Guinée : entre Steinmetz et Condé, c’est la guerre
Rien ne va plus entre le président guinéen Alpha Condé et le milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz, accusé d’avoir acquis frauduleusement des permis miniers au mont Simandou.
Guinée : rififi à Conakry
Entre-temps, l’enquête du FBI a progressé. En épluchant les actes de vente des trois propriétés de Mamadie Touré à Jacksonville, les enquêteurs se sont rendu compte que sa société avait bénéficié de transferts de fonds de provenance douteuse. Un jour de février 2013, les agents du FBI vont donc sonner à sa porte et lui proposent le schéma suivant : si elle veut éviter de sérieux ennuis, elle doit tout dire sur ses relations avec BSGR.
Elle accepte aussitôt et leur remet trois documents : le premier est un reçu signé de sa main, dans lequel elle reconnaît avoir perçu 2,4 millions de dollars de la part de Pentler Holdings – la compagnie, enregistrée aux îles Vierges, de Frédéric Cilins et Michael Noy. Le second, plus compromettant, est un "contrat de commission" datant du 27 février 2008 dans lequel il est stipulé que BSGR s’engage à verser à Mamadie Touré 4 millions de dollars en échange de l’obtention des blocs 1 et 2 de Simandou. Le troisième est un "contrat de bonne fin", sorte de solde de tout compte conclu en juillet 2010 entre Mamadie Touré et Pentler Holdings, portant sur 3,1 millions de dollars supplémentaires. Lesquels n’auraient jamais été versés.
L’arrestation de Cilins
Mais le FBI veut des aveux de la part de proches du milliardaire et tout particulièrement du Franco-Israélien Cilins, avec lequel Mamadie Touré a gardé contact. Le téléphone de Mamadie est placé sur écoute. Depuis la Côte d’Azur, dans le sud de la France, où il réside, Cilins lui annonce justement qu’il va venir la voir en Floride, le 14 avril, pour discuter avec elle de choses importantes.
Rendez-vous est pris dans un restaurant de l’aéroport de Jacksonville, autour d’un sandwich poulet-salade. Des agents du FBI, en planque, observent la scène, et Mamadie porte sur elle un micro. "Vous avez des documents, il faut les détruire, explique Cilins. En échange, nous vous paierons." Mamadie Touré lui répond que la police s’intéresse à elle et que si la justice la convoque, il faudra bien qu’elle parle. "Justement, il faut faire disparaître tout ça avant", réplique Cilins. Puis l’homme d’affaires raconte qu’il a été reçu par Steinmetz la semaine précédente et que ce dernier lui a donné l’ordre de brûler lui-même les fameux documents. En échange, Mamadie recevra 1 million de dollars, et 4 millions de plus si elle accepte de signer une attestation dans laquelle elle reconnaît n’avoir jamais reçu un sou de BSGR. Le FBI en sait assez. Alors qu’il s’apprête à reprendre l’avion, Cilins est arrêté.
Incarcéré depuis dans une prison de New York, son procès est prévu à la fin de l’année : il prévoit d’y plaider non coupable, le rendez-vous de Jacksonville n’ayant eu d’autre but, affirme-t-il, que d’en finir avec les tentatives de chantage de Mamadie. Reste que du côté de Beny Steinmetz, il a bien fallu ajuster dans l’urgence la ligne de défense face à ce coup de Jarnac.
Plus question de démentir toute relation passée avec madame Touré, qualifiée de "simple lobbyiste" sans aucun autre lien avec l’ex-président Lansana Conté que celui qu’elle s’est inventé de toutes pièces. "Elle n’était pas sa femme et elle ne couchait même pas avec lui", assure Asher Avidan au New Yorker. En d’autres termes : la payer était légal. Idem pour Frédéric Cilins : "Je l’ai rencontré trois ou quatre fois", sans plus, jure Steinmetz. Quant aux documents de Mamadie, ce seraient des faux.
À Rio, les Brésiliens de Vale, manifestement très gênés, ont pris leurs distances avec BSGR et publié un communiqué dans lequel la compagnie se dit résolue à coopérer avec les autorités guinéennes. Objectif : sauver ce qui peut l’être de leurs intérêts sur place. L’aventure guinéenne de Beny Steinmetz tourne au cauchemar : Avidan est interdit de séjour à Conakry, et le frère de Mamadie Touré, inculpé de "corruption passive", a été arrêté. Depuis, le responsable de la sécurité du groupe en Guinée, Issaga Bangoura, l’a rejoint en prison.
"Il connaît mal les Israéliens. C’est une guerre, et nous allons la gagner"
Entre le président guinéen et le tycoon israélien, le rapport de forces s’est donc inversé. Mais ce serait mal connaître Steinmetz que de le croire résigné à perdre un gain aussi fabuleux arraché avec une mise aussi dérisoire. Ce président, pour qui il n’a pas de mots assez violents et qu’il qualifie au passage de "corrompu" et d’"obsessionnel", pensait sans doute "qu’on ne contre-attaquerait pas", martèle-t-il dans son entretien avec le Yediot Aharonot. "Apparemment, il connaît mal les Israéliens. C’est une guerre, et nous allons la gagner. Vous verrez, ce n’est pas fini. Nous sommes des combattants. Nous ne rendrons jamais ces concessions. "Depuis, le théâtre des hostilités s’est déplacé de Conakry jusqu’en Europe. Saisi d’une demande d’entraide de la justice guinéenne, le procureur général de Genève, Olivier Jornot, a fait perquisitionner en août et en septembre le domicile et le jet privé de Beny Steinmetz, ainsi que les bureaux londoniens et parisiens d’Onyx Financial Advisors, une société de management basée en Suisse et chargée de la gestion financière de BSGR. Comme si cela ne suffisait pas, le magnat franco-israélien doit désormais se battre sur un deuxième front : son gros investissement dans la plus grande mine d’or d’Europe, Rosia Montana, en Roumanie, est en effet sérieusement remis en question par le gouvernement de Bucarest sous la pression d’ONG de défense de l’environnement, au point que le cours de la société canadienne Gabriel Resources, dont il est l’un des principaux actionnaires aux côtés de trois milliardaires américains, Seth Klarman, Thomas Kaplan et John Paulson – figures connues du lobby pro-israélien de la côte est –, a pour cette raison très lourdement chuté à la Bourse de Toronto. Sale temps pour Beny, donc. Et sommeil de plomb pour l’eldorado de Simandou, toujours en quête de la baguette magique qui viendra enfin concrétiser le rêve de 11 millions de Guinéens…
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