Wade enfin tranquille ?

Limogé, remplacé par un fidèle du chef de l’État, Idrissa Seck est-il pour autant neutralisé ? L’ex-Premier ministre bénéficie de réseaux de soutien qui vont au-delà de ses camarades du parti au pouvoir.

Publié le 13 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

De mémoire d’observateur, aucun remaniement ministériel n’a jamais été, dans l’histoire du Sénégal indépendant, aussi long à réaliser. Ni aussi houleux. La décision d’ouvrir le gouvernement à l’opposition, lancée dès la fin août 2003, réitérée le 23 janvier 2004 par le président Abdoulaye Wade dans le journal français La Croix, n’a cessé d’alimenter une guérilla au sommet de l’État. Jusqu’à la rupture entre le chef de l’État et son Premier ministre Idrissa Seck, et la nomination à sa place, le 21 avril, du ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Macky Sall.
Les couacs n’ont pas fait défaut à la formation du sixième gouvernement depuis l’arrivée de Wade au pouvoir, en mars 2000 : hostilité ouverte de Seck à l’entrée dans l’équipe de Djibo Kâ, leader de l’Union pour le renouveau démocratique (URD, opposition) ; démission inattendue, le 20 avril, de Modou Diagne Fada, ministre de l’Environnement ; menaces de l’imiter de son collègue de la Jeunesse, Aliou Sow, et d’une dizaine de députés du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) ; violentes protestations du Mouvement des étudiants et élèves libéraux (Meel) et de l’Union des jeunesses travaillistes et libérales (UJTL) contre « la liquidation de Fada par les comploteurs du palais » ; sortie remarquée de Madické Niang, titulaire du portefeuille de l’Énergie, qui dénonce « un chantage » contre le chef de l’État ; situation de quasi-insurrection des jeunes de Thiès, fief de Seck, se déclarant « prêts à quitter le PDS si Idrissa Seck est démis de ses fonctions »…
Le chef de l’État et son désormais ex-Premier ministre sont allés de désaccords en incompréhensions. Les médiations entreprises par le président de l’Assemblée nationale, Pape Diop, n’ont pas réussi à recoller les morceaux.
Le contentieux est parti de l’opposition de Seck à partager la table du Conseil des ministres avec le leader de l’URD. Une position qu’un de ses proches justifie en ces termes : « Cela fait désordre d’accepter Djibo Kâ dans un gouvernement d’alternance. Après s’être séparé d’Abdou Diouf avec fracas, il a fait volte-face pour le soutenir au second tour de la présidentielle de 2000, contre Wade. Devenu membre du Cadre permanent de concertation de l’opposition [CPC] après la défaite de Diouf, le même Kâ quitte cette structure pour entrer dans un gouvernement de Wade. C’est malsain. » Une exigence de morale politique, en somme. Mais à peu de frais.
Mais bien davantage que cela, la plus forte divergence est née de la volonté prêtée à Wade de faire le vide autour de Seck, en exprimant un moment l’intention de limoger les ministres jugés trop proches de lui, notamment Pape Diouf (Pêche), Awa Guéye Kébé (Famille, Développement social et Solidarité nationale) et Modou Diagne Fada (Environnement). Fidèle parmi les fidèles du chef de l’État, ce dernier est, en dépit de son jeune âge (35 ans), une pièce maîtresse du PDS. Agitateur à l’université de Dakar au début des années 1990, ancien président du Meel, actuel leader de l’UJTL, il est porte-parole du parti et membre de la Direction politique nationale (DPN, instance dirigeante du PDS).
Après trente ans de compagnonnage avec Abdoulaye Wade (il a adhéré au PDS à 14 ans et quelques mois), exit donc Idrissa Seck. Celui que les Sénégalais surnomment « Idy » ou « N’gorsi » (« le petit bonhomme », par allusion à sa taille), est devenu, au lendemain de la victoire du 19 mars 2000, directeur de cabinet de Wade avec rang de ministre d’État, puis son Premier ministre, le 4 novembre 2002… avant que leurs rapports ne tournent au vinaigre (voir J.A.I. n° 2247 du 1er au 7 février 2004).
Son départ intervient dans un contexte de cacophonie, de polémiques et de déballages entre les pro-Wade et les pro-Idy dans les colonnes des journaux et sur les ondes des radios. Mais, comme pour prendre date, Seck n’a pas démissionné et a tenu à être limogé. Jusqu’au bout, il s’est emmuré dans le silence, s’abstenant de réagir aux attaques des « journaux de la présidence » et de croiser le fer avec ceux que ses partisans désignent comme ses « fossoyeurs » (Farba Senghor, Pape Samba M’boup, Ousmane N’gom, Cheikh Tidiane Sy… tous collaborateurs du chef de l’État).
Numéro deux du PDS, maire de Thiès (une grande ville située à 70 km de Dakar, bastion du syndicalisme indépendantiste sous l’ère coloniale, point de départ de la fronde contre le régime d’Abdou Diouf), Seck est un poids lourd, un homme de réseaux qui a tissé sa toile en plaçant ses hommes à tous les points stratégiques de l’État et du parti.
En dehors de ceux connus dans l’appareil (Modou Diagne Fada, Pape Diop, Mamadou Seck, Pape Diouf…), il est crédité de beaucoup de partisans parmi les 150 membres du secrétariat national et les 500 du bureau politique du PDS, mais aussi au sein de l’Assemblée nationale – comme l’atteste la menace de démission d’une dizaine de députés -, de l’UJTL, du Meel… Un de ses proches assure : « S’ils sont les seuls à défendre Seck ouvertement, Yankhoba Diattara [chargé des relations internationales de l’UJTL et membre de la DPN du parti] et Ndéye Maguette Dièye [vice-présidente de l’Assemblée nationale et maire d’une commune de la capitale] ne sont que la partie visible de ses réseaux au sein du PDS. »
Âgé de 45 ans, ambitieux jusqu’à la caricature, soupçonné de s’être doté de moyens conséquents pour garantir son avenir politique, Idrissa Seck est loin d’avoir pris sa retraite. Il ne peut renoncer de sitôt, lui qui est sorti de Sciences-Po Paris en 1986 (option économie et finances), s’est initié au pragmatisme américain à la faveur d’une formation à l’université de Princeton, et a pris goût à la « politique politicienne » au contact d’Abdoulaye Wade.
Va-t-il s’abstenir de voler de ses propres ailes ? L’unité du PDS survivra-t-elle à ce remaniement de tous les dangers ? Nombre de Sénégalais en doutent.
Une seule certitude, pour l’heure : le départ de Seck ouvre un boulevard à Wade pour gouverner sans entrave. L’ex-Premier ministre était en effet, de source concordante, l’un des rares à porter la contradiction au chef de l’État. Comme il l’a fait, à en croire un membre de l’entourage présidentiel, lors de frictions entre Abdoulaye Wade et le clergé catholique début janvier 2004.
Wade tient donc, en la personne de Macky Sall, son quatrième Premier ministre en quatre ans. Et son énième « homme de confiance ». Fara N’diaye, Serigne Diop, Ousmane N’gom, Jean-Paul Diaz, Idrissa Seck… Nombreuses sont les « doublures » dont Wade s’est séparé. N’est-ce pas là une constante chez le chef de l’État sénégalais : avoir du mal à cheminer avec quelqu’un dans la durée ?

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