Algérie : dernières élections avant la présidentielle de 2014

Si les municipales du 29 novembre, dernier scrutin avant la présidentielle, ne passionnent guère les foules, partis et leaders politiques, eux, jouent gros. Carnet de campagne.

Un bureau de vote en Algérie. © AFP

Un bureau de vote en Algérie. © AFP

Publié le 28 novembre 2012 Lecture : 6 minutes.

Plus de 180 000 Algériens – soit 1 sur 200 – sont en course pour briguer un siège dans les 1 541 assemblées populaires communales (APC, municipalités) et dans les 48 assemblées populaires de wilaya (APW, parlements locaux) lors des élections locales du 29 novembre. Si chaque candidat drainait une centaine d’électeurs, le taux de participation dépasserait 80 %. Ce qui constituerait une performance insigne dans un pays où la chose politique intéresse de moins en moins l’opinion au regard de l’abstention enregistrée aux législatives du 10 mai dernier (57 %) ou lors des municipales de novembre 2007 (56 %). C’est sans doute en se référant à ces précédents que Dahou Ould Kablia, ministre de l’Intérieur, déclare s’attendre à « une participation se situant entre 40 % et 45 % ».

S’agissant d’une élection dont l’enjeu est la désignation du maire, autrement dit celui qui gère les préoccupations quotidiennes de l’électeur, les projections des pouvoirs publics sont prudentes. Toutefois, le déroulement de la campagne, ouverte le 4 novembre, confirme les propos alarmants de Dahou Ould Kablia. La fièvre électorale a une nouvelle fois « épargné » le citoyen. Les « vedettes » de l’échiquier politique, les leaders des grands partis, peinent à remplir les salles dans les villes de l’intérieur où le quidam préfère l’ennui du quotidien à l’animation factice d’un meeting politique. Le désintérêt de l’électeur s’explique sans doute en partie par la corruption, comme le rappelle l’économiste Abdelmalek Seraï. « Au cours des cinq dernières années, plus de 1 650 élus locaux ont été poursuivis par la justice pour malversations ou détournement de fonds », a-t-il asséné au cours d’une conférence sur la gouvernance locale organisée le 13 novembre dans le cadre d’un forum initié par le quotidien francophone El Moudjahid. Autre facteur de désaffection développé par le conférencier : l’incompétence des élus. « En 2012, on enregistre la bagatelle de 1 249 communes déficitaires sur un total de 1 541. Une conséquence directe du fait qu’un élu local sur deux n’a pas le niveau universitaire. »

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Incompétence

Les propos de l’expert sont nuancés par le ministre de l’Intérieur, pour qui « le chiffre avancé de 1 249 communes déficitaires date de 2002. Aucune municipalité ne devrait connaître de difficultés financières en 2012, le Trésor public ayant débloqué, au cours des dix dernières années, des subventions de l’ordre de 400 milliards de dinars [près de 4 milliards d’euros, NDLR] pour apurer les finances locales et combler les déficits accumulés par la totalité des communes du pays ». Le problème de la compétence des élus relève, selon Ould Kablia, de la responsabilité des partis, qui présentent des candidats, et non de celle de l’administration, qui organise le scrutin. « La désaffection de l’électeur s’explique plus par la méfiance du citoyen à l’égard de la classe politique que par sa défiance vis-à-vis des pouvoirs publics. »

Sur la cinquantaine de partis engagés dans la compétition, une poignée seulement se présente dans la majorité des 1 541 communes du pays. « Certains ne briguent que cinq ou six municipalités, déplore Ould Kablia, c’est dire la faiblesse de leur implantation sur le plan national. » Plus de la moitié des formations engagées sont issues de la « génération Printemps arabe », c’est-à-dire nées après l’adoption des réformes politiques amorcées en avril 2011 par le président Abdelaziz Bouteflika au lendemain des révolutions arabes. Sur les 40 nouveaux partis agréés depuis le début de l’année, un seul a pu présenter un nombre significatif de listes. Le Mouvement populaire algérien (MPA) d’Amara Benyounes (lire ci-contre) est en course dans 632 municipalités. À lui seul, il fait mieux que l’ensemble des partis islamistes, seuls ou coalisés – dans le cadre de l’Alliance de l’Algérie verte (AAV) -, incapables de concocter plus de 621 listes (voir J.A. no 2703-2704). La multiplication de l’offre n’aide pas l’électeur à s’intéresser de plus près au scrutin. Le choix est quasi cornélien entre des partis aux sigles pour le moins exotiques : Front de la bonne gouvernance, Parti de l’équité et de la proclamation, Parti algérien vert pour le développement, Parti de la jeunesse, Mouvement national pour la nature et le développement, Mouvement pour la jeunesse et la démocratie, Mouvement de la démocratie et de la citoyenneté… Autant de dénominations révélant la vacuité du discours développé au cours de la campagne. Le risque de confusion est d’ailleurs tel que chaque formation politique dispose d’un numéro d’identification à l’échelle nationale.

