Nelson Mandela : 1990-1999, l’exercice du pouvoir

Jeune Afrique retrace dans ce dossier les grandes périodes de la vie de Nelson Mandela (1918-2013). Des textes tirés pour l’essentiel de « Mandela, The Authorized Biography », par Anthony Sampson (HarperCollins Publishers, 2011, 704 p.).

Nelson Mandela célèbre sa victoire à la présidentielle de 1994. © Jerry Holt/AP/SIPA

Publié le 6 décembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Des enfants sud-africains jouent devant une fresque murale représentant Nelson Mandela, le 2 mai 2014, dans le quartier Soweto de Johannesburg © Ben Curtis / AP / SIPA
Issu du dossier

Nelson Mandela, l’Africain du XXe siècle

Nelson Mandela est la seule grande figure historique contemporaine qui ait pris les dimensions d’un mythe au fond d’une prison. Qui, une fois au pouvoir, a su faire d’un pays déchiré une démocratie stable et passer le témoin en toute légalité et sérénité à une personnalité incontestée. Il n’a pas seulement été un libérateur comme Bolivar, il s’est révélé un grand homme d’État. Il ne fait aucun doute que par son génie politique, sa rigueur intellectuelle et sa force morale, par sa stature, par la leçon de démocratie et de générosité qu’il a donnée au continent et au monde, Mandela est l’Africain du XXe siècle. Retiré de la vie publique depuis le milieu des années 2000, il est décédé le 5 décembre 2013. Retour, chapitre par chapitre, sur la vie exceptionnelle d’un homme hors du commun.

Sommaire

L’Histoire aurait pu s’arrêter sur l’image de la sortie de prison et Mandela rester un héros mythique. L’autre facette du miracle est qu’il a été, en outre, un redoutable manœuvrier et un remarquable homme d’Etat.

Dans les deux années qui suivirent sa libération, Mandela reprît en main l’ANC pour en faire un parti de gouvernement. Trois jeunes se joignirent à la vieille garde : Thabo Mbeki, fils de Govan, qui avait fait des études d’économie en Grande-Bretagne et conseillé Tambo dans l’exil ; Cyril Ramaphosa, secrétaire du syndicat des mineurs, qui se tournerait vers le privé en 1996 ; Chris Hani, ancien chef du MK, secrétaire général du Parti communiste, qui serait assassiné par un Blanc en avril 1992. Mandela lui-même prit la présidence du mouvement.

la suite après cette publicité

Dans le pays, cependant, en particulier au Kwazulu-Natal de Buthelezi, les violences et les massacres se multipliaient. Mandela était convaincu – et l’on saurait, plus tard, qu’il n’avait pas tort – qu’ils étaient encouragés en sous-mains par les Afrikaners. Il n’hésitait pas à dénoncer une « troisième force qui tentait délibérément d’empêcher des négociations» entre l’ANC et le gouvernement. Et il accusait publiquement De Klerk de double jeu. L’ANC lui-même organisait des groupes paramilitaires, les « unités d’autodéfense » (SOU), pour répondre à cette violence.

Nerfs d’acier

C’est dans ce contexte que s’ouvrit, à la fin de 1991, ce qui devait être la dernière phase des négociations. D’un côté, De Klerk, soumis à la pression des généraux et des extrémistes réclamait la confrontation dont ils rêvaient depuis plus de quarante ans ; de l’autre, Mandela, était entouré de militants qui ne vivaient que dans l’attente du Grand Soir. Mais les Afrikaners étaient divisés, alors que Mandela tenait son équipe en main. « Quand il avait pris une décision, dira Ramaphosa, il était inébranlable. Sans lui, et ses nerfs d’acier, nous n’aurions jamais pu négocier la fin de l’apartheid.

