Nkunda : objectif Kinshasa

À la tête d’une rébellion de plus de 5 000 hommes cantonnés dans le Nord-Kivu, le chef du CNDP assure avoir un programme national et se dit prêt à servir son pays… Reste à savoir quelles sont réellement ses ambitions.

Publié le 14 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Dans la garde-robe du Congolais Laurent Nkunda, il n’y a pas que des treillis, des rangers et des bérets verts. Chemise en jean, lunettes cerclées de métal, canne à pommeau sculpté : à 41 ans, le chef de guerre aux mains de pianiste – suspectées d’avoir commis les pires atrocités, notamment en 2002, lors de la répression sanglante d’une mutinerie à Kisangani (dans le nord-est de la RD Congo) – cultive aussi le look du civil. Il peut même faire un tantinet notable de province, avec son chapeau d’éleveur à larges bords et sa panoplie de téléphones portables. Un moyen pour lui de se démarquer des images qui lui collent à la peau : l’illuminé qui, quand il n’est pas au front, se transforme en pasteur évangélique, la brute à cervelle de pois chiche qui se fait respecter à coups de crosse, ou encore le Tutsi va-t-en-guerre et vindicatif. Quand on appelle « tous les Congolais à se mettre debout contre un gouvernement qui a trahi son peuple », ce qu’a fait Nkunda, vibrant, sur les ondes le 2 octobre dernier, mieux vaut avoir des arguments plus consistants qu’un kalachnikov.
Pour le pouvoir central de Kinshasa, qui a lancé, en septembre 2005, un mandat d’arrêt contre le général dissident pour crimes de guerre, ce dernier n’est ni plus ni moins qu’un rebelle tutsi animé par un seul objectif : anéantir les hommes des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui, en 1994, ont exterminé plus de 800 000 Tutsis rwandais puis franchi la frontière pour trouver refuge dans les provinces congolaises du Sud- et du Nord-Kivu. Selon la Mission des Nations unies en RD Congo (Monuc), ces « réfugiés » seraient aujourd’hui entre 3 000 et 4 000. Quant au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), le mouvement politico-militaire dont Nkunda est le « chairman » depuis sa création en juillet 2006, il apparaît comme l’arsenal au service de cette cause, ethnique avant tout.
Cependant, quand il était étudiant en psychologie à l’université de Kisangani, à 500 km de son fief natal de Rutshuru, dans le Nord-Kivu, le jeune Laurent appartenait à un mouvement « lumumbiste », du nom de Patrice Lumumba, figure de l’indépendance et du nationalisme congolais, assassiné en 1961. Cette adhésion à l’idéologie du père fondateur, chantre de la souveraineté et de l’unité du pays, Nkunda ne l’avait pas perdue quinze ans plus tard. « Fin 2003, nous avons dîné ensemble à Goma, se souvient un ancien conseiller à la Monuc. Laurent est arrivé avec une chemise à l’effigie de Lumumba. » Technique de charme pour promouvoir les engagements affichés sur le site Internet du CNDP (par exemple, « combattre toute idéologie divisionniste et ségrégationniste » ou « réconcilier les communautés nationales ») ? « Non, poursuit la même source, il y a chez lui un attachement profond aux idées nationalistes. »

