Tout change, sauf l’essentiel

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 4 avril 2011 Lecture : 2 minutes.

Le texto, comme une douche froide, m’est tombé dessus alors que je cajolais mon clavier pour vanter les mérites de la nouvelle formule de J.A., aérée, tonifiée, ouverte, interactive,au coeur de votre monde,de vos espoirs et de vos préoccupations… Sept lignes comminatoires signées Calixthe Beyala, madone rageuse, sulfureuse et talentueuse de la « blackitude » militante : « Cher frère, je suis surprise de voir à quel point Jeune Afrique est en rupture avec les populations africaines. En as-tu conscience ? À qui s’adresse maintenant notre journal ? Tous les Africains le clament : je ne lis plus J.A.! » Coup de bambou rue d’Auteuil. Au moment où nous sortons un « nouveau » J.A., dans le but précisément d’être toujours plus proches de nos lecteurs, ces derniers seraient donc en passe de nous lâcher! Et cela pour une raison irréfutable : nos prises de position, fermes et réitérées, contre le maintien au pouvoir de MM. Kadhafi et Gbagbo, héros et martyrs du panafricanisme moderne, réincarnations de Nasser et de Lumumba.

Premier réflexe : vérifier du côté de notre service diffusion si les chiffres confirment les imprécations de ma soeur Calixthe. Renseignements pris, c’est l’inverse. Avec une progression de ses ventes de 25 % depuis le début de la crise ivoirienne et des « révolutions arabes » et la barre du million de visiteurs uniques franchie en janvier par son site internet, Jeune Afrique, manifestement, gagne des lecteurs plutôt qu’il n’en perd.

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Deuxième réflexe : prendre au sérieux ces reproches d’amoureux et d’avocats des causes perdues qui se pensent floués; d’autant qu’ils rejoignent ceux que formulent chaque semaine, dans la rubrique « Vous & nous », certains de nos correspondants.Dans ce numéro, BBY consacre à ce phénomène une partie de son « Ce que je crois »,mais j’aimerais y ajouter ce constat : la quasitotalité de ceux qui, aujourd’hui, défendent Gbagbo et Kadhafi sont des Subsahariens. Ce qui est sans doute normal pour le premier,mais troublant pour le second. Pourquoi, auMaghreb et dans le monde arabe, aucune voix ou presque ne s’élève pour soutenir le dictateur libyen? « Parce qu’il est des nôtres, parce qu’ilnousfaithonte »,m’explique notre collègue marocain Hamid Barrada, qui ajoute : « C’est notre Bokassa à nous. »

Le problème, lefil rouge, est donc là.Dans l’absence de proximité, dans la fixation sur la posture de « résistance » de ces deux hommes lavés par là de tout péché,dansla détestation de Nicolas Sarkozy et la déception de Barack Obama, qui font que l’essentiel – la démocratie, les libertés, les droits de l’homme, le pluralisme, le respect de la dignité de chacun des peuples concernés – passe à la trappe au coeur de ce combat par procuration que livrent quelques intellectuels subsahariens. Le J.A. d’hier s’est bien gardé de tomber dans le piège de l’aveuglement face à Sékou Touré et Saddam Hussein – et il a bien eu raison. Confronté à leurs avatars, le J.A. d’aujourd’hui adopte la même position. Sur ce point, celui de la fidélité à nos principes, la nouvelle formule de votre hebdo ressemble furieusement à l’ancienne. N’en déplaise à Calixthe qui, j’en suis sûr, continuera de nous lire.

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