Patrice Lumumba, héros sans héritiers
Cinquante ans après son assassinat, l’ancien Premier ministre du Congo-Léopoldville reste un symbole fort. Mais, politiquement, rares sont ceux qui se réclament encore de lui.
L’avion dans lequel Patrice Lumumba effectue le dernier voyage de sa vie, le 17 janvier 1961, est parti de Moanda, sur le littoral atlantique. En fin d’après-midi, il se pose sur l’aéroport d’Élisabethville, chef-lieu de la province sécessionniste du Katanga. Lumumba, les mains liées dans le dos, les cheveux hirsutes, est poussé sans ménagement hors de l’avion par des soldats de l’armée congolaise. Ses compagnons d’infortune – l’ancien vice-président du Sénat, Joseph Okito, et l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, Maurice Mpolo – subissent le même traitement. Un contingent suédois de la mission de l’ONU au Congo présent sur les lieux n’intervient pas. Quelques heures plus tard, les trois hommes sont exécutés en présence des plus hautes autorités katangaises et d’agents belges. Aussitôt la nouvelle de l’assassinat connue – Lumumba venait d’entrer dans sa trente-sixième année –, des manifestations de protestation sont organisées dans plusieurs capitales du monde. Sur le plan interne, les premières réactions au crime sont des rébellions armées. La première est lancée dans l’ouest du pays par Pierre Mulele en 1964. Un an plus tard, les provinces de l’Est prennent le relais. Tous ces rebelles se disent nationalistes, c’est à- dire lumumbistes. En 1966, le général Joseph-Désiré Mobutu, arrivé au pouvoir quelques mois plus tôt, proclame Lumumba héros national, bien qu’il ait joué un rôle dans sa disparition. L’homme est déjà un mythe. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Vendeurs de vent
« De Lumumba, il ne reste que le nom et la charge émotive », affirme Philippe Biyoya Makutu, professeur de sciences politiques aux universités de Kinshasa et de Lubumbashi. D’après lui, personne sur la scène politique ne se réclame plus de Lumumba. « On l’évoque de temps à autre dans certains discours officiels, poursuit- il. Mais ceux qui prétendent lui être restés fidèles, à l’instar du Parti lumumbiste unifié [Palu] d’Antoine Gizenga, l’ancien Premier ministre de Joseph Kabila, sont des vendeurs de vent. Il n’y a aucune prise en charge de notre histoire, aucune idée forte. » Propos que nuance Jean Omasombo Tshonda, professeur de sciences politiques à l’université de Kinshasa et chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren (Belgique). « Il y a des gens qui travaillent à le faire oublier, dit-il. Mais il résiste à l’oubli, refuse d’être enterré. Lumumba est encore une image forte, malheureusement mal exploitée, sans profondeur. Le lumumbisme reste une idéologie floue. »
Le Mouvement national congolais (MNC), le parti de Lumumba, est en déclin. En cause : le « manque de charisme et de convictions » de son fils François Tolenga Lumumba, qui en a hérité. L’intéressé s’en défend : « On peut mettre tout ce qu’on veut dans le mot charisme. Chacun sait que j’avais réussi à déstabiliser Laurent-Désiré Kabila. Notre problème au MNC est simple : nous n’arrivons pas à mobiliser les moyens dont nous avons besoin. Et puis, le jour de gloire n’est pas le même pour tout le monde. » En définitive, Lumumba n’est plus qu’« une ombre épaisse qu’éclairent quelques rayons de soleil », selon l’expression de Philippe Biyoya Makutu.
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