Nigeria : « Sans la brutalité de l’État, nous n’en serions pas là »
Marc-Antoine Pérouse de Montclos est chercheur à l’Institut français de recherche pour le développement (IRD). Selon lui, le Nigeria n’est pas au bord de la guerre civile et est encore moins menacé de partition, même si Goodluck Jonathan a été jusque là assez maladroit avec Boko Haram. Interview.
Jeune Afrique : Les violences confessionnelles dans le nord du pays sont-elles semblables aux pogroms anti-Ibos de 1966, qui avaient mené à la sécession puis à la guerre du Biafra ?
Marc-Antoine Pérouse de Montclos : Pas du tout. Non seulement à cause de leur ampleur, bien moindre, mais aussi du fait de la structure de l’État, qui ne permet plus de faire facilement sécession. Même si une guerre de religion éclatait, ce qui me paraît très improbable, il y a des intérêts croisés dans les milieux politiques et d’affaires. Personne ne souhaite voir le Nigeria exploser. Les régions sont très interdépendantes économiquement et beaucoup plus faibles qu’à l’indépendance. À l’époque, il n’y avait que trois régions, toutes très puissantes. Il y a aujourd’hui 36 États fédérés.
Mais Boko Haram semble plus menaçant que les autres rébellions en lutte contre le pouvoir central…
Boko Haram est idéologiquement beaucoup plus structuré, par exemple, que le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger [Mend, la rébellion du Sud pétrolifère, NDLR]. Mais l’État est largement responsable de sa dérive terroriste. Née dans la région de Maiduguri, il s’agissait au départ d’une secte qui n’était pas violente. La répression de juillet 2009, qui a fait quelque 700 morts chez les musulmans, a précipité les cadres de Boko Haram dans l’exil, où ils ont été récupérés par le djihadisme international. À présent, ils sont revenus avec la ferme intention de provoquer une guerre de religions. Il s’agit de professionnels capables de frapper n’importe où. Sans la brutalité de l’État, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Le gouvernement a-t-il encore des chances de stopper cette dérive radicale ?
Généralement, au Nigeria, les contestations et les rébellions finissent par se régler en achetant les chefs et en leur donnant une forme de reconnaissance sociale. Au début des années 2000, l’Oodua People’s Congress [OPC, nationalistes yorubas] menaçait par exemple de se transformer en guérilla. Sa milice xénophobe avait mis Lagos à feu et à sang en attaquant les quartiers ibo, haoussa et ijaw. Finalement, on a donné des titres de chefs traditionnels à ses leaders et cela s’est calmé. Des processus d’assimilation un peu similaires ont aussi eu lieu avec des mouvements islamistes.
Cela dit, Goodluck Jonathan a été très maladroit jusque-là. Il a comparé ces événements avec la guerre du Biafra, ce qui est pour le moins inapproprié. Après les attentats d’Abuja, le 1er octobre 2010, il avait immédiatement pointé du doigt les musulmans du Nord, alors qu’il est rapidement apparu que le Mend, c’est-à-dire des gens originaires de la même région que lui, était responsable.
Le Mend dans le Sud, Boko Haram dans le Nord, la contestation sociale consécutive à la hausse des prix du carburant… Goodluck Jonathan est-il cerné ?
Non. D’abord parce qu’il a fait de grosses concessions sur le prix des carburants, ce qui lui coûte d’ailleurs cher en termes de crédibilité dans sa capacité à réformer le pays. Il a renoncé à près de la moitié des subventions que l’État comptait initialement supprimer. Son problème n’est d’ailleurs plus tant la contestation que de convaincre qu’il a l’étoffe d’un chef.
Ensuite, il a jusque-là plutôt réussi à maintenir la paix dans la région du Delta, car c’est un Ijaw, comme les dirigeants du Mend. Il est le premier représentant de cette communauté à accéder à la présidence. Cela a eu un impact très net, et il bénéficie toujours d’un relatif état de grâce chez les rebelles, qui veulent lui laisser une chance. La confrontation avec Boko Haram resserre d’ailleurs les liens entre le président et sa communauté d’origine.
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Propos recueillis par Pierre Boisselet
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