Lorsqu’on lui demanda si De Klerk était un ‘criminel politique’, Mandela répondit : ‘Quasiment tous les membres de ce gouvernement sont des criminels politiques’

Les pourparlers se poursuivirent jusqu’à la fin de 1993. Dans la nuit du 17 au 18 novembre, Mandela et De Klerk s’affrontaient encore sur le vote majoritaire et la protection des minorités. L’accord se fit, et en décembre, après Albert Luthuli en 1960 et Desmond Tutu en 1984, les deux hommes se virent attribuer le prix Nobel de la paix. Sans que leurs relations personnelles se soient vraiment améliorées. Lorsqu’on lui demanda, à la télévision norvégienne, si De Klerk était un « criminel politique », Mandela répondit : « Quasiment tous les membres de ce gouvernement sont des criminels politiques. » Il avait plus d’estime et de respect pour le « vieux crocodile », Pieter Botha, auquel il rendit visite dans sa retraite de Wilderness, près du Cap, en février 1994, à l’ouverture de la campagne électorale.

Nelson Mandela nouvellement élu président de l'Afrique du Sud serrant la main de son prédécesseur, F.W. de Klerk, au Cap, en 1994. © Jerry Holt/AP/SIPA

Nelson Mandela nouvellement élu président de l'Afrique du Sud serrant la main de son prédécesseur, F.W. de Klerk, au Cap, en 1994. © Jerry Holt/AP/SIPA

Cette campagne, il l’entama à l’âge de 75 ans, deux ans de plus que n’avait Ronald Reagan à la veille de son second mandat. La route était toute tracée vers la victoire et l’élection du premier président noir d’Afrique du Sud, le 27 avril 1994.

À la tête de l’État, laissant à son vice-président Thabo Mbeki la gestion des affaires courantes, Mandela se donna comme tâche prioritaire de consolider l’unité de la nouvelle nation. Les guerres civiles qui déchiraient les pays voisins, l’Angola et l’ex-Zaïre, montraient bien que sans la paix intérieure, rien n’était possible. Par les contacts qu’il avait eus, tout au long de ses 80 ans, avec les tribus rurales, les mineurs, la population des townships, les africanistes et les communistes, les Indiens, les gardiens afrikaners, les grands patrons et les chefs d’État, il était le seul capable d’empêcher l’explosion. Comme Senghor, et contrairement à d’autres, il saurait se retirer au terme de son mandat et faire élire en douceur son vice-président Thabo Mbeki, 55 ans.

Une vie privée tumultueuse

Même militant semi-clandestin, même prisonnier, Mandela avait réussi à avoir une vie personnelle. Septuagénaire, il était encore manifestement attiré par les femmes.

Ses relations avec Winnie s’étaient rapidement envenimées à sa sortie de prison. Elle le trompait et, surtout, elle était mêlée à différents scandales, dont le meurtre d’un adolescent de 14 ans, survenu en 1988. Populaire, elle n’hésitait pas à défier les dirigeants de l’ANC. Après avoir fait preuve d’une longue patience et d’une extrême indulgence, Mandela divorcerait en mars 1996.

la suite après cette publicité

En juillet 1990, en visite au Mozambique, il fit la connaissance de Graça Machel, la veuve du président Samora Machel. Elle avait vingt-sept ans de moins que lui et six enfants, dont le tuteur était Oliver Tambo. Après la mort de celui-ci, Mandela les prit en charge. Il ne revit Graça qu’en 1992, mais dès lors, les rencontres se multiplièrent. En 1995, lorsque fut entamée la procédure de divorce avec Winnie, il ne cacha plus leur liaison. Tutu était choqué, Winnie parlait avec mépris de « la Portugaise » et Evelyn, sa première femme, affirmait que Madiba était toujours son époux devant Dieu (elle-même devait se remarier à 77 ans).

A partir de 1997, Graça l’accompagna, et il l’accompagna, dans des voyages officiels. Elle repoussait toujours l’idée de mariage, mais pour son quatre-vingtième anniversaire, le 18 juillet 1998, elle lui fit un beau cadeau : elle accepta. Deux mille invités assistaient à la cérémonie, dont Christo Brand, son ancien gardien de Robben Island, où il tenait maintenant une boutique de souvenirs. Mais pas De Klerk, ni Winnie.

la suite après cette publicité

>>> Retrouvez ici tous les articles de ce dossier

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image


Dans le même dossier

Nelson Mandela : 1918-1930, l’enfance d’un chef