Le mystère Pape Diop

Le président du Sénat est un personnage méconnu. Proche de Wade, cet homme d’affaires auquel tout semble réussir se dit peu doué pour la politique. On a du mal à le croire.

Publié le 14 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Il est sans nul doute le personnage le plus énigmatique du monde politique sénégalais. Même sa biographie recèle une part d’ombre. « Exfiltré » du secteur privé par le chef de l’État Abdoulaye Wade au lendemain de l’alternance de mars 2000, Pape Diop poursuit une ascension fulgurante sans faire de vagues. Député depuis 1993, réélu en 2001, il devient maire de Dakar, la capitale, en 2002, peu avant de conquérir le perchoir de l’Assemblée nationale, qu’il a occupé jusqu’à la fin de la législature, en 2007. La même année, il est adoubé président du Sénat nouvellement créé et érigé en chambre haute du Parlement. Deuxième personnalité de l’État dans l’ordre protocolaire, dauphin constitutionnel du chef de l’État, Pape Diop occupe de facto la pole position dans la course à la succession de Wade. Mais martèle aux rares personnes avec lesquelles il aborde ce sujet qu’il n’a « d’autre ambition que d’accompagner le président jusqu’à la fin de sa mission ».
Dans le contexte actuel où l’âge avancé du capitaine (82 ans) place la question de sa succession au cœur du débat, d’âpres luttes agitent la famille politique présidentielle.
À la tête de la Génération du concret, Karim Wade, fils et conseiller du chef de l’État, tisse sa toile. Directeur de cabinet du président de 2000 à 2002, puis Premier ministre jusqu’en 2004 avant de tomber en disgrâce, Idrissa Seck s’organise de son côté, dans le cadre de Rewmi, sa formation. Macky Sall, le successeur de Seck à la primature devenu président de l’Assemblée nationale en juin 2007, constitue en coulisse un embryon d’état-major politique. Pape Diop, lui, se démarque de toutes ces écuries. Simple stratégie pour éviter de subir le sort jusqu’ici dévolu aux numéros deux d’Abdoulaye Wade ? Conviction intime de cet homme du privé qui verrait plus volontiers son avenir dans les affaires que dans les arcanes du pouvoir ? Pour la première fois où il accepte d’évoquer en public la question de la succession, Pape Diop confie à Jeune Afrique : « Je n’ai d’autre ambition que de servir Abdoulaye Wade. La politique est un métier dans lequel je n’excellerai jamais. Il n’est pas dans ma nature d’user de manipulation ni de coups bas. J’ai hâte de retourner dans le monde des affaires. » Est-il pour autant indifférent à ce qui se fera après Wade ? « Absolument pas, répond-il. Nous ne pouvons pas ne pas penser à la relève après avoir bien travaillé. Je soutiendrai le candidat que Wade aura désigné pour lui succéder. Et je jetterai dans la bataille mon argent, mon influence et mes relations pour qu’il gagne. »
Y compris s’il s’agit de Karim Wade ? Certains avancent que le fils du président pourrait profiter des municipales de mars 2009 pour faire son entrée dans l’arène politique et se faire élire à la mairie de Dakar… Le scénario aurait reçu le consentement du maire sortant, qui semble se satisfaire de la présidence du Sénat.
Pape Diop cultive un certain détachement vis-à-vis du pouvoir. Celui qui, en 1978, a fondé Soumbédioune Export (Soumex) pour en faire, vingt ans plus tard, l’une des premières entreprises africaines d’exportation de produits halieutiques vers l’Europe, proclame haut et fort qu’il a gagné des milliards, voyagé en première classe et découvert le monde avant d’entrer en politique. Visage rond, regard vif, propos tranchant malgré une voix faible, Pape Diop est un faux doux, dur en affaires. Manager – il a reçu, en mars 1996, à Düsseldorf, le trophée international de l’alimentation et des boissons décerné par l’Union européenne -, il s’emploie à gérer la mairie de Dakar comme une entreprise. Non sans résultats. Grâce à l’amélioration du recouvrement des impôts, la ville a vu ses recettes passer de 12 milliards de F CFA en 2002 à 36 milliards de F CFA en 2008 – dont la moitié consacrée à l’investissement, contre moins de 2 milliards il y a six ans. Dakar a refait peau neuve, avec 270 km de réseau d’éclairage public mis en place depuis 2002. 24 km de routes ont été aménagés, et onze réhabilités. L’ouverture des centres commerciaux Quatre C, de Colobane, et des HLM, l’aménagement d’espaces publics (place Bienvenue, place du Souvenir, place Sfax…) ont contribué à embellir le décor urbain. L’ouverture d’un Samu municipal, d’un centre gériatrique et d’une clinique ophtalmologique de dernière génération a amélioré la couverture sanitaire de l’agglomération. Le Crédit municipal de Dakar aide les démunis à démarrer une activité…
