À quoi sert le Festival de Marrakech ?

Différent du Fespaco et de Carthage, des festivals à paillettes des Émirats, mais aussi de Cannes ou de Venise, Marrakech a du mal à se définir. A l’occasion du festival 2008, Jeune Afrique avait interviewé Noureddine Saïl, le directeur du Centre national du cinéma marocain.

Le directeur du Centre national du cinéma marocain, Noureddine Saïl © Frédérique Jouval

Le directeur du Centre national du cinéma marocain, Noureddine Saïl © Frédérique Jouval

Publié le 13 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Article publié dans le N° 2497 du 16 novembre 2008

Du 14 au 22 novembre se déroule la huitième édition du Festival international du film de Marrakech. Avec 15 films de 14 nationalités et de nombreux hommages : Sigourney Weaver, ­Michelle Yeoh, Andrei ­Konchalovsky, Youssef Chahine, le cinéma britannique… Mais aussi une vaste rétrospective qui fêtera cinquante ans de cinéma marocain. En effet, c’est en 1958 que le pionnier Mohamed Osfour réalisa de façon artisanale l’étonnant et superbe Le Fils maudit.
Créé à l’initiative du roi Mohammed VI, qu’on dit fort intéressé par le septième art, sur le conseil de Daniel Toscan du Plantier, et présidé par son frère le prince Moulay Rachid, ce festival s’est voulu, dès sa création fort mouvemen­tée – nous étions alors au lendemain du 11 septembre 2001 -, une manifestation d’ampleur mondiale. Arrivé à ce qu’on considère en général comme l’âge de raison, le Festival de Marrakech a-t-il tenu ses promesses ? Comment se présente son avenir ? Jeune Afrique l’a demandé à son principal animateur, par ailleurs directeur du Centre national du cinéma marocain, Noureddine Saïl.

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Jeune Afrique : Comment résumer l’identité propre du Festival de Marrakech ?
Noureddine Saïl : C’est un festival international qui présente chaque année, en compétition, une sélection – on a visionné 400 longs-métrages cette année – qui nous semble comprendre les œuvres les plus abouties et que nous réussissons à obtenir. Car ce n’est pas facile, quand on arrive, comme nous, après tous les autres grands rendez-vous internationaux. Nous essayons donc de montrer ce qu’on peut encore trouver de remarquable après Berlin, Cannes, Venise, Toronto, etc. Et en les soumettant à un jury incontestable – les derniers présidents du jury se nommaient quand même Milos Forman, Roman Polanski, Jean-Jacques Annaud !

Au tout début, l’idée était de fonder un festival comme Berlin, Cannes ou Venise. Il semble qu’on en est quand même encore loin…
Vouloir faire un festival « comme », quelle que soit la qualité de la référence, n’est peut-être pas la bonne façon d’envisager les choses. On veut simplement donner à voir ce que le cinéma offre de mieux chaque année. C’est déjà très difficile à tenir, et suffisant. Si, après, il apparaît, aux yeux des médias, qu’on est dans la lignée des plus grands festivals, tant mieux.

Aucun des films qui ont obtenu l’­Étoile d’or, à part peut-être Sideways d’Alexander Payne, n’a fait une ­grande carrière internationale ni n’a été considéré comme une véritable œuvre marquante du septième art.
C’est vrai. Mais qui se rappelle du Grand Prix de Cannes ou du Festival de Venise et de Berlin d’il y a deux ans ? De plus, Cannes est sexagénaire, et nous, nous n’avons que 8 ans. Il faut un peu de temps pour être reconnu, en particulier par les médias qui font les réputations festivalières.
On aura gagné quand ils se seront aperçus que Marrakech est un lieu où il y a un vrai désir de cinéma et où l’on peut faire des découvertes.

Le festival a été quelque peu ­réorienté depuis quatre ans, pour donner la priorité aux films sur les stars et le côté mondain de la manifestation…
Nous voulons avoir les deux. Et c’est ce que nous faisons.

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Quitte à infléchir la stratégie, n’aurait-il pas été préférable de ?trouver un angle spécifique pour donner au festival une identité facile à définir ?
Nous nous sommes évidemment interrogés à ce sujet. Mais la vraie question demeure : est-il légitime, autorisé, dans un pays du Sud, de construire un grand festival international ? C’est risqué. Mais nous assumons ce choix.
Il serait facile de faire un festival Nord-Sud, ou Amérique latine-Afrique, et encore plus de ne rien faire. Mais nous n’ajouterions rien à ce qui existe déjà. D’ailleurs, les festivals comme le Fespaco, avec son identité africaine, ou les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), définies comme arabo-africaines, et d’autres encore, y compris un festival du cinéma africain qui a lieu chaque année au Maroc, marchent bien. Mais ils n’ont pas réussi à émerger vraiment à l’échelle internationale. La Tunisie doit tout faire pour que les JCC soient renforcées et annualisées, en leur donnant les moyens financiers et techniques de s’organiser et de continuer ce rendez-vous tricontinental que nous avons tous contribué à mettre en place.
Je suis venu au cinéma quand les JCC ont commencé à exister. C’est pareil pour le Fespaco, qui devrait aussi avoir lieu tous les ans. Même si cela demande beaucoup d’efforts et quelques moyens. Il y va de la pérennité des images de l’Afrique.

Justement, quels sont les moyens de Marrakech ?
Nous avons des sponsors qui nous font confiance. Et l’État marocain nous appuie aussi. Au total, nous devons tourner avec un budget de 4,5 millions à 5 millions d’euros. Ce qui est important, mais représente sans doute deux à trois fois moins non seulement que Cannes ou Venise, mais même que le tout récent Festival de Rome, par exemple. Le problème, ce n’est pas l’argent, c’est le temps dont nous disposons pour nous construire en marchant. Grâce à la qualité des films en compétition, des débats qui ont lieu, des stars qui viennent, mais aussi et surtout, tout simplement, à la qualité de l’organisation. L’acquis est déjà énorme.

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Marrakech a voulu s’affirmer tout de suite comme, au minimum, le plus grand festival de cinéma du continent africain et du monde arabe. Or la concurrence semble déjà arriver, et avec de très gros moyens, avec notamment le Festival d’Abou Dhabi et celui de Dubaï. C’est ennuyeux ?
Tant mieux pour le cinéma. Mais je suis étonné de voir apparaître ces manifestations-là où il n’y a pas eu de cinéma jusqu’ici. Un festival, c’est aussi un miroir de ce qui se passe dans le pays d’accueil. On ne peut pas réaliser zéro film par an et posséder un grand festival. Au Maroc, et ce n’est pas un hasard, le développement du Festival de Marrakech a coexisté avec celui du cinéma marocain, qui connaît un renouveau en quantité et en qualité. On produit désormais chaque année entre 15 et 20 longs-métrages, entre 60 et 80 courts-métrages, entre 30 et 50 téléfilms. Notre industrie cinématographique est en train de se développer. Ainsi que tous les corps de métier concernés. Nous nous attaquons actuellement à un problème plus ardu : la construction de salles de cinéma sous forme soit de complexes de 2 à 4 salles, soit de multiplexes allant de 10 à 16 écrans. L’objectif du Centre cinématographique marocain est d’arriver à 150 nouveaux écrans d’ici à 2012. Parallèlement, et ce n’est pas un hasard, jamais les tournages étrangers n’ont été aussi nombreux qu’en ce moment. Cette année, ils représentent, uniquement pour le cinéma, des investissements de 100 millions de dollars.

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