Chafik Gasmi

Directeur artistique de Baccarat, cet Algérien de 46 ans s’assigne une mission un peu folle : faire de l’ancienne cristallerie des rois de France le numéro un mondial du luxe.

Publié le 14 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

L’hiver, Chafik Gasmi s’habille tout en noir. Mais l’été, il ne quitte pas un élégant ensemble d’un blanc éclatant. « Le soleil m’empêche de porter ma couleur préférée ! » s’amuse-t-il. Costume ample, regard sombre et cheveux dans le vent, ce dandy franco-algérien de 46 ans soigne son look dans les moindres détails. Normal, en tant que directeur artistique de la célèbre cristallerie Baccarat, il est en permanence astreint à rechercher la perfection.
Au nombre de ses plus récentes créations, un lustre de vingt-huit cierges baptisé Mille et une chandelles ou, plus inattendu, un interrupteur électrique en cristal. Mais le travail de Chafik ne se résume pas à dessiner de nouveaux objets. « Il consiste aussi à renforcer la cohérence de la marque en harmonisant et en rajeunissant le catalogue », explique-t-il.
Grâce à lui, la petite manufacture lorraine fondée en 1764 par Louis XV fait peau neuve. Rachetée en 2005 au groupe Taittinger par le fonds d’investissement américain Starwood Capital, elle ambitionne d’occuper une place de tout premier plan sur le créneau de « l’hôtel-boutique ». Comprenez : un hôtel qui met en scène les produits d’une marque pour les valoriser. Son objectif : faire de Baccarat le numéro un mondial du luxe. « Je veux que, dans l’esprit des gens, le nom de Baccarat se substitue à ceux de Chanel ou de Dior », annonce Chafik Gasmi.
La direction de Starwood Capital n’hésite pas longtemps avant d’accorder sa confiance à cet architecte-designer jouissant d’une solide réputation. Fervent amateur d’art sacré (il voue une admiration sans bornes à la chapelle Sixtine, au Vatican), il lance véritablement sa carrière en 1996, quand il s’inspire du plan d’une cathédrale pour réaliser le magasin phare de Sephora, le premier distributeur français de parfums, sur les Champs-Élysées.
La boutique connaît un franc succès. Pour lui, c’est un tremplin. L’année suivante, quand Bernard Arnault, patron de Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH), le leader mondial du luxe, acquiert l’enseigne, c’est assez naturellement qu’il recrute Chafik Gasmi et le prend sous son aile…
Pendant sept ans, celui-ci va collaborer avec plusieurs joyaux du groupe, comme les parfums Dior, Kenzo et Givenchy, ainsi que le champagne Dom Pérignon, pour lesquels il choisit et met en scène bouteilles et flacons. Son ascension se poursuit. En 2003, il devient directeur artistique de l’horloger Ebel et, l’année suivante, de Sephora.
Mais la collaboration avec LVMH ne laissait guère de place à la vie de famille. « J’étais tout le temps en déplacement », se souvient-il. Alors, quand il rencontre Sandra, sa deuxième épouse, Chafik prend ses distances avec le groupe de Bernard Arnault et fonde son propre studio de création, Chafikdesign, dans le 20e arrondissement de Paris.Sandra devient à la fois son associée et sa principale collaboratrice…

D’un concept d’hôtel-spa à un loft entièrement tapissé de céramique blanche de Desvres en passant par des maisons particulières ou un atelier de travail pour Kenzo, Chafik affine sa propre conception du luxe. « La sensation de confort ne vient pas de la noblesse des matériaux mais de la qualité de l’air, de la lumière et de l’espace, explique-t-il. Et ça, ce n’est pas réservé aux riches ! »
Car Chafik ne dédaigne pas les créations plus grand public. À Alger, il participe ainsi à la réhabilitation du Musée d’art moderne (Mama), inauguré en novembre 2007 (lequel lui a depuis consacré une rétrospective), et à l’aménagement du ministère des Affaires étrangères. « Travailler en Algérie est très important pour moi. Je conserve ainsi un lien affectif avec mon pays natal », dit-il, un rien nostalgique.
Aîné d’une famille kabyle de cinq enfants, Chafik est né à Alger, en 1962, dans le quartier de Lavigerie. Comme son père, un entrepreneur qui a fait fortune dans l’immobilier, il se passionne très tôt pour l’architecture. « Après l’école, je pouvais passer des heures à traîner sur ses chantiers, fasciné par le travail des grues et des ouvriers », se souvient-il. Une admiration pour les processus de production industrielle qui nourrira ultérieurement son travail. En 1997, par exemple, il présente en magasin des chaises de jardin colorées sur des râteliers, comme si elles venaient d’être peintes à l’usine…
Jusqu’à son entrée en seconde, l’adolescent étudie chez les Pères blancs. « J’étais toujours le premier de ma classe ! » pavoise-t-il. Mais en 1977, alors qu’il est âgé de 15 ans, ses parents décident de s’installer en France. Direction le 10e arrondissement de Paris. « Au début, nous pensions que c’était provisoire. Mon père était venu régler une histoire d’héritage. Et puis nous nous sommes tous intégrés très rapidement… »

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En 1980, bac scientifique en poche, il commence des études d’architecture à l’université de Tolbiac, tout en suivant parallèlement les cours du soir proposés par la mairie de Paris. Option design industriel. Six ans plus tard, il décroche son premier projet professionnel : la conception d’un hôtel du 11e arrondissement, mobilier compris. S’inspirant de la finesse des pattes d’une gazelle ou d’un faon, il dessine les pieds d’une chaise, d’une sellette, d’une table… Du même coup, il invente un style que la presse spécialisée qualifie bientôt d’« ethnique ». Un terme qu’il ne reprend pas vraiment à son compte, mais qu’importe. « Mes meubles étaient tout le temps loués par des producteurs d’émissions télévisées. On les a vus sur de nombreux plateaux, comme ceux des humoristes Les Inconnus. Alors, en 1990, j’ai créé mon magasin de design en ameublement, baptisé Univers intérieur. Parallèlement, il collabore avec de grandes enseignes de mobilier (Moulin Galland, Hugues Chevalier, etc.) et se fait un nom grâce aux nombreuses distinctions qu’il décroche, notamment le grand prix de la critique décerné par la presse design (1992) et le prix du Nombre d’or attribué par le Salon du meuble de Paris (1997). Cette même année, l’une de ses créations, Ying, un fauteuil en cuir pourvu d’accoudoirs en bois de sycomore, est choisi pour meubler un salon de réception du Premier ministre français, à l’hôtel Matignon…
Aujourd’hui, Chafik Gasmi regarde dans une autre direction. Celle d’un petit émirat pétrolier… Il est en effet l’un des principaux architectes de l’hôtel-boutique que Baccarat souhaite ouvrir dans le cadre du projet Dubai Pearl, une immense arche à quatre tours-piliers qui doit sortir de terre en 2010-2011. Plusieurs milliardaires du Golfe lui ont également demandé de concevoir leur propre maison. Chafik s’en réjouit… même s’il regrette un peu de devoir, à Dubaï, s’habiller tout en blanc.

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