Compagnons d’armes

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S’ils le sont majoritairement, les membres du CNDP ne sont pas exclusivement tutsis. « Moi-même qui vous parle, je ne le suis pas, lance Bertrand Bisimwa, porte-parole du mouvement. Quant au problème tutsi, il fait partie de ceux que nous devons régler, mais il n’est pas le seul. » Dans ses rangs, le CNDP compte effectivement des cadres appartenant à d’autres ethnies, des Hutus et des Hundes notamment. Alibi ? Les avis sont divisés. « Ce ne sont que des paravents pour masquer l’absence de diversité ethnique », estime Jean-Bosco Barihima, député national de Rutshuru (Nord-Kivu) et membre de l’Alliance pour le renouveau au Congo (ARC) de l’actuel ministre du Plan, Olivier Kamitatu. De fait, l’encadrement est dominé par les Tutsis : Laurent Nkunda, mais aussi le numéro deux, Bosco Ntaganda, poursuivi par la Cour pénale internationale, ou le colonel de brigade Sultan Makenga. Pour autant, « l’approche ethnique ne suffit pas à tout expliquer, considère l’universitaire français Pierre-Antoine Braud, directeur de Bridging International, réseau de consultants spécialisés dans les situations de conflit et postconflit. Le noyau dur du CNDP, c’est avant tout un groupe de compagnons d’armes. »
Dans les cercles du pouvoir, mais aussi au sein de la population, l’image d’un Nkunda à la fois tutsi et nationaliste passe mal. Elle entre en contradiction avec une théorie répandue : le CNDP et ses hommes sont des joujoux à la solde du Rwanda voisin, qui les utilise pour piller les ressources minières du Kivu et régler ses propres problèmes avec les FDLR.
Attaché au Rwanda, Nkunda l’est par son passé : c’est là que, dans les rangs de l’Armée patriotique rwandaise (APR), il a appris le renseignement et la stratégie militaires – dont sa maîtrise suscite jusqu’à l’admiration de ses adversaires – la torture et le maniement des armes. Aujourd’hui encore, il entretient des liens affectifs avec le pays : son épouse Élisabeth, bien qu’originaire de Kisangani, a vécu dans la ville rwandaise de Gisenyi, au bord du lac Kivu, avec une partie de ses sept enfants. Quant aux liens militaires… « Un faisceau de présomptions laisse penser que Kigali donne parfois un coup de main au CNDP, avec des médicaments, des rations de nourriture et, à l’occasion, des armes », avance un membre de la Monuc.
De là à affirmer que le « chairman » du CNDP défend les intérêts du Rwanda, aucun des spécialistes ne franchit le pas. « Laurent Nkunda est très orgueilleux, témoigne un proche. Il ne peut pas accepter d’être au service d’une puissance, quelle qu’elle soit. » Le CNDP essaie tant bien que mal de trouver ses propres ressources financières : ses 5 000 à 6 000 hommes subsistent notamment grâce à un système sophistiqué de cotisations, prélevées dans le maigre porte-monnaie des populations locales, ou volontairement envoyées par des « donateurs », congolais ou non. Une cellule « affaires étrangères » s’efforce de séduire hors des frontières. Bref, le panel de « bienfaiteurs » ne se limite pas à une seule puissance étrangère.
La mue du CNDP suffira-t-elle à lui garantir le rayonnement dont rêve désormais son chef ? De régional, l’appétit de Nkunda est devenu national. Narquois, il a affirmé au quotidien français Le Monde, « avoir un programme national […], des ambitions militaires […], quelque chose à donner à ce pays ». Des desseins qui, de source diplomatique, ne sont pas que des paroles en l’air : « L’incurie régnant dans l’armée congolaise, il se dit qu’il peut arriver jusqu’à Kin­shasa. » Reste à trouver un soutien qui dépasse pour de bon les frontières des deux Kivus. Selon une source à Kinshasa, le mouvement a ouvert des « teams » – des « cellules », dans son jargon – dans la capitale. Au sein du CNDP, on cultive le mystère en prétendant carrément qu’il s’en est ouvert dans toutes les provinces. Mais impossible de savoir où, au prétexte qu’elles doivent rester « secrètes » pour des questions de sécurité.

Un visage plus « civil »

Quant au recrutement politique, il a commencé : deux députés provinciaux du Nord-Kivu, hutus et membres du Mouvement de libération du Congo (MLC) et du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) – deux partis d’opposition – ont récemment rejoint les rangs du CNDP. Selon plusieurs rumeurs insistantes, un recrutement plus symbolique encore est possible : celui d’Oscar Kashala, candidat malheureux à la présidentielle de 2006. Ce médecin spécialiste du cancer, qui a fait carrière aux États-Unis, pourrait être nommé à un poste à responsabilités pour donner au CNDP un visage plus « civil ».
Si aux yeux d’un grand nombre de Congolais Nkunda et le CNDP passent encore pour des défenseurs exclusifs de la cause tutsie, la soif de pouvoir et les efforts actuellement déployés pour les rendre fréquentables pourraient en faire transiger plus d’un. « Il suffit de regarder le gouvernement, analyse un observateur. Il y a des ministres qui étaient des chefs de guerre hier. Cela donne de l’espoir à tous les aigris : ils pensent qu’on peut obtenir quelque chose par les armes. »

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