Centrafrique : la difficile mission de Nicolas Tiangaye
Nicolas Tiangaye, ancien président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme (LCDH), a été nommé, jeudi 17 janvier, à la tête du gouvernement, conformément aux accords de paix signés le 11 janvier à Libreville (Gabon).
Seize ans après avoir refusé le poste de Premier ministre que lui avait proposé le président Ange-Félix Patassé, Nicolas Tiangaye accède finalement à la primature. Choix unanime de l’opposition non armée, celui qui fut président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme (LCDH) de 1991 à 2003 a été nommé à la tête du gouvernement, conformément aux accords de paix signés le 11 janvier à Libreville (Gabon).
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Considéré, avec Martin Ziguélé, comme l’un des principaux leaders de l’opposition, cet ancien avocat de 55 ans, natif de Bocaranga dans le nord-ouest du pays, est réputé coriace, intègre et compétent. Franc-maçon, comme le chef de l’État François Bozizé, il appartient à la même loge que le président congolais et médiateur de la crise centrafricaine, Denis Sassou Nguesso. « Tiangaye fait partie de l’élite de Bangui. Il est très bien introduit et bénéficie d’une excellente image à l’étranger », explique Roland Marchal, spécialiste de la Centrafrique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Le gouvernement d’union nationale peine à voir le jour
Près de dix jours après la nomination de Nicolas Tiangaye, le gouvernement d’union nationale n’a toujours pas été formé. « Il sera mis en place dans les plus brefs délais, a indiqué le Premier ministre lors d’une conférence de presse, vendredi 25 janvier. Ce sera un gouvernement de mission qui mettra aussi l’accent sur l’équilibre politique, régional et la dimension genre [parité, NDLR]. »
Toute la semaine dernière, Tiangaye a reçu des délégations des différentes formations censées faire partie de l’équipe gouvernementale pour entendre leurs doléances. « Les négociations sont très difficiles. Il y a des tensions pour l’attribution des ministères clefs, mais aussi dans chaque camp », confie un observateur. Samedi 26 janvier, toutes les entités contactées avaient proposé leurs représentants, à l’exception de la Majorité présidentielle. Une fois l’ensemble des noms transmis au Premier ministre, celui-ci tranchera et communiquera la liste de son équipe au président François Bozizé, qui doit encore l’approuver. V.D.
Titulaire d’un DESS de droit obtenu à Orléans (France) en 1981, il est rapidement devenu un des bâtonniers les plus respectés d’Afrique centrale. Tiangaye se révèle en 1986 et 1987, lors du procès de l’ex-empereur Jean-Bedel Bokassa, auquel il s’était pourtant violemment opposé quand il était encore étudiant. À l’occasion de cet événement éminemment politique et très médiatisé, le jeune avocat, qui défend « Papa Bok » en compagnie de deux ténors du barreau de Paris (Francis Szpiner et François Gibault), laisse entrevoir un vrai talent oratoire et un sens tactique aigu. « Sa consistance s’est révélée tout au long du procès », se rappelle l’envoyé spécial de Jeune Afrique. Sa plaidoirie lui vaut même les félicitations de Francis Szpiner. « Il fut le meilleur d’entre nous », confia l’avocat parisien après le procès.
La légitimité et l’aura internationale qu’il en tire sont renforcées par sa participation au tout premier procès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), en 1997. Il a alors pour client Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre de Taba plus tard condamné à la prison à perpétuité, et sera à l’origine de la comparution en tant que témoin du général canadien Roméo Dallaire, qui tenta d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les crimes perpétrés au Rwanda. Président de la LCDH, il plaidera ensuite dans toute la sous-région, parfois même en France, menant son combat pour les droits de l’homme avec pugnacité et courage.
Concessions
Sa nomination est un signe fort des concessions que le chef de l’État est prêt à faire, tant les relations entre les deux hommes ont pu être exécrables. Tiangaye l’a pourtant défendu en 1989, obtenant même son acquittement quand François Bozizé était accusé de tentative de coup d’État contre le régime du général André Kolingba. En 2003, Nicolas Tiangaye avait intégré le Conseil national de transition (CNT) mis en place après le coup d’État, contribuant indirectement à légitimer la prise de pouvoir de Bozizé. Il présida même le Parlement de transition pendant deux ans et participa activement à la rédaction de la Constitution de 2004 (celle-là même qui introduisit une limitation du nombre de mandats présidentiels). « Les conditions étaient difficiles, mais il s’en est bien tiré », estime Roland Marchal.
Ses relations avec le pouvoir, qui goûte peu son intransigeance, ont fini par se dégrader pour se cristalliser à l’occasion des scrutins législatifs de 2005 et 2011. À chaque fois, Tiangaye défie le président centrafricain dans son fief du 4e arrondissement de Bangui, s’incline, mais qualifie ses défaites de « hold-up électoral ». En 2011, c’est sous la bannière de la Convention républicaine pour le progrès social (CRPS), le parti qu’il a créé en 2008, qu’il est candidat. Rejetant les résultats, il interdit aux candidats de sa formation de se présenter au second tour et devient le porte-parole du Front pour l’annulation et la reprise des élections de 2011 (Fare 2011), fondé par Ange-Félix Patassé. L’affrontement entre Bozizé et Tiangaye est direct.
Lors des pourparlers de Libreville, Tiangaye a su défendre les doléances de l’opposition démocratique, dont il a mené la délégation. Et c’est naturellement que son nom s’est dégagé pour le poste de Premier ministre. « En acceptant, il a montré une grande maturité », estime Roland Marchal. D’abord parce qu’il renonce à une éventuelle candidature à la présidentielle en 2016, l’accord de Libreville interdisant au chef du gouvernement de se présenter. Ensuite parce qu’il va devoir faire face à une situation complexe : la cohabitation avec Bozizé s’annonce difficile ; la marge de manoeuvre dont il bénéficiera reste une inconnue, tout comme sa capacité à contenter ceux qui, au sein du pouvoir comme au sein de la rébellion armée de la Séléka, se sentent lésés… En 2003, en quittant la LCDH, Nicolas Tiangaye déclarait avoir fait le choix de « l’action politique ». Le voilà servi.
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Vincent Duhem (@vincentduhem)
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