Le roi, le peuple et la révolution

Publié le 7 juillet 2009 Lecture : 4 minutes.

Comme le Maroc change ! Et comme il demeure immuable ! En une année, le royaume engourdi a subi une extraordinaire cure de jouvence et de libertés, au risque d’étourdir, comme par excès d’oxygène, un peuple que l’air raréfié du long règne de Hassan II avait fini par anémier. Pourquoi bouder son plaisir ? Dans le monde arabe, et au Maghreb en particulier, les occasions d’assister à un pareil spectacle de catharsis nationale, mis en scène par un chef d’État aussi populaire, sont exceptionnelles. Qui d’autre que Mohammed VI a eu le courage tranquille d’affronter les fantômes du passé et de fracasser les mythes ? Ben Barka, Serfaty, Yassine, Abdelkrim, Oufkir, Tazmamart, Kalaat Mgouna, Derb Moulay Cherif : plus aucun nom n’est désormais tabou au Maroc. Les journaux abondent en récits de torturés, les commissaires se repentent, la télévision gomme de son générique les scènes d’allégeance, l’agence officielle MAP devient une vraie agence de presse, on parle sans crainte d’être écouté, suivi, puni. Chargée de statuer sur les « victimes de disparitions et de détentions arbitraires », l’instance indépendante d’indemnisation a reçu près de six mille dossiers, examiné 148 cas, dont 69 ont été réglés, et distribué 14 millions de dirhams. Partout éclosent les cent pleurs des revendications sociales, culturelles, politiques, comme si le couvercle s’était soulevé, découvrant un espace quasi illimité de contestation, parfois stérile, souvent féconde.

Au-delà, c’est à une véritable réconciliation des Marocains avec la famille royale que l’on assiste. Non pas que la monarchie, sous Hassan II, fût jamais mise en équation. Mais elle inspirait beaucoup plus de peur et de respect que d’affection. Roi de coeur, frère de princesses elles aussi militantes en leur domaine (les enfants pour Lalla Meriem, l’environnement pour Lalla Hasna), Mohammed VI est aujourd’hui adulé par le peuple, même s’il est de bon ton, chez certaines élites, d’ironiser sur cette « sidnamania ». Un an après, il est vrai, l’état de grâce ne donne aucun signe d’essoufflement. Comme si le nouveau souverain, par-delà la « parenthèse » Hassan II, avait renoué avec la popularité qui fut celle de son grand-père Mohammed V à l’époque de « la révolution du roi et du peuple ». Un demi-siècle plus tard, le Maroc vit à nouveau une sorte de révolution par le haut et la monarchie s’en trouve régénérée.
« L’effet M6 » a eu, en outre, pour conséquence d’ôter une partie de sa légitimité au gouvernement d’alternance, dont chacun s’est souvenu qu’il était sorti des livres de recettes du roi défunt. Les ministres de la Koutla ont pris un sacré coup de vieux et l’allure d’une équipe de transition. Au sein de la classe politique aussi sonne l’heure des successions douloureuses. La culture du « mouvement national » des années cinquante et soixante a vécu. L’Union socialiste des forces populaires, parti urbain de fonctionnaires et de cadres, navigue entre ses tendances scissipares et le vieillissement de ses chefs. L’Istiqlal, dont la clientèle de classes moyennes, de commerçants et d’artisans est atteinte de plein fouet par la mondialisation, hésite entre ouverture et repli sur soi. Dans ce nouveau paysage en gestation, d’autres acteurs frappent à la porte, que nul ne songe à négliger. Les associations tout d’abord, qui foisonnent avec insolence dans les domaines des droits de l’homme et de la défense des intérêts sectoriels, débordent joyeusement les partis. Les islamistes ensuite, actifs, omniprésents, souvent inquiétants.

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Les militants de Cheikh Yassine et d’Al Adl wal Ihsane ne sont-ils qu’une bulle gonflée par les médias, une organisation d’extrême droite comptant tout au plus cinq mille partisans actifs organisés de façon paramilitaire, habiles à capter l’attention de journalistes occidentaux nourrissant à leur égard un curieux mélange d’attraction et de répulsion ? Ou s’agit-il d’un mouvement profond, enraciné, authentique, représentatif du désarroi de la société marocaine ? Un peu des deux, sans doute. Très différente du tout répressif d’hier, la politique suivie à leur égard par le nouveau Commandeur des croyants Mohammed VI se résume à ceci : les islamistes sont des Marocains comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Liberté donc pour leur chef Abdessalam Yassine, mais interdiction de créer un parti politique à connotation religieuse, interdiction d’adopter des comportements sectaires ou de prêcher dans les mosquées si le ministère des Habous ne l’a pas dûment autorisé. À l’évidence, ce que cherche Yassine – la reconnaissance et le dialogue – n’est pas pour demain.

Hormis le palliatif de l’humanitaire et du caritatif – qui fonctionne à plein régime -, le meilleur moyen d’ôter aux islamistes leur vivier de recrutement est de s’attaquer au Maroc immuable des inégalités, que la première année du règne de Mohammed VI n’a fait qu’effleurer. Selon les statistiques officielles, 19 % de la population marocaine (soit 5,3 millions de personnes) vit en dessous du seuil de pauvreté et 70 % des pauvres survivent à la campagne, dans une ceinture géographique qui va d’Oujda au Nord à Ouarzazate au Sud. C’est cette misère qui engendre le phénomène d’émigration clandestine permanent, en constante adaptation, dont l’Europe a si peur. Le détroit de Gibraltar de plus en plus surveillé et verrouillé, une autre filière a aussitôt été mise en place, qui part d’Agadir, rejoint Laayoune et gagne les îles Canaries à bord d’embarcations de fortune… « Quoi que je fasse, ce ne sera jamais assez bien pour le Maroc », confiait, il y a peu, Mohammed VI, avant d’ajouter : « Il n’est pas bon que je sois le seul recours des Marocains : hélas, je ne puis pas tout faire. » À en juger par l’extraordinaire engouement qu’il suscite, c’est pourtant le cas.

À bord des pateras échouées sur les côtes du monde riche, les policiers découvrent parfois, au milieu des effets personnels et des boîtes de conserves, un portrait du roi soigneusement emballé. C’est la seule image du Maroc qu’emportent, pour leur voyage sans retour, les damnés de la mer…

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