Iran : Ahmad Yahyazadeh, adoucir les moeurs

Installé à Paris depuis 2004, Ahmad Yahyazadeh se pose en opposant au régime iranien. Portrait d’un jeune musicien, ambassadeur de la culture perse.

Ahmad Yahyazadeh, un jeune ambassadeur de la culture perse. © Vincent Fournier pour J.A.

Ahmad Yahyazadeh, un jeune ambassadeur de la culture perse. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 3 février 2012 Lecture : 4 minutes.

Le salon d’Ahmad Yahyazadeh est à l’image de son propriétaire : éclectique. Les murs sont couverts par les tableaux colorés d’un ami, à qui il a promis de les vendre. Des tambours indiens, africains, australiens sont disposés un peu partout. Il y a aussi un porte-vêtement où il accroche ses costumes de scène et une bibliothèque remplie de livres et de souvenirs de voyages.

C’est en 2004 que ce musicien de 32 ans s’installe en France pour mettre un terme à sa relation conflictuelle avec la République islamique d’Iran. Il avait été arrêté, en 2003, pour avoir refusé de jouer à la télévision à l’occasion des élections municipales… Le jeune artiste dit se nourrir de l’énergie positive des auditoires qui l’accueillent. En Iran, explique-t-il avec tristesse, ce n’était pas le cas. Selon lui, le pays n’est plus un terreau fertile pour les créateurs.

J’existe pour mon peuple avant tout, pour dire la vérité et parler de ses problèmes

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À Paris, Ahmad Yahyazadeh a vécu pendant plusieurs mois dans le quartier populaire de la porte de la Chapelle. Avec deux collègues indiens, il était hébergé par un ami français. « Je viens du nord de l’Iran, une région surnommée "le caviar iranien". Là-bas, on a tous des grandes maisons et des jardins. Et je débarque à la Chapelle, dans ce petit appartement. C’était une expérience unique. On jouait de la musique toute la nuit », se souvient-il avec enthousiasme. Il parle avec les mains, dans un français aux accents chantants et aux intonations graves. De temps en temps, un mot en perse se glisse dans la conversation. Son visage, encadré par ses cheveux longs, est très expressif.

Formé aux conservatoires de Téhéran et de Sari (nord de l’Iran), Yahyazadeh se passionne pour le daf, un tambour qui sert traditionnellement d’accompagnement musical aux orchestres. Il en a fait l’élément principal de ses spectacles, lui qui refuse de jouer en public d’instruments non iraniens. « Les instruments sont sacrés, ils racontent l’histoire d’un peuple. Comment pourrais-je jouer d’un instrument indien sans être indien ? Nous, artistes, sommes les ambassadeurs de notre peuple. »

C’est pour cela qu’en 2006 il a fondé la Maison du daf, une association qui a pour but de promouvoir la culture perse. Il donne des cours de musique, mais se dit très mauvais professeur, préférant se produire avec ses trente musiciens un peu partout en Europe. Le groupe, qui s’était séparé en 2009, s’est retrouvé en décembre 2011. « On va monter un projet en rapport avec le Printemps arabe », explique-t-il avec joie.

Son premier concert en France, il s’en souvient encore, c’était à Chamonix. Aveuglé par la lumière, Yahyazadeh ne voyait pas son public. Durant sa performance, il s’est rendu compte que son auditoire ne réagissait pas comme d’habitude. Ce n’est qu’à la fin de la représentation qu’il comprendra : il n’y avait que des sourds-muets dans la salle. « J’ai demandé au responsable pourquoi il m’avait invité. Il m’a dit : « Ils ne vous entendent pas, mais ils essaient de vous comprendre, il y a une proximité entre vous.» »

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Attaché aux traditions et aux instruments iraniens, Yahyazadeh cherche paradoxalement à renouveler son art. Avec deux amis musiciens, il tente d’unir musique perse et musique classique en alliant violon et violoncelle avec daf et santour. « On a composé et arrangé nos musiques ensemble », indique-t-il. Mais l’artiste innove surtout dans l’utilisation du daf, en explorant les variétés rythmi­ques qu’il peut tirer de l’instrument. Sa démarche, il la décortique dans un livre paru en septembre 2011 sous le titre de Nouvelle Méthode d’apprentissage du Daf : rythmes et pulsations. « Les grands maîtres iraniens ne sont pas toujours d’accord avec moi », dit-il en riant.

Exilé politique, Yahyazadeh a aussi une vision résolument engagée de son art. « J’existe pour mon peuple avant tout, pour dire la vérité et parler de ses problèmes », soutient-il. Une conception héritée de sa famille : son oncle, Abolhasan Khoshro, est un célèbre compositeur de musique traditionnelle du Mazandéran et une figure de la gauche iranienne. Sa mère, Tahrerh Khoshro, est l’auteure de deux recueils de poésie critique à l’égard du régime islamique. Tous deux ont perdu leur poste de professeur à l’université quelques mois après l’arrivée des mollahs au pouvoir. « Le régime iranien a fait beaucoup de mal aux artistes. Les grands cinéastes, les grands musiciens ont été mis en prison », confie Yahyazadeh d’un air attristé, avant d’ajouter, catégorique : « Mais il va payer pour tout. »

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Aujourd’hui, c’est avec beaucoup d’inquiétude qu’il suit ce qui se passe dans les pays arabes, un mouvement qui, selon lui, doit beaucoup à la révolte des Iraniens en 2009. « Aux Tunisiens et aux Égyptiens, je dis faites attention, vous êtes sur le point de rejouer le scénario de 1979. Le peuple iranien a compris que le mélange entre le religieux et le politique ne marchait pas. Une religion, c’est sacré. La politique, c’est nul. »

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