Législatives algériennes : quand les islamistes retrouvent la foi
Dopés par les succès électoraux de leurs homologues dans les pays du Printemps arabe, les partis religieux algériens sont convaincus qu’ils peuvent l’emporter aux législatives de mai. Mais le chemin de la victoire est semé d’embûches.
Les partis islamistes algériens réussiront-ils en mai 2012 – date des prochaines législatives – là où le Front islamique du salut (FIS) a échoué en janvier 1992 ? Pour ces formations, la prise de l’Assemblée populaire nationale (APN), puis la composition et la direction d’un gouvernement s’annoncent plutôt comme une gageure. À l’inverse d’Ennahdha en Tunisie, du Parti de la justice et du développement (PJD) au Maroc, du Parti de la liberté et de la justice (PLJ) et d’Al-Nour en Égypte, les mouvements islamistes algériens traversent une véritable crise organique et structurelle. C’est le cas du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), qui a fait les frais du conflit entre son président, Bouguerra Soltani, et Abdelmadjid Menasra, son rival lors du dernier congrès. Mis en minorité à l’issue d’une élection qu’ils ont jugée irrégulière, le groupe de cadres conduit par Menasra a finalement décidé de créer son propre parti : le Front pour le changement national (FCN). Celui-ci est en attente de son agrément, au même titre que le Front pour la justice et le développement (FJD) lancé récemment par Abdallah Djaballah, qui, après avoir perdu le contrôle d’Ennahda (1998), puis celui d’El-Islah (2008), revient dans le jeu politique en vue des prochaines échéances électorales.
Bouguerra Soltani (MSP), sur les traces d’Erdogan
Il est convaincu de la victoire de son parti lors des prochaines législatives. Pour Bouguerra Soltani, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), le succès électoral des partis islamistes en Tunisie, en Égypte et au Maroc profitera nécessairement à sa formation. C’est dans cette optique qu’il a décidé de rompre le contrat qui liait son parti au Front de libération nationale (FLN) d’Abdelaziz Belkhadem et au Rassemblement national démocratique (RND) d’Ahmed Ouyahia. Représentant du mouvement des Frères musulmans en Algérie, le MSP s’est fortement inspiré du modèle politique turc du Parti de la justice et du développement (AKP). Soltani se rêve en un Recep Tayyip Erdogan du Maghreb. Mais le MSP est loin de ressembler à l’AKP, les désaccords avec le groupe d’Abdelmadjid Menasra l’ayant gravement miné. En outre, sa participation à l’action gouvernementale et les affaires de corruption qui pèsent sur certains de ses ministres pourraient entamer sa crédibilité. T.H.
Pour Nacer Djabi, professeur de sociologie à l’Université d’Alger, le trait distinctif des partis islamistes est leur recours systématique à la stratégie de l’entrisme. « Dès l’abandon de la clandestinité à la fin des années 1980, ces partis ont fait montre d’un certain empressement à s’allier au pouvoir dans l’objectif de décrocher des gains, explique-t-il. Ils n’ont eu qu’une période très courte de militantisme. Une stratégie qui a provoqué l’éclatement d’Ennahda et qui a fini par discréditer le MSP, présent au sein du gouvernement depuis le milieu des années 1990. » Le MSP a d’ailleurs compris qu’il devait quitter au plus vite l’Alliance présidentielle afin de paraître plus crédible aux yeux de ses militants. Une décision annoncée le 1er janvier par Bouguerra Soltani au terme d’une session du conseil consultatif, l’instance souveraine du parti. Le MSP ne met cependant pas un terme à sa stratégie entriste, puisqu’il garde ses quatre portefeuilles ministériels.
Le courant salafiste pourrait créer la surprise.
