L’Autre Dumas : un film raciste ?

La polémique enfle. Pourquoi donc Safy Nebbou a-t-il choisi un acteur Blanc, en l’occurrence Gérard Depardieu, pour incarner l’écrivain métis Alexandre Dumas ? Réponse sans chichis de l’historien Claude Ribbe*.

Claude Ribbe est écrivain, historien et biographe d’Alexandre Dumas © Agnès Caporal

Claude Ribbe est écrivain, historien et biographe d’Alexandre Dumas © Agnès Caporal

Publié le 12 février 2010 Lecture : 3 minutes.

Après des éloges convenus découlant mécaniquement d’une campagne promotionnelle très organisée, il aura fallu une rare unanimité de la communauté afro-antillaise pour que ses protestations à propos du film de Safy Nebbou, L’Autre Dumas, soient mentionnées dans la presse. On retiendra sans doute la vive indignation suscitée par le choix de Gérard Depardieu pour incarner un auteur que l’on considèrerait aujourd’hui comme « noir ». Certains ne manqueront pas de riposter, avec leur habituelle mauvaise foi, en accusant les détracteurs du film de « communautaristes ». En fait, le choix de l’acteur, même s’il est important, n’est qu’un aspect du problème. Ce qui est grave, c’est que ce film est une véritable charge contre Alexandre Dumas.

Cette attaque délibérée se place dans la droite ligne d’un pamphlet raciste publié par Eugène de Mirecourt, en 1845, et qui déboucha sur un procès gagné par l’auteur des Trois Mousquetaires. La méthode utilisée, cette fois, est plus subtile : on ne reproche plus à l’écrivain sa négritude, mais on la nie en la reportant sur Maquet, un simple collaborateur élevé au rang de héros. C’est la négation de cette négritude qui justifie le choix de Depardieu dans l’esprit du réalisateur et des producteurs. Pour eux, le nègre c’est Maquet. L’esclave, c’est Maquet. Dumas, c’est Maquet. Le fils du général né captif en Haïti n’est plus qu’un imposteur dont on doute – à la limite – qu’il soit capable d’écrire une seule ligne.

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L’affiche du film "L’Autre Dumas", sorti en France le 10 février

Cette stratégie ne peut pas relever du hasard au moment où les origines de Dumas sont mieux connues des Français, au moment où leur président de la République s’apprête à fouler le sol haïtien. Les producteurs et le réalisateur, en s’attelant au premier film français jamais consacré à Alexandre Dumas, endossaient une responsabilité particulière. Ils ont choisi le déni et la provocation. Dans l’espoir, peut-être, que la polémique qui s’ensuivrait servirait la carrière du film et donc leurs intérêts. Ils risquent bien de s’être trompés. Ce que les Français ont envie de voir aujourd’hui, c’est précisément tout ce que ce film caricatural leur cache.

Depardieu déclare qu’il « se fout d’être Français ». Mais les Français, pour lesquels Alexandre Dumas est un repère important, se foutent de Depardieu. Ce qui leur importe, c’est de découvrir enfin le vrai visage de certains héros : ces héros de l’histoire de la « diversité » (même si je n’aime guère ce mot).

Plus surprenant : la télévision du service public a apporté sa caution au projet, au moment même où elle prétend s’ouvrir enfin à cette même « diversité ».
Les protestations de ceux qui ont vu en L’Autre Dumas un film raciste sont légitimes. Alexandre Dumas, au même titre que le général Dumas, son père, font partie de ces héros consensuels au visage sombre dont la France a aujourd’hui besoin pour se reconnaître et se rassembler. Qui était assez fou pour penser qu’on pourrait impunément lyncher et ridiculiser une figure comme Dumas ? Une telle entreprise, si elle avait été menée aux Etats-Unis, aurait déclenché un tel tollé que le film ne serait même pas sorti. Le fait qu’il ait pu aboutir en France, avec des aides publiques, démontre qu’il y a un vrai malaise dans les mécanismes d’aide à la production. Puisse l’exemple de L’Autre Dumas servir de leçon et empêcher d’autres dérives, tout en facilitant la mise en chantier de films que les Français ont vraiment envie de voir.
 

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Claude Ribbe est un écrivain français né à Paris le 13 octobre 1954. Par ses parents, il est originaire à la fois de la Guadeloupe et de la Creuse. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à Dumas dont une biographie: Le Diable Noir.

Il milite depuis des années pour que le Général Dumas soit décoré de la Légion d’honneur à titre posthume. Vous pouvez signer sa pétition ici.

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