Paroles de roi

Crise avec l’Espagne, Sahara… M6 s’est montré particulièrement pugnace dans le discours du Trône.

Publié le 7 juillet 2009 Lecture : 4 minutes.

Hassan II avait toujours fait de ses discours du Trône – l’équivalent marocain du discours sur l’état de l’union aux États-Unis ou de la traditionnelle interview du 14 juillet en France – un rendez-vous privilégié avec son « cher peuple ». Celui que son successeur Mohammed VI a prononcé le 30 juillet à Tanger s’inscrit à l’évidence dans cette tradition : le roi s’y est montré, trois ans après son accession au pouvoir, tout particulièrement pugnace et désireux de démontrer qu’il avait barre sur les destinées de la nation. Nul n’en doutait, certes, mais entre la crise avec l’Espagne, le casse-tête saharien et les législatives d’octobre prochain, il n’était pas inutile de fixer le cap…

L’Espagne, tout d’abord. Adossées en quelque sorte au détroit de Gibraltar, à quelques encablures du rocher de Leila, les petites phrases du souverain sur « l’occupation par l’Espagne de Sebta, Melilla et des îles avoisinantes, spoliées dans le nord du royaume », ainsi que sur « l’agression armée du gouvernement espagnol », prennent une résonance quasi martiale. L’affaire de Leila n’était donc pas le fruit d’un coup de tête, mais entrait dans le cadre d’un plan de parachèvement de l’unité nationale : il fallait que cela soit dit. Sur le même registre patriotique, martelé par un Mohammed VI qu’on ne connaissait guère, la véritable charge menée contre tout projet de partition du Sahara occidental ne peut que faire grincer des dents à Alger. Lorsque le roi fustige ceux qui « par leurs attitudes ne font que dénaturer et effriter » l’unité maghrébine, lorsqu’il rejette « la conspiration, le démembrement et la lâche défection », ce sont bien les dirigeants algériens qu’il vise, même si le nom n’est jamais prononcé. À son voisin, Mohammed VI reproche à mots à peine couverts de saboter l’UMA, de prendre le parti de l’Espagne dans la crise des enclaves et de rechercher en permanence « l’émiettement de l’intégrité territoriale du Maroc ». Rien de moins. S’il fallait encore une preuve que les relations entre les deux pays sont au plus bas depuis une bonne décennie, elle est là.

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Sur le plan intérieur, l’heure est au volontarisme et à la mobilisation des énergies. « L’économie de marché n’est pas un mal, le profit n’est pas une tare, la mondialisation n’est pas un danger », s’est exclamé M6, avant de déplorer que le Maroc continue d’être « pénalisé par ses carences en matière de productivité, de création des richesses et de leur répartition sociale ». La critique de la frilosité des investisseurs locaux – et de la bourgeoisie marocaine en général – est certes un thème récurrent chez le roi, mais elle s’exprime avec une force particulière en cette année de vaches maigres. Lorsque le fils de Hassan II s’en prend à « ceux qui rêvent de confort douillet, frileux et attentiste, répandant découragement et désespoir », c’est bien cette classe de nantis qui cultivent le « maroco-pessimisme » avec autant d’assiduité que leurs comptes en banques à l’étranger qu’il tient dans son collimateur. Volontarisme aussi en ce qui concerne le grand rendez-vous électoral annoncé pour le 2 octobre prochain. Pour la énième fois, Mohammed VI – qui qualifie au passage cette échéance de « mise à niveau politique du Maroc » – s’engage personnellement à garantir la transparence des législatives : « Nous nous sommes attachés à réunir toutes les conditions et les garanties nécessaires pour que la démocratie soit en définitive le véritable vainqueur de ces élections. » En se plaçant ainsi en première ligne, le souverain met en jeu sa propre crédibilité, ce qui ne manque pas de panache mais comporte aussi des risques : l’administration sera-t-elle à la hauteur ? Les vieux réflexes ont-ils disparu ? Et quid du rôle, dévastateur, de l’argent ? Manifestement, le roi tient à avoir en main, à l’issue du scrutin, une carte politique réelle et représentative de son pays. S’il y parvient, le Maroc aura fait un bond en avant historique…

Lorsque Mohammed VI, enfin, exhorte les Marocains à « rester vigilants et constamment mobilisés pour que cette démocratie ne soit pas récupérée, détournée et instrumentalisée », c’est avant tout aux islamistes qu’il pense et au danger que pourrait représenter une percée significative du courant religieux, à l’intérieur et à l’extérieur du jeu électoral. « Nous veillerons, encore et toujours, à nous prémunir de toutes les formes d’extrémisme et d’intégrisme », précise-t-il, avant de remercier à deux reprises l’armée, la police et les services de sécurité pour avoir su « déjouer un complot terroriste dirigé de l’étranger ». Allusion limpide aux trois Saoudiens d’el-Qaïda arrêtés fin mai. Et au choix sans complexe de l’alliance avec l’Amérique impériale post-11 septembre. Les esprits chagrins objecteront peut-être que sur la centaine de paragraphes que contient le discours du 30 juillet, seuls trois sont consacrés au drame palestinien. Mais c’est ainsi : alors que chaque jour ou presque des émigrés clandestins se noient dans le détroit de Gibraltar en tentant de rejoindre l’eldorado européen, qui donnera tort à Mohammed VI de penser et de dire « Morocco first » ?

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