Le Maroc a une reine

Publié le 7 juillet 2009 Lecture : 5 minutes.

Il y a toujours trois façons d’ausculter un mariage royal. Celle des paparazzi, celle des ethnologues et celle des observateurs politiques. Ce qui importe ici est bien la troisième. Non pas que les noces en deux temps – le 21 mars, tout d’abord, à Rabat, puis du 12 au 15 avril à Marrakech – de Mohammed VI et de Salma Bennani relèvent d’une froide stratégie matrimoniale à la marocaine, où l’alliance politique exclut la romance privée : sur ce plan, le fait que le souverain n’ait pas choisi, comme son père et son grand-père, une Berbère issue d’une grande confédération tribale pour devenir la mère de ses futurs enfants démontre que le temps est révolu où le trône se devait de lutter en permanence contre les tendances scissipares des provinces frondeuses. Mais ce mariage annoncé, public et médiatisé, pour la première fois dans l’histoire du royaume, est en soi un petit séisme sociologique, vécu comme tel par l’ensemble des Marocains. Un choc psychologique d’où peut sortir le meilleur, mais qui n’est pas tout à fait sans risques.

Désormais Altesse royale comme les soeurs de son époux à défaut d’être tout à fait reine – elle le sera de facto à défaut de l’être de jure, puisqu’« il n’existe pas de reine en Islam », a rappelé lui-même Mohammed VI -, Salma Bennani est née il y a vingt-quatre ans dans une famille de la petite bourgeoisie de Fès. Sa mère, une Bensouda, décède alors qu’elle n’a que 3 ans. Son père, un enseignant, se remarie, mais Salma, qui n’est guère heureuse dans ce foyer recomposé, se réfugie chez sa grand-mère adorée qui, en fait, l’élèvera. Un peu Cosette, un peu Cendrillon, Salma poursuit une scolarité exemplaire. Bachelière à 17 ans, elle intègre, après deux années préparatoires (math sup. et math spé.), l’une des meilleures grandes écoles du royaume : l’Ensias de Rabat – spécialisée dans l’informatique et l’analyse des systèmes. Elle en sortira au bout de trois ans, diplôme d’ingénieur en poche et major de sa promotion. Fin 2000, elle est embauchée par l’ONA, premier groupe privé du Maroc, après un stage concluant.

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Déjà, pourtant, la vie de Salma a basculé. Début 1999, quelques mois avant la mort de Hassan II, cette jeune fille extrêmement rangée, à qui on ne connaît aucune aventure, a fait la connaissance du prince héritier Sidi Mohammed au cours d’une soirée privée. Élancée, mince, rousse, vive et discrète à la fois, elle est immédiatement remarquée par cet homme de 34 ans qui estime – et ne s’en cache pas – que la femme est l’avenir du Maroc. Sérieuse, moderne, affirmée, Salma Bennani aurait, dit-on, signifié à son futur époux qu’à ses yeux une relation n’était concevable que si elle débouchait sur le mariage et que ce dernier ne pouvait s’inscrire que dans le cadre de la monogamie. Des desiderata – on n’ose dire des exigences – partagés par celui qui, le 23 juillet 1999, succédait à son père sous le nom de Mohammed VI.

Une fois effacée (et officiellement démentie) cette fausse rumeur selon laquelle le nouveau roi s’était secrètement marié au lendemain de la mort de Hassan II, l’une des premières décisions du souverain est en effet de liquider – avec tact et en douceur – cette part encombrante de l’héritage qu’est le harem. La trentaine de concubines qui entouraient Hassan II sont très discrètement éloignées du palais de Rabat, relogées dans des villas ou des appartements et dûment pensionnées. Lalla Latefa, la mère de Mohammed VI, de son frère et de ses soeurs, n’est évidemment pas touchée par cette mesure. Un pan d’archaïsme s’écroule. Une vraie rupture. Lorsque, le 12 octobre 2001, le roi fait connaître aux Marocains ses fiançailles avec Salma, les députés réunis au Parlement pour l’ouverture de la session de rentrée l’applaudissent longuement. Humblement, celui qui jouit du titre de Commandeur des croyants porte ses deux mains à sa poitrine, cinq fois, six fois, puis esquisse un sourire. La satisfaction avec laquelle est accueillie cette annonce n’est pas feinte. La fragilité dynastique que certains avaient cru percevoir derrière le célibat prolongé d’un souverain de 38 ans n’est plus de mise. À l’évidence, le trône et les institutions sortent renforcés de ce qui n’aurait été ailleurs qu’un carnet rose. Aussitôt, les premières photos de Salma Bennani, posant au milieu de ses camarades de classe, circulent sur Internet. Elles sont aujourd’hui à la « une » de toute la presse marocaine – une révolution.

Reste qu’au-delà des histoires d’amour, un mariage royal a toujours été une façon de relier la monarchie aux fractions significatives du peuple marocain. Celui-là n’échappe donc pas à cette règle d’État. Les gendres de Hassan II ont ainsi correspondu à un casting géopolitique qui n’excluait pas la sincérité des sentiments. Fouad Fillali, l’ex-époux de Lalla Meryem, représentait la vieille bourgeoisie fassie originaire du Tafilalet ; Khalid Bouchentouf, le mari de Lalla Asma, le capitalisme populaire de Casablanca, et Khalil Benharbit, conjoint de Lalla Hasna, la haute fonction publique et la région de l’Oriental aux marches de l’Algérie. Salma Bennani, elle, est un peu l’archétype de la Marocaine moderne, éduquée, active dans un secteur de pointe qui passionne le roi, ouverte sur le monde du travail dont elle a une (courte) expérience. Un message clair dont on ne sait encore comment l’intéressée le traduira, avec l’accord du souverain, dans les années à venir. Une chose est sûre : elle devrait apparaître désormais aux côtés de son époux, y compris lors de certains voyages officiels, sans pour autant en faire trop pour ne pas prendre à rebrousse-poil une opinion encore très attachée aux traditions – y compris en ce qu’elles ont de misogyne. L’exemple à suivre sera donc celui qu’incarne aujourd’hui Rania de Jordanie, l’épouse du roi Abdallah, beaucoup plus qu’hier Jihane Sadate, Wassila Bourguiba ou la shabanou. Comment réagiront les islamistes marocains, dont on connaît à la fois la vigueur mais aussi la relative modération, face à ce bouleversement ? Elle-même très médiatisée, Nadia Yassine, leur principal porte-parole, serait mal venue de s’offusquer, mais le courant ultraconservateur des vieux oulémas pourrait, lui, grincer des dents et le faire savoir au détour de quelques prêches.

Pour l’instant, l’heure est à la félicité et à l’engouement national que suscite la perspective des cérémonies de Marrakech. Comme il est de coutume, deux cents couples s’uniront au même lieu et au même moment que le roi, sur la place du Mechouar. Chacun d’entre eux a été sélectionné avec soin par le ministère de l’Intérieur. Venus de tous les arpents du royaume et de toutes les couches de la société, ils dessineront la carte composite du Maroc des cités et des tribus, regroupés autour de la monarchie fédératrice. Un moment d’état de grâce, une respiration embaumée de fleurs, avant le retour sur terre.

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