« Plutôt l’injustice que le désordre »

Le président de l’Assemblée nationale, dauphin constitutionnel du président Lansana Conté, évoque l’avenir du pays. Il craint que les prochaines élections législatives ne suscitent des troubles.

Publié le 14 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Aboubacar Somparé préside une Assemblée nationale dont le mandat est arrivé à terme il y a plus de dix-huit mois. Mais le dauphin constitutionnel n’est pas pressé de voir se tenir un nouveau scrutin. Ses détracteurs relèvent chez ce proche du président Lansana Conté un certain manque de courage. À 64 ans, il reprend à son compte la rhétorique révolutionnaire, fustige l’Occident et le sectarisme de l’opposition. Très imprégné de l’héritage de Sékou Touré, qu’il revendique, il veut rétablir partout l’autorité de l’État avant que soient organisées des élections. Craint-il des troubles postélectoraux que les forces de l’ordre ne seraient pas à même d’endiguer ? Ou veut-il différer le scrutin pour ne pas perdre son poste ? Il se défend des accusations portées contre lui par l’opposition mais aussi par certains dirigeants du Parti pour l’unité et le progrès (PUP), qu’il agace. Franc et direct, il nous a livré sa vision de la Guinée, comme celle de son avenir personnel.

Jeune afrique : Le pays se prépare aux législatives. On dit que vous êtes opposé à la tenue de ces élections ?
Aboubacar Somparé : Les élections doivent contribuer à renforcer le tissu social et la démocratie. Si elles sont un facteur de désordre dans le pays, je ne suis pas d’accord.

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En quoi peuvent-elles être un facteur de désordre ?
La plupart des partis politiques sont formés sur une base ethnique.

Les partis réfutent ces accusations…
Mais la réalité est là. Regardez la composition de leurs états-majors. Et puis les événements de 2007 ont laissé des traces. Des préfectures, des commissariats, des gendarmeries ont été saccagés. À l’intérieur du pays, il n’y a plus d’infrastructures administratives. Les effectifs sont dérisoires. On ne compte que deux policiers ou deux gendarmes dans certaines préfectures. C’est ridicule. En cas d’affrontements entre partis politiques, qui va contrôler la situation ? Je voudrais que certaines conditions préalables soient remplies. Que les infra­structures soient reconstruites et que l’on forme des policiers et des gendarmes pour que les élections se déroulent dans un climat de paix. Ce à quoi s’est attelé le gouvernement.

Au cours des derniers mois, vous avez plusieurs fois dénoncé l’absence d’autorité de l’État…
L’autorité de l’État, c’est d’abord la présence physique de ses représentants sur le terrain – des préfets, des maires… -, et des infrastructures appropriées pour que le peuple se sente en sécurité. Pour qu’il y ait commandement, et donc obéissance, l’administration doit avoir des moyens de dissuasion, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il faut restaurer l’autorité de l’État pour que les partis puissent faire campagne librement. En juin dernier, des militants du RPG [Rassemblement du peuple de Guinée] ont empêché ceux du PUP (au pouvoir) de tenir un meeting à Kouroussa. Dans des cas comme ça, si les militants se révoltent, qui peut les contenir ?

La responsabilité de restaurer l’autorité de l’État incombe au gouvernement Souaré, que vous qualifiez de pléthorique et déséquilibré…
Trente-six ministres, c’est un peu trop. Et l’équipe est déséquilibrée. Par exemple, le poste de l’Intérieur et de la Sécurité, qui est un ministère traditionnel, a été divisé. Ça complique tout.

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Est-ce qu’il faudrait restructurer le gouvernement ?
Si j’étais à la place du président de la République, je l’aurais fait pour le rendre plus opérationnel.

On vous prête des ambitions présidentielles. Qu’en est-il ?
Pourquoi fait-on de la politique ? Pour conquérir le pouvoir. Mais en ce qui me concerne, on exagère. On estime qu’étant dans l’antichambre du pouvoir je suis pressé de faire partir le président. Ce n’est pas moi qui vais le faire partir. C’est la volonté de Dieu.

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Lors des émeutes de janvier 2007, pourquoi ne vous êtes-vous pas prononcé sur la vacance du pouvoir ?
C’est la preuve que je ne suis pas aussi pressé que ça. J’attends mon jour et mon heure, Inch’Allah.

