Nelson Mandela : 1999-2013, la troisième vie

Jeune Afrique retrace dans ce dossier les grandes périodes de la vie de Nelson Mandela (1918-2013). Des textes tirés pour l’essentiel de « Mandela, The Authorized Biography », par Anthony Sampson (HarperCollins Publishers, 2011, 704 p.).

Nelson Mandela en compagnie de membres de la Fifa et des stars du foot Pelé et Samuel Eto’o, à la veille d’un match de gala en l’honneur de son 89e anniversaire, le 17 juillet 2017 à Johannesbourg. © CHRIS RICCO/AP/SIPA

Publié le 6 décembre 2013 Lecture : 5 minutes.

Des enfants sud-africains jouent devant une fresque murale représentant Nelson Mandela, le 2 mai 2014, dans le quartier Soweto de Johannesburg © Ben Curtis / AP / SIPA
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Nelson Mandela, l’Africain du XXe siècle

Nelson Mandela est la seule grande figure historique contemporaine qui ait pris les dimensions d’un mythe au fond d’une prison. Qui, une fois au pouvoir, a su faire d’un pays déchiré une démocratie stable et passer le témoin en toute légalité et sérénité à une personnalité incontestée. Il n’a pas seulement été un libérateur comme Bolivar, il s’est révélé un grand homme d’État. Il ne fait aucun doute que par son génie politique, sa rigueur intellectuelle et sa force morale, par sa stature, par la leçon de démocratie et de générosité qu’il a donnée au continent et au monde, Mandela est l’Africain du XXe siècle. Retiré de la vie publique depuis le milieu des années 2000, il est décédé le 5 décembre 2013. Retour, chapitre par chapitre, sur la vie exceptionnelle d’un homme hors du commun.

Sommaire

Le 26 mars 1999, Nelson Mandela commence sa troisième vie. Il a 80 ans, et voilà déjà longtemps qu’il a été érigé au rang de héros. Ce jour-là, le chef de l’État fait ses adieux aux représentants du peuple, juste avant que se tiennent les élections générales qui verront un nouvel homme diriger le pays. Après « Nelson Mandela », le jeune avocat xhosa qui s’engage dans la lutte contre l’apartheid et passe vingt-sept ans en prison, après « Mister President Rolihlahla Mandela », le premier chef de l’État noir de la nation Arc-en-Ciel, voici venu le règne de « Madiba », ou « Tata » (« papa » en zoulou). Le grand-père, dorénavant, de tous les Sud-Africains.

Dès son élection, en 1994, Nelson Mandela avait prévenu qu’il ne briguerait pas de second mandat. Avant de laisser la place à Thabo Mbeki, le 16 juin 1999, il réitère son souhait de vivre une retraite paisible, loin de la fureur du monde, qu’il ne connaît que trop bien. Ses yeux sont abîmés par ses années de détention, ses oreilles un peu éteintes, ses jambes fatiguées ont du mal à le porter. Il estime avoir trop délaissé sa famille et veut se consacrer à sa nouvelle épouse, Graça Machel. Il souhaite se retirer avec elle à Qunu, non loin de son village natal, où les noces traditionnelles ont finalement eu lieu presque soixante ans après que Mandela a fui la région pour échapper à un mariage arrangé.

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Les crevettes de Maputo

« J’ai joué mon rôle et ne demande qu’à m’effacer dans l’obscurité », annonce en juin 1999 le jeune retraité, qui se retire avec la majesté de ceux qui n’ont plus rien à prouver. Malgré ses dires, le couple ne sera jamais très enclin à aller s’enterrer là-bas, dans le Transkei, où le clan des Tembus attend de pied ferme qu’il vienne jouer son rôle, comme son père qui avait été conseiller du roi des Xhosas. Les Mandela vivront davantage entre Johannesburg et la capitale mozambicaine, Maputo, où le vieil homme avoue déguster avec délice les crevettes locales. Au début de sa retraite, Madiba s’occupe de ses 17 petits-enfants, comme un grand-père normal. L’humour et la générosité n’ont jamais quitté l’âme du héros et voilà qu’il en fait enfin profiter ses proches.

