Ali Ben Bongo, au nom du père…
Fils du chef de l’État, il n’a jamais affiché d’autre intention que celle de travailler aux côtés de son père. Mais dans l’optique d’une future succession, beaucoup prêtent au ministre de la Défense des ambitions présidentielles.
« Il n’y a pas de dauphin. Qui dit que la succession est ouverte ? Je serai candidat en 2012 si Dieu m’en donne encore la force », a martelé Omar Bongo Ondimba (OBO), âgé de 72 ans, au lendemain de sa réélection en décembre 2005. Sans convaincre ses compatriotes ni décourager les prétendants au poste. Homme d’expérience, OBO sait que le pays spécule, scrute, interprète les moindres faits et gestes de son entourage et esquisse les scénarios d’une succession qui obsède aussi bien les caïmans du marigot politique local que le citoyen lambda. Et de toutes les hypothèses envisagées, celle d’un passage de témoin du patriarche à son fils Ali Ben (49 ans) alimente l’essentiel des conjectures.
Bien que nommé en 1999 au poste de ministre de la Défense, Ali Ben Bongo Ondimba n’est pas le seul membre de sa nombreuse fratrie à occuper un poste stratégique dans les rouages de l’État. De tous les Bongo de la galaxie familiale, on peut dire que le couple formé par Pascaline Mferri Bongo, 52 ans, directrice du cabinet présidentiel, et son conjoint, le ministre de l’Économie et des Finances Paul Toungui, est quasiment installé dans l’antichambre du pouvoir. Pourtant, dans l’hypothèse d’une succession « à la togolaise », c’est au fils cadet de 49 ans que la rumeur attribue un destin présidentiel. Comment penser que « Baby Zeus » puisse demeurer hors jeu alors que son parcours rappelle en bien des points celui de Faure Gnassingbé ? Il est vrai que ses fonctions à la tête de la grande muette lui conféreraient un rôle clé en cas de vacance du pouvoir. Et que, sexisme bantou oblige, on l’imagine plus facilement que sa sœur prendre la suite du patriarche. En tout cas, ses adversaires, qui sont convaincus qu’il a envie « d’y aller », préparent donc la bataille de « l’après-Bongo » en le gardant dans leur ligne de mire.
Mais qui est donc cet homme dont les politiciens gabonais aiment tant parler ? Les Librevillois l’aperçoivent parfois au volant d’un bolide roulant à vive allure sur le boulevard du Bord-de-Mer. On l’a même vu parader en cabriolet avec son ami le roi Mohammed VI en marge d’une visite officielle à Libreville du souverain marocain. Cependant, malgré le rôle public qu’il a choisi d’endosser, Ali Ben Bongo Ondimba n’aime pas les feux des projecteurs. Cet homme au physique de catcheur tient, plus que tout, à rester discret. Aussi se méfie-t-il de la presse, qu’elle soit locale ou étrangère. Alors que, depuis le début de l’année, les médias français multiplient les reportages sur les biens immobiliers détenus par sa famille en France, il n’est pas sorti de sa réserve et a laissé des proches organiser la riposte en dénonçant une tentative de déstabilisation du régime.
Premiers pas en politique
Né Alain Bernard Bongo avant de prendre le prénom d’Ali Ben lors de la conversion de la famille à l’islam en 1973, il est le fruit du mariage célébré en octobre 1959 entre Albert Bernard Bongo et Patience Marie Joséphine Kama. Le jeune Ali est envoyé en France, où il effectue ses études secondaires au collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, banlieue huppée de la capitale. Puis il choisit d’étudier le droit à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. À son retour au pays, dans les années 1980, son père l’intègre à son cabinet.
En 1989, il n’a que 28 ans lorsqu’il entre au gouvernement de Casimir Oyé Mba comme ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie. Mais son séjour à la tête de la diplomatie est interrompu par une disposition de la nouvelle Constitution votée en 1991 à la suite de la conférence nationale. Le texte stipule que les membres du gouvernement devront être âgés d’au moins 35 ans. Disqualifié, Ali démissionne et revient dans le giron paternel, au palais du Bord de mer, parfaire son apprentissage politique. Leçon numéro un : pas question d’attendre que le pouvoir lui soit servi sur un plateau : « Quand je m’en irai, indiquait le chef de l’État gabonais dans une interview à Jeune Afrique (J.A. n° 2305 du 13 mars 2005), si mon fils veut faire de la politique, ce sera à lui de se débrouiller, de se faire élire au suffrage universel. Les gens ne voteront pas pour lui juste parce que c’est le fils de Bongo Ondimba. Il peut hériter de ma maison, de ma voiture. Mais il ne peut pas hériter de la fonction présidentielle, qui appartient au peuple gabonais. »
Manifestement, l’élève a retenu la leçon et semble être tenté de relever le défi. Pour donner corps à son projet, il s’entoure de fidèles regroupés sous la bannière du courant des « rénovateurs », créé avec la complicité active d’André Mba Obame. Ce jeune Fang du Woleu Ntem, diplômé de sciences politiques à la Sorbonne, a quitté ses fonctions de porte-parole du Mouvement de redressement national (Morena, opposition), à la fin des années 1990, pour intégrer les rangs du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). C’est grâce à lui que le régime a pu négocier et obtenir le retour au Gabon de l’ancien opposant radical Paul Mba Abessole, pour finalement instaurer le « consensus à la gabonaise ».