La santé du président Conté vous préoccupe-t-elle ?
Oui, car politique mise à part, c’est un frère. Je souhaite qu’il se rétablisse le plus tôt possible.

De quoi souffre-t-il exactement ?
Il est malade. Mais il est lucide, très lucide. Il ne faut pas que les gens vous trompent.

Il y a pourtant un flottement dans la gestion du pays ?
Il est lucide, mais ça ne veut pas dire qu’il exerce toute l’autorité nécessaire. En l’absence d’arbitrage, on constate un certain laisser-aller. Il ne peut s’occuper de tout parce qu’il est malade.

Sera-t-il candidat à la présidentielle de 2010 ?
Je ne le crois pas.

Serez-vous le candidat du PUP ?
Dieu seul sait qui sera candidat. Moi aussi je suis malade, je suis diabétique et je fais de l’hypertension. Peut-être que je serai grabataire.

Souhaitez-vous être candidat ?
C’est mon secret à moi.

Pour les législatives prévues en 2009, certains déclarent le PUP perdant ?
En politique, la calomnie fait partie du jeu. Je n’ai jamais déclaré que je ne suis pas favorable à la tenue d’élections, mais que je suis pour des élections apaisées. Notre pays doit être une nation qui se renforce tous les jours. Malheureusement, aujourd’hui, les partis politiques nous font régresser par rapport à ce que nous vivions sous la révolution. La notion de nation était plus ancrée. Les gens sont sectaires et raisonnent en termes d’intérêts communautaires.

Ces changements seraient dus au multipartisme ?
Le multipartisme sauvage comme il existe en Guinée est une aberration. Il y a une cinquantaine de partis pour neuf millions d’habitants. Le chef de l’État avait proposé qu’il y en ait deux. Si cela avait été le cas, le facteur ethnique aurait disparu. Malheureusement, les politiciens ont voulu l’instauration du multipartisme intégral. Résultat : notre nation s’émiette et l’autorité se dilue. Je suis pour une ouverture mesurée. Et je préfère l’injustice au désordre.

Craignez-vous que le scrutin se passe mal ?
J’en ai peur.

Les récentes mutineries, puis les affrontements entre l’armée et la police, laissent imaginer que les militaires pourraient semer le trouble ?
Non, car l’armée est républicaine. Il y a eu des malaises, mais les injustices ont été réparées. Les militaires se sont aussi réconciliés avec les policiers.

La population attend ces élections…
C’est ce que les gens prétendent, mais ce n’est pas évident. La population a d’autres préoccupations que d’aller voter.

Ce scrutin sera historique puisque supervisé pour la première fois par une Commission nationale électorale indépendante…
Il y a toujours eu une structure d’organisation des élections. La Ceni est indépendante, dit-on, mais par rapport à qui ? Les responsables appartiennent tous à des partis politiques. C’est une vue de l’esprit de croire que la Ceni est indépendante. Certains vont servir leurs intérêts personnels. Certains bailleurs de fonds veulent nous gouverner à leur manière et malgré nous. Et comme nous sommes poltrons, pusillanimes, nous n’avons pas le courage d’affronter nos difficultés nous-mêmes. C’est ce qui est à l’origine de tous nos problèmes.

Cela veut-il dire que, cinquante ans après le « non » de Sékou Touré à la France, il faudrait dire « non » une seconde fois ?
Si cela ne tenait qu’à moi, je refuserais de me plier à certaines injonctions pour écouter mon peuple. Nous devons compter sur nous-mêmes et mieux exploiter les richesses dont la nature nous a dotés.

Comme Sékou Touré en 1958, diriez-vous aujourd’hui que vous préférez la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ?
C’est clair et net. On peut bien se moquer de nous. Chaque fois que des journalistes étrangers viennent ici, ils ridiculisent la Guinée. Mais nous nous débrouillons par nos propres moyens. C’est vrai qu’il y a un problème de gestion, peut-être même de mauvaise gouvernance. Mais nous allons le corriger. Certains intérêts occidentaux voudraient que la Guinée sombre. Mais ce ne sont pas des puissances étrangères qui nous dicteront quelle est la conduite à tenir.

Vous parlez comme un révolutionnaire de la première République…
Je suis un révolutionnaire. Je n’ai jamais changé.

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