Fils prodigue ou enfant terrible ?

Ancien Premier ministre sénégalais et maire de Thiès.

Publié le 13 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

Six mois et dix-sept jours passés derrière les barreaux ne l’ont apparemment pas ramolli. Ni physiquement ni moralement. Idrissa Seck, l’ancien Premier ministre du Sénégal, est resté égal à lui-même : verbe haut, posture de bateleur hors pair, références coraniques appuyées, goût de la formule fleurie souvent frappée au coin de ce bon sens populaire de sa région natale du Cayor, où il est né un jour d’août 1959. Le tout au service d’une ambition dont certains disent qu’elle est l’une de ses principales boussoles. À chaque fois qu’il a fallu oser, Idy, comme l’appellent la plupart de ses compatriotes, n’a pas reculé. Tout au plus, de crainte de l’interprétation qui pourrait en être faite, a-t-il hésité avant de nous rendre visite le 7 mars. Il ne s’en est pas directement ouvert à Béchir Ben Yahmed, qui l’a reçu. Mais celui-ci, pour l’avoir peut-être senti, l’a d’emblée mis à l’aise. « Depuis quarante-cinq ans, l’a-t-il rassuré, Jeune Afrique reçoit qui il veut. Nos relations n’ont jamais été dictées par qui que ce soit. »

Voilà l’ex-chef du gouvernement rasséréné. Assez pour admettre avoir son propre agenda, et ne vouloir heurter personne, surtout pas le président Abdoulaye Wade, hier encore son mentor. Sauf si bien sûr d’aucuns venaient à prendre sa retenue pour un signe de faiblesse et multipliaient provocations et mises en cause. En prison tout comme aujourd’hui, il admet garder contact avec ce dernier par personnes interposées, des relations communes. En attendant de pouvoir discuter de vive voix avec lui. « Sa bouche, mon oreille, ma bouche, son oreille », précise-t-il. D’ici là, l’ancien Premier ministre affirme ne pas souhaiter polémiquer, encore moins entrer dans une logique de conflit. En clair, malgré les pousse-au-crime de lèse-majesté, Idy fera tout pour éviter d’engager une guérilla avec le chef de l’État ou de narguer son entourage, dont il reconnaît cependant ne pas s’être suffisamment méfié. « Parce que, regrette-t-il, j’ai certainement surestimé mes rapports avec le président. »
Seck ne dira pas à qui il fait exactement allusion dans la garde rapprochée de Wade. Il lâchera simplement, mi-sérieux, mi-badin, en avoir plaisanté avec son ami l’écrivain et académicien français, Erik Orsenna, qui trouve que ce serait là un beau sujet de roman. Ce qui commence déjà à l’être à 46 ans, c’est sa vie de militant du Parti démocratique sénégalais (PDS) depuis l’âge de 15 ans, de ministre du Commerce, en 1995, dans le deuxième gouvernement du président Abdou Diouf, sans oublier son passage au cabinet de Wade, en 2000, avec rang de ministre d’État – autant dire de superintendant au Palais et dans le parti -, ni à la primature ou à la maison d’arrêt de Rebeuss, à Dakar, où il a séjourné une première fois en 1988, au lendemain d’une campagne électorale présidentielle ponctuée de violence.
Deux passages par la case prison en moins d’une décennie, voilà qui vous campe un personnage et vous construit une légende. Idy a la sienne. Elle commence précisément à l’issue de son premier séjour derrière les barreaux, quand les militants découvrent dans ce jeune homme, porte-voix et porte-flingue de Wade, une véritable graine de leader. Douze ans plus tard, en mars 2000, à l’heure du grand soir (électoral), Seck, marié et père de famille, n’est plus le plus doué et le plus baroudeur des lieutenants de Wade, il est le seul. Celui qui a dit un jour : « Je suis complètement éteint dans la personne du président de la République. » Une longue vie de militant dans l’opposition, mais aussi des rapports pas toujours faciles avec leur chef de file, ont eu raison de la plupart des autres. Farah N’Diaye (aujourd’hui disparu), Serigne Diop, Ousmane Ngom – tous deux revenus depuis au bercail comme membres du gouvernement – ainsi que Jean-Paul Dias ont dû quitter le parti. Idy, jamais. Crâne d’œuf et, à l’occasion, tête brûlée qui ressemble le plus au père : même bagou, même sens de la réplique, même appétit politique.

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C’est sans doute la fidélité de cet ancien étudiant de Sciences-Po et de Princeton que Wade a récompensée au lendemain de la victoire. Et avec suffisamment de reconnaissance pour laisser penser à certains de ses compatriotes qu’il avait fait de son jeune bras droit son véritable dauphin. Le reste est connu : les accusations de détournements de fonds et d’atteinte à la sûreté de l’État, vicissitudes du combat politique qui ne l’ont pourtant pas fait baisser pavillon. Et qui au contraire l’incitent à maintenir la garde haute, prêt à rendre coup pour coup. Avec ou sans la bénédiction de son mentor, il s’engagera dans la bagarre électorale, à commencer par les législatives de l’année prochaine.
De cela et probablement de bien d’autres choses il entend discuter d’abord avec le chef de l’État. « De sa bouche à mon oreille, de ma bouche à son oreille. » Cela va de soi. Car, à l’écouter, l’opinion sénégalaise ne pourrait comprendre un divorce consommé ou des retrouvailles sincères entre les deux hommes sans explications. Ses propres partisans non plus d’ailleurs.

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