Quelque chose doit changer dans ce pays
Les années Lansana Conté
A l’exception, toute particulière, de l’Algérie, où il a fallu passer par une véritable guerre de libération, s’il est, en Afrique, une indépendance que Paris n’a accordée que de très mauvaise grâce, c’est bien celle de la Guinée. Deux ans avant les autres anciennes colonies françaises du continent – qui ne la revendiquaient d’ailleurs pas toutes –, la Guinée de Sékou Touré a été la première (et la seule) à rompre brutalement le lien colonial, en défiant ouvertement le général de Gaulle. D’où la relative adversité dans laquelle cette nation a vu le jour, le 2 octobre 1958.
Début octobre, Conakry a tenté de commémorer le cinquantième anniversaire de cette accession à la souveraineté internationale. Un carnaval, un feu d’artifice et un défilé des « forces vives » de la nation n’ont cependant pas suffi à ôter à ces festivités cet arôme persistant de morosité, qui trahit davantage l’état général du pays qu’une mauvaise volonté des dirigeants. Comme pour s’excuser de n’en avoir pas fait assez pour cet événement qui aurait dû être un grand moment de réjouissances et de cohésion nationale, les autorités ont annoncé que la commémoration se poursuivra jusqu’à la fin de cette année 2008. Àmoins d’un improbable miracle, on en restera là : il n’y aura pas d’autres festivités!
QUEL CONTRASTE AVEC LE FASTE impressionnant et la liesse populaire des Ghanéens, qui célébraient, eux aussi, il y a tout juste un an, leur demi-siècle d’indépendance! Cette comparaison est d’autant plus affligeante que le Ghana et la Guinée étaient, à la veille des indépendances, les deux États les plus prospères et les plus prometteurs de l’Afrique de l’Ouest. Avec des ressources humaines et des richesses du sous-sol comparables, qui les plaçaient loin devant tous les autres, y compris la Côte d’Ivoire. L’immense Nigeria étant naturellement à part, dans sa démesure.
Depuis un demi-siècle, chacun de ces pays a fait ses expériences, payé le prix de ses erreurs. Mais, dans l’histoire des nations, les erreurs appellent des leçons vigoureuses. Qui peuvent aider à avancer, à évoluer. Et c’est là que semblent diverger les chemins de ces deux États. Le Ghana, depuis une vingtaine d’années, répare méticuleusement les dégâts de ses erreurs et s’efforce de bâtir un État de droit et une économie solide. Le résultat est là, visible à l’oeil nu, qui laisse penser que le pays d’Osagyefo Kwame Nkrumah s’achemine de manière irréversible vers quelque chose que l’on peut oser appeler développement.
La Guinée, pendant ce temps, semble plus que jamais dire non. À toute évolution significative. Elle ne cesse de se décevoir et de décevoir. Qu’avez-vous donc fait des grandes espérances et de la fierté qu’inspirait votre grand pays, partout en Afrique et dans la diaspora, pour avoir eu le courage d’arracher ce droit de vous prendre en charge, au nom de la dignité des peuples africains? À cette question, on ne trouve même plus de Guinéen pour répondre. Hier capitale de tous les panafricanistes d’Afrique, des Amériques et de la Caraïbe, Conakry n’est plus que silence. Un condensé de toutes les frustrations, de toutes les mauvaises confrontations d’une Guinée à bout de souffle.
NKRUMAH A ÉTÉ RENVERSÉ PAR UN COUP D’ÉTAT, en 1966. Le Ghana, depuis, a connu une dizaine de coups et de chefs d’État. En Guinée, Sékou Touré est mort au pouvoir, en avril 1984. Le général Lansana Conté, qui s’est emparé du fauteuil pendant que les héritiers du défunt président s’entredéchiraient autour de sa dépouille, est toujours resté aux affaires. Peu visible, mais là jusqu’au bout. Certains parlent de stabilité politique. Les Guinéens, eux, n’en finissent pas d’attendre un mieux-être annoncé depuis cinquante ans.
Sékou Touré s’est vite révélé un dictateur sanguinaire, contraignant à l’exil un bon quart de son peuple, envoyant des milliers d’autres hommes dans les prisons et les mouroirs du pays. L’Histoire, par moments, lui trouve quelques circonstances atténuantes: l’isolement, scientifiquement organisé, dont a fait l’objet la Guinée dès son indépendance, comme pour faire payer à tous l’affront à de Gaulle. Les débarquements de mercenaires ont succédé aux manoeuvres de déstabilisation, cyniquement facilitées par le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, alors les plus dévoués des alliés de la France en Afrique de l’Ouest.