Pour lui prouver sa cote parmi les Dakarois, Pape Diop a lancé au chef de l’État un défi lors de la présidentielle de février 2007. « J’obtiendrai au moins 50 % des voix », avait-il répondu à Wade, qui lui demandait de « limiter les dégâts dans cette ville frondeuse » en tentant d’atteindre 40 % des suffrages. Au finish, Wade a gagné dans la ?capitale avec un score de plus de 54 %.
Rien ne disposait ce fils de marabout issu d’une famille modeste du bassin arachidier à unir son destin à celui de la capitale. Né il y a 54 ans à Kaolack – et non à Mbour, comme le veut l’historiographie officielle -, il n’a pas quatre ans quand son père, Daouda Diop, décède. Sa mère, Fatou Dièye, le confie à une tante qui réside à Thiès. Quand elle découvre qu’à dix ans révolus son fils n’a pas été inscrit à l’école, elle demande à un de ses cousins de lui trouver des papiers pour qu’il puisse s’inscrire. Ce cousin le déclare par méprise sous le prénom « Pape », et non « Moustapha », son vrai prénom. S’il reconnaît avoir eu du mal à se faire à cette appellation, Pape Diop fait contre mauvaise fortune bon cœur : « J’en ai été affecté, mais je l’accepte. Mon destin aurait peut-être été autre si on ne m’avait pas appelé ainsi. »
Orphelin très jeune, élevé par une tante, inscrit à l’école sous un prénom qui n’est pas le sien, Pape Diop n’est pas né avec une cuillère d’argent à la bouche. Self-made-man, il a bâti sa réussite en réalisant un rêve d’enfant : devenir homme d’affaires. Son diplôme de comptabilité obtenu en IUT en 1976, il travaille à peine deux ans comme fonctionnaire de l’Office national de coopération et d’assistance pour le développement (Oncad). En 1978, il démissionne pour fonder Soumex. Membre du PDS depuis sa création, en 1974, il crée la fédération de Thiès, avant de contribuer au financement du parti pendant les dures années d’opposition. Abdoulaye Wade, qui se souvient des services précieux que ce militant discret lui a rendus dans les périodes de vaches maigres, lui voue une réelle sympathie. Pape Diop est sinon son unique, du moins son plus proche confident. Il le voit et lui parle au téléphone plusieurs fois par jour. Il est proche de Karim Wade, à qui il ne manque pas de prodiguer des conseils de « grand frère ».
Il est « de la famille », mais également l’un des rouages essentiels du système Wade. Avant d’être nommé Premier ministre en mai 2007, Cheikh Hadjibou Soumaré a ainsi été reçu plusieurs fois à son domicile pour être briefé sur ce que Wade attend de lui.
Modéré, entretenant de bons rapports avec tous, y compris dans l’opposition et la société civile, il est l’un des missi dominici auquel le chef de l’État confie les missions délicates. Il n’est pas rare, par exemple, qu’il provoque des rencontres secrètes entre le président et certains de ses adversaires comme le virulent Amath Dansokho, leader du Parti de l’indépendance et du travail (PIT).
Introduit dans toutes les familles maraboutiques, de Touba à Tivaouane, de Ndiassane à Madina Baye, il partage ses week-ends entre ces villes religieuses et ses champs de Pout, à une soixantaine de kilomètres de Dakar. Dans ce vaste domaine agricole, il cultive tout, y compris du blé. « Le Sénégal peut tout exporter, même le blé. Je réfléchis à un programme de développement agricole. » Pour le simple confort de son esprit ?
Ses intentions suscitent des avis contrastés. Si Babacar Gaye, le directeur de cabinet politique du chef de l’État, le dépeint comme « un soldat loyal et désintéressé de Wade », Mahmoud Saleh, leader du Nouveau Parti, le perçoit comme « un personnage trouble qui use d’artifices et d’intrigues pour tromper son monde alors qu’il a son propre agenda ».
Aujourd’hui à la tête d’un vaste empire qui va de l’agriculture aux produits halieutiques en passant par l’immobilier, Pape Diop contrôle deux radios (Océan FM et la Radio municipale de Dakar), possède deux sites Internet et tient la capitale. S’arrêtera-t-il en si bon chemin ?

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