Lors de la passation des pouvoirs, Thabo Mbeki avait déclaré dans un éclat de rire : « Il faut que je trouve un petit boulot à Madiba, parce que les vieillards oisifs ont souvent tendance à faire des bêtises. » La boutade n’est pas si innocente. Conscient de son statut si particulier, Mandela sait qu’il n’a qu’à bouger le petit doigt pour que les caméras du monde entier se tournent vers lui et laissent dans l’ombre ceux qui tentent, difficilement, de lui succéder. Mais le héros planétaire sent encore vibrer en lui le génie du combat contre le racisme et les injustices. Il intervient à nouveau dans le débat national, comme en 2001, lorsqu’il sollicite une interview dans un grand journal pour fustiger l’arrogance de l’élite noire et pour prier le Congrès national africain (ANC) de venir à bout des divisions raciales. Il fait inévitablement de l’ombre à Mbeki et se permet de critiquer sa politique dans les réunions du parti. À chaque fois qu’il ouvre la bouche, le pays s’arrête et écoute.

Mandela n’est plus chef d’État, ni chef de parti, ni même chef de clan. Et pourtant, les plus grands de ce monde se pressent à ses côtés

À l’étranger, même topo. Officiellement, au début du XXIe siècle, Mandela n’est plus rien : ni chef d’État, ni chef de parti, ni même chef de clan. Et pourtant, les plus grands de ce monde se pressent à ses côtés pour capter un peu de son aura morale.

Il ne cache pas son opposition à la guerre en Irak. Il voyage beaucoup, à Washington, New-York, Londres, en Europe, en Afrique (il est resté proche des processus de paix en RD Congo et au Burundi)… Il dénonce la volonté de puissance et de domination des États-Unis, fustige la politique israélienne en Palestine. Regrette que l’ONU soit méprisée, en partie parce que son secrétaire général, Kofi Annan, est noir, estime-t-il.

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Lutte contre le sida

Fort de son influence, Madiba s’engage surtout dans le combat qu’il estime le plus urgent du nouveau siècle : la lutte contre le sida. Il critique d’abord le gouvernement sud-africain pour n’avoir pas assez agi contre la pandémie, se présente à toutes les conférences internationales, appelle au petit déjeuner les milliardaires pour leur demander de contribuer à ses projets.

Mais la fatigue physique commence à avoir raison du résistant. Un cancer de la prostate en 2001 et les conséquences des longues années de détention ont usé ce grand corps. Le 1er juin 2004, il annonce publiquement « une réduction significative » de ses activités publiques. Pour les Sud-Africains, le couperet est tombé. « Je suis sûr que personne ne m’accusera d’égoïsme si, alors que je suis encore en bonne santé, je demande à passer du temps avec ma famille, mes amis et aussi avec moi-même. » Encore ce mélange détonant d’humour et de vanité dont il a fait preuve toute sa vie.

Nelson Mandela avec sa fille Zindzi (g.) et Ahmed Kathrada, qui fut prisonnier politique avec lui, le 11 octobre 2010, dans les locaux de la Fondation Mandela, à Johannesburg. © Debbie Yazbek/AP/SIPA

Nelson Mandela avec sa fille Zindzi (g.) et Ahmed Kathrada, qui fut prisonnier politique avec lui, le 11 octobre 2010, dans les locaux de la Fondation Mandela, à Johannesburg. © Debbie Yazbek/AP/SIPA

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Mandela devient invisible. Quelques apparitions, de temps à autre, rappellent au monde qu’il n’a pas encore rejoint la terre poussiéreuse de Qunu. Il a été nommé ambassadeur de bonne volonté par l’Unesco en 2005, puis ambassadeur de conscience pour Amnesty International en 2006. La même année, il a laissé les autorités de son pays utiliser son image pour que l’Afrique du Sud remporte l’organisation de la Coupe du monde de football en 2010. Il a même fait une apparition cette année-là  – la dernière publiquement – dans le stade, lors de la cérémonie de clôture.

Mais la dernière fois qu’il s’est fendu d’un véritable message à l’intention du monde entier, c’était en janvier 2005, lors des funérailles de son dernier fils encore en vie. « Mon fils est mort du sida », a-t-il dit de sa voix plus rocailleuse que jamais. « Une maladie normale dont il faut parler ouvertement. » Et la seule bataille de sa vie que l’un des plus grands hommes du XXe siècle n’aura pas remportée…

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