Pour imposer leur marque et se faire les dents, les jeunes loups choisissent de secouer le cocotier vieillissant de l’ancien parti unique pour en faire tomber les apparatchiks jugés rétrogrades et peu favorables à l’ouverture démocratique. Les « rénos », dont l’état-major se confond avec le cercle des proches d’Ali tels qu’Alfred Mabika Mouyama ou Germain Ngoyo Moussavou, se font, bien évidemment, beaucoup d’ennemis.
La sanction des urnes
La bataille va se prolonger sur le terrain électoral, où les « rénovateurs » affrontent les caciques du PDG lors des élections législatives successives. Avec un bonheur très relatif… Lors du scrutin de 1996, Ali Ben Bongo va tenter de renforcer ses positions dans la province du Haut-Ogooué pour s’y tailler un fief. Mais en voulant s’arroger le leadership régional, il entre en concurrence directe avec son cousin le général Idriss Ngari, ancien chef d’état-major devenu ministre de la Défense. C’est le début d’une rivalité politico-familiale qui va animer le landerneau politique pendant plusieurs années, l’officier supérieur – et candidat putatif à la succession d’OBO – étant perçu comme le plus irréductible de ses ennemis. Sur le terrain, dans le berceau de la famille à Lewaï (rebaptisée Bongoville), la campagne d’Ali Ben est handicapée par sa faible connaissance de la langue locale. Ses discours prononcés en français à l’adresse d’une population à la fois rurale et illettrée passent mal. « Il est trop éloigné de son électorat. Il ne possède pas de résidence dans sa circonscription, et ne se rend à Bongoville que pour se faire élire », persifle un opposant. Conscient des difficultés rencontrées par son fils, le chef de l’État a dû s’impliquer dans la campagne. Le coup de pouce aura été salutaire : une fois élu, le jeune député va pouvoir poursuivre son ascension.
Adversaires et ennemis intimes
Janvier 1999 : quelques semaines après la réélection de son père à la magistrature suprême, Ali Ben prend définitivement l’avantage. Il fait son retour au gouvernement, en remplaçant Idriss Ngari à la tête du ministère de la Défense. Après un passage plutôt discret aux Travaux publics, le général a été nommé ministre du Tourisme et des Parcs nationaux lors du remaniement du 4 février dernier.
Si OBO se charge d’écarter les concurrents, le chemin qui mène au pouvoir reste parsemé d’embûches. Comme pour le mettre en porte-à-faux, certains ont même propagé une rumeur prêtant au fils le projet de perpétrer un coup d’État contre son père. « Ils ont dit que nous voulions envoyer le président en retraite à Sainte-Hélène [l’île britannique où fut exilé Napoléon après la défaite de Waterloo] » raconte son ami, le ministre de l’Intérieur André Mba Obame.
Comme il est parfois périlleux de s’en prendre au chef des « rénovateurs », certains préfèrent discréditer ses proches. Ainsi Mba Obame a lui-même été accusé en septembre 2006 d’avoir tenté de « vendre » l’îlot de Mbanié à la Guinée équatoriale. La polémique pourrait bien n’avoir été qu’un contrecoup consécutif au débarquement médiatisé d’Ali Ben Bongo sur ce bout de terre présumé riche en pétrole et dont la souveraineté est revendiquée par Malabo. En effet, le 26 février 2004, le ministre de la Défense, encadré de gendarmes et de caméras de télévision, réaffirmait de manière tonitruante la « gabonité » de Mbanié, soignant ainsi sa réputation auprès des plus nationalistes. Pour Mba Obame, les accusations portées contre lui n’avaient qu’un seul objectif : « Mettre à mal les relations de confiance qui règnent entre le père et le fils. »
Au-delà de la rumeur publique, le ministre de la Défense doit également faire face à l’adversité au sein même du gouvernement. Par exemple, Ali, qui soigne sa popularité au sein de la troupe, a particulièrement mal pris le « blocage » par le ministre de l’Économie et des Finances, son beau-frère Paul Toungui, de l’achat d’un hélicoptère affecté à l’hôpital militaire de Libreville. « Il est normal qu’un ministre aussi dépensier soit quelque peu freiné par le grand argentier, dont le devoir est de veiller à la réduction des dépenses de l’État », relativise un haut fonctionnaire. Néanmoins, son entourage se plaint de ce que les réalisations du ministre de la Défense ne sont pas appréciées à leur juste valeur, à l’instar de l’École d’application du service de santé militaire, qui ouvrira au deuxième semestre de 2009.
