observateurs, l’enquête menée sur le sujet – la première du genre – constituait un test clé de la fermeté élyséenne à œuvrer pour « un nouveau partenariat entre la France et l’Afrique ». Beaucoup ont vu dans sa clôture une intervention directe du pouvoir politique. De nombreux engagements se sont ainsi échoués sur les écueils des réalités africaines. Comme par le passé, la nécessité pour la France de préserver ses « amis » l’a emporté face aux engagements à dénoncer la mauvaise gouvernance, la corruption ou les violations des droits de l’homme. « Nous ne soutiendrons que les régimes vertueux et démocratiques », affirmait encore l’ancien ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, à Cotonou, en mai 2006. Le même qui, dans une attitude schizophrénique, n’a pas hésité à voler au secours du très controversé Idriss Déby Itno lors de l’attaque rebelle sur N’Djamena, en janvier 2007, tout en proposant un mois plus tard l’asile politique à Ngarlejy Yorongar, opposant tchadien menacé de mort. Si la France perd du terrain sous les coups de boutoir de la Chine et en raison des restrictions d’une politique migratoire de plus en plus mal vécue par ses partenaires, elle n’entend pas pour autant bouleverser la logique de ses rapports avec ses anciennes colonies. Souvent au prix d’une amnésie générale sur la situation intérieure de ces pays. C’est ce statu quo qui est à l’origine des critiques de plus en plus vives émanant de l’entourage direct du président Français. Celle de Rama Yade, lors de la visite du colonel Kadhafi à Paris, en décembre 2007. Celle, aussi, du secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie, Jean-Marie Bockel. Dans un entretien au quotidien Le Monde daté du 16 janvier, le maire de Mulhouse a déploré « le retard » dans l’application des promesses électorales. Une sortie qui explique, au moins partiellement, son changement de portefeuille survenu lors du « réaménagement » gouvernemental consécutif aux élections municipales françaises, le 18 mars 2008. Vingt-six ans après la démission forcée, en décembre 1982, de Jean-Pierre Cot, premier ministre de la Coopération de François Mitterrand dont le style « droit-de-l’hommiste » irritait passablement les chefs d’État Africains, ce mauvais remake en dit long sur l’influence persistante de ces derniers et sur leur capacité à imposer, sinon une politique, du moins des hommes prompts à défendre leurs intérêts. Si rupture il y a, elle est avant tout dans le style, l’attitude et la maladresse du propos. Là où Jacques Chirac montrait son attachement charnel à l’Afrique – qui le poussa d’ailleurs à adopter des postures critiquables –, Nicolas Sarkozy oppose une vision péremptoire à l’endroit des Africains et comme littéralement obsédée par les seules questions migratoires. Le discours prononcé à Dakar le 31 juillet 2007, à l’occasion de sa visite au Sénégal, devait solennellement marquer la « renaissance africaine » et les fondations d’un « partenariat renouvelé ». Ce texte écrit par son conseiller Henri Guaino aura au contraire provoqué un grand malaise parmi les invités présents dans le grand amphithéâtre de l’université Cheikh-Anta-Diop et déclenché l’hostilité des opinions publiques africaines. En estimant que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », le président français n’a pas hésité à charrier les clichés les plus tenaces. Comme rupture, on attendait mieux.

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