Les complots, réels ou imaginaires, sont devenus une obsession, prenant le pas sur tout le reste.Sékou Touré, en permanence sur la défensive, a fini par faire passer la survie de son régime et sa sécurité personnelle avant les besoins essentiels de son peuple, qu’il abreuvait, plus que de raison, d’interminables discours. Isolé et encerclé, le dirigeant guinéen s’est jeté dans les seuls bras qui ne lui paraissaient pas hostiles: ceux de l’Union soviétique et de ses satellites. Il y avait certainement meilleure adresse pour tendre vers un semblant de développement économique.
Les chers « camarades » des pays de l’Est, conviés au banquet du sous-sol guinéen, se sont abondamment gavés, n’offrant, en contrepartie, que des armes, pour « combattre l’impérialisme et ses valets locaux »; des bourses d’études, pour former (souvent au rabais) des cadres guinéens; et toutes sortes de pacotille, y compris des chasse-neige, dont l’inutilité, sous le chaud soleil de Conakry, n’avait d’égal que le malentendu sur lequel reposait cette coopération. S’il ne pensait pas spécialement à la Guinée, René Dumont aurait pu se contenter de ce seul pays pour conclure que l’Afrique noire était très mal partie. La Guinée est surtout loin d’être arrivée.
FÉLIX HOUPHOUËT-BOIGNY, dans la Côte d’Ivoire voisine, ne détestait pas de voir la Guinée ainsi embourbée. Comme si l’élève modèle de l’ex-puissance coloniale qu’il se voulait avait besoin de l’échec des autres pour se convaincre de ses succès. Il fallait faire de la Côte d’Ivoire la vitrine de la coopération française en Afrique. Et cela a été fait. Accessoirement, une partie du soutien inconditionnel de Paris à Abidjan a servi à aider les Guinéens en exil à s’organiser, pour en rajouter aux cauchemars et à la paranoïa de Sékou Touré. Sans compter que les déboires de la Guinée devaient aussi contribuer à la docilité des autres États tentés par des infidélités à l’ex-métropole. Ainsi s’est progressivement consolidé ce que certains continuent, aujourd’hui encore, d’appeler « le pré carré » de la France en Afrique.
À la mort de Sékou Touré, et après les inévitables règlements de comptes sanglants entre les militaires qui se sont emparés du pouvoir, le général Lansana Conté, devenu seul maître à bord, a quelque peu desserré l’étau, et nombre d’exilés ont pu revoir leur terre natale. Certains ont même tenté de s’y installer définitivement, avec plus ou moins de bonheur.
On ne sort pas impunément de vingt-six ans de lavage de cerveau. Aussi les Guinéens de l’intérieur, généralement conditionnés par le discours de Sékou Touré, qui présentait les exilés comme des traîtres à la nation, voyaient-ils en leurs compatriotes revenus d’exil de potentiels envahisseurs. Avec un mélange d’envie et de dédain, ils les appelaient « diaspos ». C’est ce que, dans leur mentalité d’assiégés, ils ont pu extraire de plus péjoratif dans le mot diaspora. Il est vrai que certains « diaspos » ont pu réussir leur…intégration. Mais, au gouvernement, dans le monde des affaires, comme dans les quartiers, il demeure comme un rapport de défiance entre ceux qui étaient là et ceux qui sont (re)venus d’ailleurs. De la méfiance, rarement exprimée, mais qui peut, à tout moment, dégénérer. Il faut dire que le pouvoir politique s’accommodait bien de ces inimitiés silencieuses.
ET POURTANT, S’IL EST UN « BIENFAIT », involontaire, de l’ère Sékou Touré, c’est la quantité relativement importante d’hommes et de femmes de qualité qui compose cette diaspora. Les jeunes Guinéens partis en exil pour fuir l’enseignement à la soviétique de l’époque se sont formés dans les meilleures universités d’Afrique, d’Europe et d’Amérique. Conscients de n’avoir plus de pays, ils se devaient d’être les meilleurs pour se faire une place dans leurs pays d’accueil. Peu d’États africains peuvent aligner autant de cadres bien formés que la Guinée. Encore faut-il que ce pays veuille de ces cadres expatriés, et crée, enfin, les conditions pour les inciter à rentrer, comme le font abondamment aujourd’hui… les Ghanéens!
Demandez donc à un Guinéen, quelles que soient ses origines ou ses affinités politiques, de vous indiquer deux ou trois domaines dans lesquels son pays a progressé pendant ce demi-siècle d’indépendance! C’est par le silence qu’il vous répondra. Un silence qui signifie qu’il y a, au moins, un petit problème. Un de ces problèmes qui ont fait dire au défunt pape Jean-Paul II, touchant, à l’époque de Jean-Claude Duvalier, la terre d’Haïti et ses terribles réalités : « Quelque chose doit absolument changer dans ce pays! »
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