L’islam en chantier
Pour le roi Mohammed VI, la réforme religieuse est aussi importante que n’importe quel grand défi économique. Comme il l’a rappelé devant le Conseil supérieur des oulémas, dans son discours du 27 septembre.
Pour les musulmans, la Nuit du destin, qui coïncide avec le vingt-septième jour du ramadan, commémore la Révélation du Coran au prophète Mohammed. Cette nuit-là, assure la Tradition, les portes du ciel s’ouvrent et les vœux des fidèles sont exaucés. Le vœu du roi Mohammed VI ?
L’avènement dans son pays d’un islam à la fois orthodoxe et ancré dans la modernité. Pour le successeur de Hassan II, la réforme de l’islam est un chantier aussi important que Tanger-Med ou l’aménagement des rives du fleuve Bouregreg, à Rabat. Il a choisi précisément le 27 septembre (vingt-septième jour du ramadan) pour s’adresser, à Tétouan, au Conseil supérieur des oulémas et faire le point sur la « réforme globale du champ religieux » engagée solennellement voilà quatre ans. Cette réforme porte sur les institutions religieuses, le personnel qu’elles emploient et sur ce que M6 appelle la « sécurité spirituelle ».
Mais d’abord un point de doctrine mis en exergue dans le discours fondateur prononcé devant les oulémas, le 30 avril 2004, à Casablanca. Sur les « affaires d’ici-bas », explique le roi, la divergence est la norme. Ainsi le veut la démocratie, et Sa Majesté n’en disconvient pas. En revanche, « la question de la religion exige que l’on s’attache à notre référentiel historique unique, à savoir le rite malékite sunnite ». C’est sur lui que la nation marocaine s’est construite et il revient au monarque, Amir el-Mouminine (« Commandeur des croyants ») d’en assurer la sauvegarde. Tel est « son devoir et sa mission ». Pour que nul n’en doute, Mohammed VI déclare ceci : « Nous considérons que notre attachement à notre unité doctrinale au plan religieux s’apparente à notre engagement constitutionnel pour défendre l’intégrité territoriale et l’unité nationale. »
Une telle profession de foi du Commandeur des croyants est directement liée au 11 Septembre et à l’émergence du salafisme djihadiste. En outre, l’affirmation de l’unité doctrinale centrée sur l’école malékite n’est pas étrangère à la montée en puissance de l’Iran et des manifestations de prosélytisme d’origine chiite. Pour faire face, le roi avait annoncé une « stratégie globale » afin de prémunir le royaume contre « l’extrémisme et le terrorisme » et préserver son « identité frappée du sceau de la modération et de la tolérance ».
La première expression de la réforme concerne les mosquées. Une direction a été créée à cet effet au ministère des Affaires islamiques : elle se préoccupe aussi bien de leur financement (parfois opaque) que des normes architecturales. Les mosquées sauvages des quartiers périphériques de Casablanca fréquentées par les kamikazes des attentats du 16 mai 2003 ont cédé la place à quelque vingt lieux de culte plus sereins. Sur l’ensemble du pays, 104 mosquées ont été érigées en 2007. Le budget y afférent est passé de 182 millions à 302 millions de dirhams. Au total, le royaume compte aujourd’hui 41 755 mosquées.
L’effort du ministère a porté parallèlement sur le personnel. On a recruté en 2007 pas moins de 1 253 préposés au culte, qui sont surtout des récitants du Coran, 150 imams et 50 morchidate (assistantes religieuses). On s’est encore préoccupé de la condition sociale de ce lumpenprolétariat qu’est le personnel des mosquées, lequel désormais reçoit un salaire et bénéficie de la protection médicale.
Commandeur des croyants
À un niveau plus élevé, la réforme royale s’est traduite par la refonte du Conseil des oulémas, appelé à accueillir les « théologiens connus et reconnus », choisis, précise Amir el-Mouminine, pour leur « capacité d’allier érudition religieuse et ouverture sur la modernité ». Ils quadrillent le territoire et ont pour mission notamment d’être « à l’écoute des jeunes », de manière à les protéger contre les « égarés et les mystificateurs ».
Ici encore, M6 donne libre cours à son féminisme. Dans les conseils, auprès des vénérables oulémas, siègent de respectables alimate, des femmes dont le savoir théologique et la compétence n’ont rien à envier à ceux de leurs collègues masculins. Qu’en est-il des fatwas, ces avis autorisés à propos de questions religieuses inédites ou controversées ? En cas de besoin, le Conseil supérieur des oulémas soumet un projet au Commandeur des croyants, qui tranche en toute souveraineté.
L’engagement de Mohammed VI, qui ne surprend personne au Maroc, n’est pas toujours compris à l’extérieur. Son attitude paraît intempestive, excessive, injustifiée. En vérité, le 23e monarque de la dynastie alaouite est dans son rôle. Dans le cas contraire, il faillirait à ses obligations les plus élémentaires. Commandeur des croyants (et non des seuls musulmans puisqu’il est également en charge de la protection de ses sujets juifs) n’est pas un titre symbolique ou superfétatoire. C’est une fonction essentielle, consubstantielle à la monarchie. Traditionnellement, ses attributs s’énoncent ainsi : il est « Commandeur des croyants, protecteur de la religion et de la nation ».
Mohammed VI se réfère sans cesse, surtout lorsqu’il intervient dans le domaine religieux, à son « ancêtre », le prophète Mohammed. De même invoque-t-il régulièrement le « pacte sacré qui le lie aux Marocains », c’est-à-dire la bay‘a, l’acte d’allégeance, qui est renouvelé chaque année à l’occasion de la fête du Trône. Or l’ascendance prophétique et la bay‘a, sont tout simplement les deux principes qui fondent la légitimité dans la doctrine du pouvoir en islam.
Curieusement, ce sont Allal El Fassi, le leader de l’Istiqlal, et Abdelkrim Khatib (président du premier Parlement qui vient de disparaître) – et non pas Hassan II -, qui avaient suggéré d’insérer le titre d’Amir el-Mouminine dans la première Constitution marocaine (1962). Et ce « pour bien montrer que le pouvoir était d’origine divine et ne saurait uniquement procéder du référendum ou de luttes de partis ». D’une Constitution à l’autre, le système politique marocain n’a pas changé à cet égard et l’on a affaire aujourd’hui à ce que Mohamed Tozy appelle une « monarchie constitutionnelle de droit divin ».
Ce qui importe n’est donc pas tant la place centrale que M6 donne à la religion, mais la manière dont il le fait et pour quels objectifs. S’il se montre prudent, il est aussi résolument réformiste et entend dépoussiérer l’islam. Au-delà du contrôle des mosquées et de l’organisation des Conseils des oulémas à l’échelon local, la réforme qu’il a lancée exige la mobilisation de la masse des oulémas indépendants, ceux qui façonnent l’opinion. Ce qui est loin d’être acquis. Le roi d’ailleurs ne le cache pas. Dans le discours de 2004, il craignait que les Conseils mis en place par le ministère ne soient des « îlots désertés ». Et à Tétouan, il revient à la charge en invitant « nos honorables oulémas à apporter une contribution plus efficiente au processus de réforme ». Le grand dessein de Mohammed VI d’édifier un nouveau Maroc et son volontarisme achoppent visiblement sur les frilosités et les réflexes conservateurs du Maroc éternel.
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