Après avoir passé presque une décennie à la Défense, Ali Ben Bongo Ondimba affiche un bilan appréciable. Et de toutes les réalisations à son actif, c’est sans doute de la création d’un corps spécialisé du génie militaire qu’il est le plus fier. Même si, sur ce sujet encore, il a dû affronter bien des réticences : un témoin se souvient d’un Conseil des ministres au cours duquel Idriss Ngari, alors en charge des Travaux publics, s’est fermement opposé à l’affectation de cette unité militaire à la réfection urgente d’un tronçon routier névralgique dégradé par la saison des pluies. Et le général n’est pas le seul à faire la grimace face à l’opération de charme de son cousin en direction de la troupe. Il est vrai que, pour soigner sa popularité auprès des bidasses, Ali Ben ne lésine pas sur les moyens : distribution d’uniformes gratuits, dotation en véhicules de patrouille Mercedes tout-terrain, etc. Les nominations et les promotions font également l’objet d’un décryptage au laser, chacun y cherchant confirmation que ce potentiel prétendant à la présidence « place » ses hommes – souvent de jeunes officiers – aux postes clés de l’armée. L’un des hommes les plus en vue de cette galaxie est incontestablement son ancien aide de camp Rock Ongonga, le patron du Régiment parachutiste gabonais (RPG). Mais la promotion de ses proches vaut au ministre de la Défense d’avoir des relations distantes avec son cousin, le général Jean Ntori Longho, chef d’état-major des Forces armées gabonaises, qui désapprouverait, entre autres, la présence de conseillers étrangers (notamment un ressortissant béninois) dans l’entourage d’Ali Ben. L’ancien patron de la gendarmerie, le général Jean-Pierre Doumbeneny, nourrirait également un certain ressentiment à l’encontre de son ministre de tutelle. Officier supérieur proche de la retraite, il n’aurait pas apprécié d’avoir été remplacé en 2002 par le général Honoré Oléry.
Réseaux et carnet d’adresses
Côté business, Ali Ben reste volontairement en retrait, contrairement à son frère cadet, Christian. Âgé de 39 ans, ce diplômé en finances a été nommé en décembre 2002 directeur général de la Banque gabonaise de développement (BGD). Préférant le secteur privé à la scène politique, il s’est illustré en 2006 en participant à la création de Gabon Airlines, transporteur aérien qui a repris les droits de trafic de la défunte Air Gabon. Un temps directeur de la compagnie, Christian Bongo a dû finalement céder les commandes à Michel Tomi et André Giacomoni, gérants de PMU et de casinos en Afrique centrale, réputés proches d’Ali Ben.
Parmi les autres « connexions » d’Ali Ben dans les milieux d’affaires, on peut notamment citer Jean-Pierre Oyiba, directeur de l’Office des ports et des rades du Gabon (Oprag), entreprise dont le ministre de la Défense préside le conseil d’administration. Enfin, il est également proche de l’assureur français Édouard Valentin, dont il a épousé la fille. Le patron de la compagnie Ogar est, par ailleurs, un conseiller très écouté du chef de l’État.
Si ce dernier est détenteur d’un pouvoir à la fois temporel et spirituel en tant que khalife général de l’islam au Gabon, Ali Ben, quant à lui, préside le Conseil supérieur des affaires islamiques (CSAIG). Quoique les musulmans du pays – pour la plupart des immigrants venus d’Afrique de l’Ouest – ne représentent que 1 % de la population, la fonction a l’avantage d’offrir une fenêtre sur le monde islamique et, surtout, un contact avec des bailleurs de fonds du golfe Arabo-Persique. Toutefois, ses réseaux, construits notamment lors de son passage au ministère des Affaires étrangères, demeurent relativement modestes en dehors du pays. Contrairement à la majorité des ténors politiques gabonais, il ne semble pas disposer de relais privilégiés parmi le personnel politique français, dont son père reste l’un des principaux interlocuteurs en Afrique francophone. Compte tenu de la très grande proximité entre Paris et Libreville, ce manque de « connivence » pourrait être considéré comme un handicap pour quiconque envisagerait, un jour, de briguer la succession du « Boss ». Mais plus qu’un bon carnet d’adresses, c’est sans doute le charisme qui permettra au successeur d’Omar Bongo Ondimba de faire la différence. Le goût d’Ali Ben pour la discrétion, voire pour le secret, ne plaide pas en sa faveur. Mais si le fils du président a choisi aujourd’hui de s’effacer pour ne pas « gêner » le Boss, rien ne dit qu’il ne parviendra pas un jour à « faire oublier le père ». Au sens freudien du terme, bien sûr !
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