Banque mondiale : douche écossaise à Washington

Candidate à la présidence de la Banque mondiale, Ngozi Okonjo-Iweala a dû s’incliner devant l’Américain Jim Yong Kim. Malgré cet échec attendu, le continent garde le sourire. Les prévisions de croissance le concernant sont au beau fixe.

La ministre nigériane des finances, Ngozi Okonjo-Iweala. © AFP

La ministre nigériane des finances, Ngozi Okonjo-Iweala. © AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 27 avril 2012 Lecture : 5 minutes.

C’est entre rire et larmes que l’Afrique subsaharienne a vécu, lundi 16 et mardi 17 avril à Washington, les annonces de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Le continent attendait avec impatience le résultat du processus de désignation du successeur de Robert Zoellick à la tête de la Banque. Ngozi Okonjo-Iweala, 57 ans, ministre des Finances du Nigeria et ex-numéro deux de l’institution, affrontait le candidat américain, le docteur Jim Yong Kim, 52 ans, président du très réputé Dartmouth College.

Pour la première fois depuis 1944, les États-Unis ne pouvaient pas imposer automatiquement qu’un de leurs ressortissants préside la Banque mondiale, en dépit de leurs arrangements officieux avec les Européens garantissant en retour à ceux-ci qu’un des leurs dirige le FMI. En juin 2011, Christine Lagarde avait profité de cette « sainte alliance » des pays riches pour remporter la direction du Fonds. Les pays émergents avaient alors protesté en vain contre cette appropriation indue qui ne tenait pas compte de leur montée en puissance ni du surcroît de dynamisme qu’ils ont apporté à une économie mondiale en crise.

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Profitant de la promesse du conseil d’administration de la Banque mondiale d’assurer une sélection « ouverte, fondée sur le mérite et transparente », celle que le monde entier appelle par son prénom, Ngozi, s’était jetée dans la mêlée avec l’appui de l’Union africaine (UA). Leur parcours commun a été un sans-faute. Ngozi Okonjo-Iweala s’est montrée la meilleure des candidats avec ses diplômes du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de Harvard ; ses vingt-cinq ans passés à la Banque mondiale, où elle a œuvré pour les plus défavorisés de la planète ; son courage manifeste quand elle a envoyé en prison le chef de la police de son pays, lors de son premier passage au ministère des Finances ; sa pugnacité qui lui a permis de faire effacer 18 milliards de dollars (15,2 milliards d’euros) de la dette nigériane ; ou encore la sagesse de ses prises de position, conciliant notamment l’indispensable protection de l’environnement et la non moins indispensable production d’énergie. De son côté, l’UA si souvent divisée s’est faite pour une fois unanime pour la soutenir, malgré la sympathie personnelle de Paul Kagamé, le président rwandais, pour son concurrent américain.

Le candidat des États-Unis

Le président Obama a donc dû faire de gros efforts pour opposer à Ngozi Okonjo-Iweala un candidat de qualité. Il a plutôt finement joué, car Jim Yong Kim n’est ni blanc, ni banquier, ni politicien, comme les précédents présidents américains de la Banque mondiale, et il n’est pas n’importe qui. Diplômé lui aussi de Harvard, il est à la fois médecin et anthropologue. Il a fait une partie de sa carrière à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), pour le compte de laquelle il a combattu sur le terrain le sida et la tuberculose. Depuis 2009, il présidait Dartmouth College, où il était apprécié.

De l’avis de plusieurs administrateurs de la Banque, il est très intelligent et a une réelle connaissance du monde en développement, mais par le prisme de la santé. Il ignore tout du fonctionnement de la grosse machine qu’est la Banque mondiale, de ses dix mille salariés et de la façon dont elle a alloué, en prêts et en dons, 57,4 milliards de dollars aux pays en développement entre juillet 2010 et juin 2011. Malgré ces handicaps, c’est lui qui a été choisi par les vingt-cinq membres du conseil d’administration de l’institution, lundi 16 avril. Et c’est l’Afrique qui a perdu, parce que les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’ont pas su s’unir derrière Ngozi. Mais aussi parce que Jim Yong Kim a obtenu une confortable majorité de voix des pays développés, qui n’ont pas voté en fonction de son mérite mais en fonction du poids politique des États-Unis. Pourtant, la défaite est aussi joyeuse, car, comme l’a souligné la candidate nigériane, le processus de désignation des responsables de la Banque mondiale et du FMI « ne sera plus jamais comme avant ». Fini les petites magouilles entre amis !

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Prévisions de croissance exceptionnelles

L’Afrique du Sud à la traîne

C’est une épine dans le pied de l’Afrique subsaharienne : avec + 3,1 % en 2011, + 2,7 % projetés en 2012 et + 3,4 % en 2013, l’Afrique du Sud affiche l’un des taux de croissance les plus faibles de la zone. Cette méforme est grave, car le pays est un poids lourd qui compte pour un tiers du produit intérieur brut de la région. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que cette mauvaise passe est notamment due à « une perte générale de confiance du monde des affaires », allusion aux poussées de populisme et aux menaces de nationalisations. Mais l’équation que Pretoria doit résoudre n’est pas simple. Durant les deux dernières décennies, depuis la fin de l’apartheid, les inégalités n’ont cessé de s’aggraver au sein de la société sud-africaine. Le chômage (autour de 24 %) est très élevé, et l’économie est certes industrialisée mais confrontée à une pénurie d’investissements dans la production d’énergie, dont l’insuffisance bride la croissance. A.F.

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Mais l’Afrique a vite séché ses larmes. Les prévisions du FMI publiées mardi 17 avril et confirmées par les études de la Banque mondiale lui promettent que les deux prochaines années seront, sauf catastrophe inattendue, excellentes pour sa croissance. Avec + 5,4 % attendus en 2012 et + 5,3 % en 2013, elle se classe à la deuxième place mondiale derrière l’Asie émergente (+ 7,3 % et + 7,9 %). Certes, la Chine (+ 8,2 % et + 8,8 %) et l’Inde (+ 6,9 % et + 7,3 %) conservent des taux de progression exceptionnels… qu’égalent des pays africains aussi différents que l’Angola (+ 9,7 % et + 6,8 %), la Côte d’Ivoire (+ 8,1 % et + 6,2 %) ou le Ghana (+ 8,8 % et + 7,4 %).

Les raisons de ces performances ? Des liens financiers ténus avec le Vieux Continent qui l’ont protégée de la contagion. « La diversification des exportations vers les marchés émergents en croissance rapide a réduit la dépendance du commerce de la région vis-à-vis de l’Europe en plein ralentissement », souligne le FMI. Les exportations d’Afrique subsaharienne vers la zone euro comptent pour un tiers du total, contre deux tiers dans les années 1990. Il faut aussi noter parmi les causes de cette robuste croissance les prix élevés des matières premières, qui ont profité aux pays exportateurs et dopé les investissements dans les industries extractives.

Mais les risques de contre-performances demeurent élevés. Le FMI rappelle que les coupures de courant amputent la croissance un peu partout dans la zone et qu’une chute brutale des prix des matières premières aurait un impact redoutable. La Banque mondiale, quant à elle, redoute les effets de la sécheresse, qui, au Sahel comme dans la Corne de l’Afrique, affame, paupérise et déplace les populations. Les fruits de la croissance du continent ne sont pas encore vraiment partagés.

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