Vote militant
Mais, selon Nacer Djabi, c’est toute la scène politique algérienne qui est paralysée : « Les partis islamistes ne sont pas les seuls à être en crise. C’est également le cas des formations dites laïques et celles du courant nationaliste. Il suffit de voir l’anarchie qui règne au sein du Rassemblement pour la culture et la démocratie [RCD, de Saïd Sadi, NDLR] ou encore au Front de libération nationale [FLN]. » Sauf que les représentants des partis religieux sont persuadés que l’électorat est essentiellement de tendance islamiste. C’est l’avis d’Abdelhalim Abdelwahab, porte-parole du MSP : « En cas d’élections libres, il est certain que les partis islamistes obtiendront d’excellents résultats. Toutes tendances confondues, nous estimons être largement majoritaires. Seulement voilà, les citoyens ne votent pas. En Algérie, le vote est souvent militant et non pas populaire. Le problème, ce sont les élections, pas les partis. C’est l’argument que nous entendons en permanence de la part de la base. Il y a une méfiance à l’égard de l’administration. » De son côté, Lakhdar Benkhelaf, membre fondateur du FJD, se veut plus optimiste : « La seule solution pour permettre à l’électorat islamiste de se prononcer ouvertement est l’organisation de scrutins libres et transparents. C’est pourquoi nous suivons avec intérêt les réformes mises en oeuvre par le président Bouteflika. Il est nécessaire que ce processus de démocratisation aille jusqu’à son terme. C’est d’ailleurs ce qui a permis le succès des partis islamistes en Tunisie, en Égypte et au Maroc. Aujourd’hui, l’Algérie ne peut plus se tenir à l’écart de cette dynamique d’ouverture démocratique. »
Abdallah Djaballah (FJD), leader sans parti
À 61 ans, Saad Abdallah Djaballah fait son grand retour dans la vie politique. Après deux échecs retentissants au sein d’Ennahda et d’El-Islah, il a lancé le Front pour la justice et le développement (FJD). Lui aussi est persuadé de pouvoir profiter de la dynamique du Printemps arabe et de l’accession au pouvoir des islamistes tunisiens, marocains et égyptiens. Djaballah a l’avantage d’être considéré comme un véritable leader par les islamistes de base. Bien qu’il soit proche des thèses des Frères musulmans, son indépendance pourrait lui permettre de séduire l’électorat salafiste. Aujourd’hui, son avenir politique est suspendu à une décision du ministère de l’Intérieur, seul habilité à lui accorder l’agrément pour sa nouvelle formation. T.H.
En théorie, l’électorat algérien semble majoritairement favorable aux islamistes. Mais dans les faits, il n’existe pas de relation concrète entre ce « vivier » et les partis religieux existants. Ces derniers sont proches du mouvement des Frères musulmans, alors que l’essentiel de l’électorat semble plutôt être de tendance salafiste, mouvement traditionaliste qui ne dispose ni de représentants ni de structure politique. Abdelhalim Abdelwahab et Lakhdar Benkhelaf ne nient pas la montée en puissance du salafisme, mais ils préfèrent relativiser sa capacité à jouer un rôle majeur lors des législatives de 2012. Ce n’est pas l’avis de Slimane Chenine, ancien cadre du MSP et actuel directeur du centre de recherche politique El-Raed : « Il suffit de voir ce qui s’est produit en Égypte avec l’entrée en jeu des salafistes du parti Al-Nour. Ils sont aujourd’hui la deuxième force politique après les Frères musulmans. Les principaux acteurs de ce mouvement sont dans les mosquées. Ce sont généralement des imams très écoutés. Si nous assistons à une véritable ouverture politique, ils pourraient apparaître au grand jour. Il faut donc s’attendre à ce que de nouveaux leaders émergent. Certes, les salafistes pourraient juger, pour des considérations d’ordre stratégique, qu’il n’est pas souhaitable de créer un parti politique. Mais ils auront toujours la possibilité de participer aux prochaines échéances en constituant des listes indépendantes. Ce courant est à suivre de très près. Il pourrait créer la surprise. »
Garde-fous
En Algérie, remporter les élections ne garantit pas forcément d’accéder au pouvoir, la désignation d’un Premier ministre et la constitution d’un gouvernement étant du ressort exclusif du président de la République en vertu des articles 77 et 79 de la loi fondamentale : « Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d’autres dispositions de la Constitution, le président de la République jouit des pouvoirs et prérogatives suivants : il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions (article 77). […] Le président de la République nomme les membres du gouvernement après consultation du Premier ministre. Le Premier ministre met en oeuvre le programme du président de la République et coordonne, à cet effet, l’action du gouvernement. Le Premier ministre arrête son plan d’action en vue de son exécution et le présente en Conseil des ministres (article 79). »
Lohamed Saïd Belaïd (PLJ), à l’ombre de Taleb Ibrahimi
De son vrai nom Mohand-Oussaïd Belaïd, Mohamed Saïd Belaïd a fait carrière dans les institutions de l’État. Ses relations avec les milieux islamistes, il les doit à l’ancien ministre des Affaires étrangères Ahmed Taleb Ibrahimi, dont il a été le principal collaborateur lors de l’élection présidentielle de 1999. À l’époque, Taleb Ibrahimi avait affiché son intention de récupérer l’électorat du Front islamique du salut (FIS) dissous (lire encadré). à la suite du retrait de son mentor, Mohamed Saïd Belaïd décide de poursuivre son projet. Il se présente à la présidentielle de 2009 face à Abdelaziz Bouteflika. Une expérience malheureuse puisqu’il finira bon dernier. Depuis, il peine à obtenir l’agrément de sa formation, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ). T.H.
