Affaire Beny Steinmetz : le jour où Alpha Condé est entré en scène

Rien ne va plus entre le président guinéen Alpha Condé et le milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz, accusé d’avoir acquis frauduleusement des permis miniers au mont Simandou. Pour comprendre ce bras de fer, retour en 2010, lorsqu’Alpha Condé, fraîchement élu à la tête de l’État, entre en scène.

Le président guinéen Alpha Condé. © Vincent Furnier pour J.A.

Le président guinéen Alpha Condé. © Vincent Furnier pour J.A.

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Publié le 17 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.

Guinée : rififi à Conakry
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Guinée : rififi à Conakry

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"Au début, on était plutôt contents. On a vu le chef de la junte remettre le pouvoir avec dignité. On s’est dit que c’était un bon signal. On a été naïfs." Ainsi parle Beny Steinmetz de l’élection d’Alpha Condé. Les deux hommes ne se connaissaient pas, et le nouveau président guinéen pourrait sans doute parler du milliardaire israélien en des termes identiques : il n’a rien, au départ, contre lui.

C’est bien simple : lors de son arrivée au palais de Sékoutouréya, à Conakry, Alpha Condé n’a encore jamais rencontré aucun minier ni aucun pétrolier et il ne dispose au sein du cercle très restreint de ses hommes de confiance d’aucun spécialiste de la question. Heureusement pour lui, "le camarade Alpha" a quelques amis très connectés. Parmi eux, le Français Bernard Kouchner, ancien condisciple de lycée, tout prêt à lui rendre service.

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L’enquête

Kouchner, dont le carnet d’adresses d’ex-ministre français des Affaires étrangères est loin d’être négligeable, sensibilise le milliardaire philanthrope américain George Soros aux préoccupations de son ami Alpha. Séduit par le personnage, qu’il rencontre à Conakry, Soros met aussitôt à sa disposition un redoutable duo d’ONG habituées à traquer et à débusquer les flux d’argent sale, dont il est l’un des principaux financiers, Global Witness et Revenue Watch, ainsi que l’un des plus gros réseaux de juristes au monde, DLA Piper. Le précieux Kouchner introduit également le nouveau président guinéen auprès de l’économiste britannique Paul Collier, universitaire reconnu, spécialiste du développement et auteur à succès de The Bottom Billion (un livre sur l’aide et la pauvreté en Afrique), lequel à son tour présente Alpha Condé à son ami Tony Blair. Début 2011, l’ancien Premier ministre britannique envoie à Conakry une équipe de l’organisation qu’il a fondée, Africa Governance Initiative, chargée, comme elle l’a déjà fait au Rwanda et au Liberia, de structurer et de former le staff présidentiel.

Pendant toute l’année 2011, cette brigade de choc élabore un nouveau code minier nettement plus favorable aux intérêts guinéens que les précédents, commence à éplucher un à un les principaux accords conclus entre les ministres des Mines des régimes militaires (précédant l’élection d’Alpha Condé) et les opérateurs du secteur, puis met en place une structure ad hoc : le Comité technique de revue des titres et conventions miniers. Ce CTRTCM, qui compte 18 membres, a pour ­président un professionnel des mines et de l’énergie réputé incorruptible, Nava Touré, 66 ans.

C’est l’enquête, menée pour le compte du comité de Nava Touré par deux hommes de George Soros, deux Américains, l’avocat Scott Horton de DLA Piper et l’ancien agent de la CIA Steven Fox de Veracity Worldwide (un cabinet d’étude de risques), qui fera changer d’avis le nouveau président guinéen sur l’homme d’affaires israélien. En quelques mois, les deux limiers vont remonter toute la filière des relations entre BSGR, Mamadie Touré, Mahmoud Thiam, Lansana Conté et Dadis Camara et aboutir à la conviction que le contrat d’attribution des blocs 1 et 2 de Simandou à Beny Steinmetz est fortement entaché de corruption. Donc illégal et réversible.

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En septembre 2011, le président reçoit l’homme d’affaires pour une explication qui ne donnera rien. Selon le New Yorker, Steinmetz aurait, dès le début de l’entretien, posé la question suivante à Condé : "Pourquoi êtes-vous contre nous ?" Réponse du président : "Je n’ai rien de personnel contre vous, mais je dois défendre les intérêts de la Guinée."

Steinmetz contre-attaque

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Les mois suivants, BSGR prépare sa contre-attaque. Beny Steinmetz loue les services d’une société de relations publiques en Floride, FTI Consulting. Spécialisée dans une forme particulièrement agressive de communication, FTI alimente des articles très critiques dans la presse américaine et britannique contre la gouvernance d’Alpha Condé, mettant en cause l’affairisme supposé de son fils Mohamed.

De son côté, Alpha Condé – qui n’est pas loin de penser que Steinmetz finance ses opposants, espionne avec l’aide du Mossad ses communications et cherche par tous les moyens à le renverser –, ne reste pas inactif. Il fait geler les activités de BSGR à Conakry et prête une oreille attentive à l’histoire que lui raconte l’un de ses ministres de retour de Paris. Ce collaborateur lui explique qu’il s’est fait aborder, à l’hôtel Hilton Arc-de-Triomphe, par un homme d’affaires gabonais qui lui a proposé le deal suivant : contre paiement, son amie Mamadie Touré, ex-quatrième épouse de Lansana Conté, est prête à lui fournir des documents très compromettants pour le groupe BSGR. Alpha Condé refuse de payer, mais l’information n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Sans que l’on sache comment – mais on l’imagine aisément – elle parvient au FBI, qui ouvre une enquête.

Fin octobre 2012, Nava Touré, le président du Comité de revue des contrats miniers, fait parvenir aux représentants de VGB le consortium Vale-BSGR en Guinée – une lettre incendiaire, dans laquelle il détaille 25 "irrégularités possibles" dans l’acquisition des blocs 1 et 2 de Simandou. Le noyau dur de ce réquisitoire est constitué par des accusations explicites de corruption à l’encontre des responsables de BSGR, impliquant au passage Mahmoud Thiam et Mamadie Touré. Steinmetz répond avec mépris : "Cette lettre est une farce."

Le problème, c’est que nul ne l’entend, alors que la lettre de Nava Touré se retrouve rapidement à la une de la presse guinéenne et sur internet. La direction Afrique de FTI, la société de relations publiques dont il s’est attaché les services, vient en effet de changer de patron : le Britannique Mark Malloch-Brown est proche, lui, de… George Soros. Malloch-Brown, désireux de nettoyer le fichier de FTI de ses clients jugés par lui peu présentables, résilie les contrats qui le lient à deux diamantaires israéliens opérant en Afrique : Dan Gertler, qui opère en RD Congo, où il est réputé proche du président Kabila, et Beny Steinmetz. Steinmetz est fou de rage. Il intente un procès à FTI et se déchaîne contre Soros, aussitôt accusé d’antisémitisme.

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