Réformes

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À la faveur des réformes – introduction d’un quota de 30 % de candidates sur les listes électorales -, les femmes font une entrée remarquée dans la campagne. Mais le changement des mentalités ne se décrète pas au Parlement. L’affichage de certaines listes montre à quel point les conservatismes ont la peau dure en Algérie. Les photos de certaines candidates sont remplacées par une image représentant… un bouquet de fleurs. « Nous avons déjà eu du mal à trouver des candidates pour respecter le quota imposé par la loi, assure un membre du bureau politique du FLN, première force politique du pays. Certaines ont refusé de voir leur photo affichée. C’était ça ou pas de liste. Nous avons donc été contraints de recourir, comme d’autres partis politiques, à ce subterfuge. »

Scrutin local, les prochaines municipales n’en ont pas moins un enjeu national. Il s’agit de la dernière consultation avant la présidentielle de 2014, à laquelle, selon toute vraisemblance, Abdelaziz Bouteflika ne devrait pas se représenter. C’est pourquoi les leaders des partis politiques les plus influents se donnent corps et âme à la campagne. La majorité nationaliste et l’opposition dans toutes ses déclinaisons (islamiste, trotskiste, écologiste…) accordent la plus grande importance à l’échéance du 29 novembre. Pressentis pour l’investiture de leurs partis à la présidentielle de 2014, Abdelaziz Belkhadem du Front de libération nationale (FLN) et Ahmed Ouyahia du Rassemblement national démocratique (RND) sillonnent l’intérieur du pays au rythme de deux, voire trois meetings par jour. Idem pour Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, d’obédience trotskiste), et Bouguerra Soltani, du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas).

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Pour la première fois depuis l’indépendance, le gouvernement comprend trois chefs de parti : Amara Benyounes, ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de la Ville et patron du MPA ; Mohamed Saïd, ministre de la Communication et président du Parti de la liberté et de la justice (PLJ) ; Belkacem Sahli, secrétaire d’État à la Communauté algérienne à l’étranger et chef de l’Alliance nationale républicaine (ANR). Tous trois sont pleinement engagés dans une campagne où le discours met davantage l’accent sur des considérations nationales et l’actualité régionale et internationale que sur les préoccupations locales de l’électeur. « On évoque plus la crise malienne ou les problèmes mémoriels avec la France que l’insuffisance du nombre de crèches à Médéa », déplore Malika, mère de famille et cadre dans une usine pharmaceutique située dans la capitale du Titteri. Le spectre de la guerre aux frontières sud du pays revient dans tous les discours électoraux. Quant aux rapports avec l’ancienne puissance coloniale, ils sont diversement appréciés. Les uns, sans doute les plus nombreux, continuent d’exiger une repentance de la France, quand d’autres préfèrent regarder l’avenir plutôt que le passé.

Slogans creux

La campagne a été marquée par une dizaine de cas de violence, tous impliquant directement ou indirectement les listes FLN. L’ancien parti unique traverse une crise existentielle où les différends se règlent à l’arme blanche plutôt que par la force de l’argument. Sans surprise, majorité et opposition développent un discours électoral axé autour du « complot de l’étranger » pour inciter l’électeur à se rendre aux urnes, mais rares sont les postulants qui utilisent les réseaux sociaux pour mieux vendre leur candidature. La campagne s’est aussi caractérisée par l’intrusion de nouveaux médias. Mais pas plus les télévisions privées (Al-Chourouk TV, Ennahar TV, El-Djazaïria, pour ne citer que les plus regardées) que les 48 radios publiques régionales n’ont réussi à donner davantage d’éclat à la bataille pour les mairies, le contenu des spots des candidats se limitant à une succession de discours insipides, de généralités, de slogans creux et de promesses de lendemains meilleurs auxquelles personne ne croit. Tout cela a évidemment un prix. Selon une estimation officielle, le scrutin du 29 novembre devrait coûter au Trésor public plus de 31 milliards de dinars.

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