À la lecture de ces dispositions, il apparaît que le pouvoir du Premier ministre est très restreint et que son rôle se limite à assurer la « coordination de l’action gouvernementale ». Ce n’est pas tout. Au niveau législatif, l’action de l’Assemblée peut être ralentie par le Conseil de la nation, la Chambre haute du Parlement. Tout texte qui ne répondrait pas « aux valeurs et aux constantes nationales » risquerait d’être bloqué par les membres du tiers présidentiel. Comme son nom l’indique, les membres de ce groupe de sénateurs sont désignés exclusivement pas le chef de l’État. La création du tiers présidentiel – ou tiers bloquant – remonte à l’introduction du bicaméralisme dans la Constitution de novembre 1996. À l’époque, le président Liamine Zéroual avait prévu cette disposition pour barrer la route à toute tentative de prise de pouvoir par les islamistes via les institutions. La sociologue Nassera Merah estime que ce mécanisme constitutionnel a démontré son efficacité. Elle relève cependant que seul un État fort et démocratique pourra empêcher les islamistes de régner en Algérie : « Je ne pense pas que l’on puisse retourner à la situation des années 1990, le peuple ne l’acceptera jamais. Les islamistes en Algérie ne profitent pas de la conjoncture internationale, mais ils pourraient profiter de la faiblesse de l’État et de l’inaction des partis démocrates. Les partis islamistes ne viennent plus avec des sabres. Ils agissent sur le long terme en essayant de grignoter l’espace démocratique. »
À quelques mois des élections législatives, si une victoire des islamistes n’est pas à exclure, il est cependant peu probable qu’elle se traduise par un bouleversement politique majeur étant donné les larges prérogatives du chef de l’État et le poids du Sénat. Pour prendre réellement le pouvoir, les islamistes devront obligatoirement entrer à la présidence de la République. Et donc patienter jusqu’au printemps 2014.
Les repentis et les autres
Dissous par une décision de justice en mars 1992, le Front islamique du salut (FIS) n’existe plus en tant que parti. Cependant, si ses cadres dirigeants sont interdits d’activité politique, sa base électorale (1,5 million de suffrages en décembre 1991) fait l’objet de toutes les convoitises à l’occasion de chaque scrutin. La même interdiction est appliquée aux 6 000 maquisards de l’Armée islamique du salut (AIS, branche militaire du FIS) qui ont déposé les armes en 2003 dans le cadre de la Concorde civile. Le forcing de leurs chefs, Madani Mezrag et Ahmed Benaïcha, pour la réhabilitation du FIS et leur retour en politique a été jusque-là vain. Mais les exilés du FIS ne désespèrent pas. Lors du débat parlementaire relatif à l’adoption de la nouvelle loi sur les partis, ils ont tenté d’occuper l’espace médiatique pour faire sauter la disposition qui prive « les responsables de la tragédie nationale » de leurs droits civiques. Sans succès. Cherif Ouazani.
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