Le flic et l’arpenteur

Publié le 7 juillet 2009 Lecture : 2 minutes.

«Le passé n’est pas fugace, il reste sur place. » Au Maroc, cette phrase de Marcel Proust est une évidence tant le poids de l’Histoire, n’en déplaise aux jeunes gens pressés de la « génération zapping », encombre le présent de son arrière-faix. Pourtant, une page s’est sans doute tournée définitivement le 8 décembre lorsque Moulay Ahmed Alaoui s’en est allé rejoindre le défunt Hassan II dans l’au-delà des grands hommes et de leurs serviteurs illustres. Vieux gardien du palais irascible et généreux, féodal et accueillant, propagandiste acharné du trône et de la dynastie alaouite, du Sahara marocain et de la pérennité monarchique, celui que la maladie avait depuis plusieurs années transformé en une sorte de relique est mort, emportant avec lui ses secrets, petits et grands, et ses Mémoires, qu’il n’a hélas ! jamais rédigés. Moulay Ahmed Alaoui fut au souverain ce qu’une boîte noire est à un avion : inlassable arpenteur du royaume, sismographe à l’écoute de ses pulsions, rapporteur des faits et gestes de chacun, d’une absolue fidélité. 

Le hasard a voulu que, quelques jours avant le décès de ce symbole de l’absolutisme éclairé, un autre homme du passé s’exprime dans les colonnes d’un hebdomadaire local – Le Journal, en l’occurrence. Driss Basri, l’ancien vizir de Hassan II, n’aimait guère Moulay Ahmed Alaoui, qui le lui rendait bien. Mais les deux hommes étaient complémentaires au sein d’un jeu de rôles – Père Noël et père Fouettard – dont le roi seul tirait les ficelles. « Je lui dois tout, c’était un être d’exception », dit de Hassan II celui qui fut longtemps son premier flic, avant d’ajouter, dans un curieux lapsus, comme si le monarque n’était pas mort, que son fils ne régnait pas et que lui-même, Driss Basri, était toujours en fonction : « Je ne suis rien d’autre qu’un fidèle serviteur de l’État et de la monarchie, un collaborateur de Sa Majesté Hassan II. » 

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L’un, Moulay Ahmed, n’est plus. L’autre, Driss Basri, est comme pétrifié, momifié par le souvenir d’un règne dont il se veut le Cerbère éternel. Pour eux, jusqu’à la fin, le passé est resté et restera sur place. Une posture qui a le mérite de rappeler à quel point le Maroc de Mohammed VI a évolué – en bien – dans le sens de l’adéquation entre la monarchie et les citoyens et de l’adaptation du royaume aux multiples exigences de la mondialisation. En juillet 2003, « M6 » entrera dans sa cinquième année de règne. Droits de l’homme, liberté d’expression, attention portée aux plus démunis, comportement moins arrogant des agents d’autorité, fin du « tout-impunité » pour les riches et les puissants : le royaume, sous sa conduite, a changé pour de bon, même si le gouffre des inégalités et le fléau de la misère sociale demeurent intacts. Pour autant, couler dans le moule unique des « années de plomb » l’héritage de son père serait un contresens. Nul en effet ne saurait oublier que, dans le sang et les larmes parfois, l’arbitraire toujours, c’est d’un État que les Marocains ont hérité un jour de juillet 1999. Et que cet État, comme tout autre, ne saurait survivre et, surtout, appliquer les réformes annoncées, sans être fort et respecté.

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