L’Afrique orpheline

Juste après avoir donné un concert contre la mafia et le racisme, « Mama Africa » est décédée dans la nuit du 9 au 10 novembre. Retour sur une grande voix de la chanson africaine.

Publié le 13 décembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Une reine est morte. Avec la disparition de la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba, la nuit du 9 au 10 novembre, dans la ville italienne de Castel Volturno, près de Naples, Nelson Mandela perd l’une de ses plus farouches avocates. Et la musique africaine sa plus grande ambassadrice. Une diva qui a toujours conjugué sa carrière avec la lutte contre l’oppression et la défense de la liberté.
C’est d’ailleurs au terme d’un concert organisé pour dénoncer le racisme et soutenir l’écrivain Roberto Saviano, cible d’un « contrat » par la mafia locale depuis la parution de son livre Gomorra, que l’auteure du tube planétaire « Pata Pata » s’est effondrée en coulisses peu après sa prestation, victime d’une crise cardiaque. Elle décédera quelques minutes plus tard à la clinique Pineta Grande. Elle était âgée de 76 ans.
Comment être une artiste noire, libre de sa parole et de sa pensée dans une nation ayant érigé le racisme comme doctrine d’État ? Dans le cas de Miriam Makeba, la réponse se traduira par trente et un ans d’exil. Un échouage hors de son pays natal qui ne la détourna pourtant jamais de cette volonté inlassable de prôner l’unité de l’Afrique tout en dénonçant l’injustice. Cet éloignement lui permettra même, en définitive, de porter son combat contre l’apartheid à travers tout le conti­nent, et même au-delà, ce qui lui vaudra le qualificatif respectueux de « Mama Africa ».
Née le 4 mars 1932 dans un bidonville de la banlieue de Johannesburg, Makeba était de ces baobabs livrés quotidiennement au vent de la violence auquel elle opposa un idéal d’amour, de paix et de tolérance. La petite Zenzi, pour Uzenzile (son vrai prénom), qui signifie en zoulou « tu ne dois t’en prendre qu’à toi-même », chante dès l’âge de 8 ans dans une chorale. À 22 ans, elle intègre comme choriste le groupe très en vue des Manhattan Brothers dirigé par Nathan Mdledle, avant de participer, dès 1957, à la formation jazzy entièrement féminine Miriam Makeba & The Skylarks, dont l’anthologie sera rééditée en deux volumes (1991 et 1997) sous le label Teal. C’est en 1956 que sa carrière s’accélère avec sa composition en xhosa « Pata Pata », que les Manhattan Brothers reprennent et qui connaît un vif succès en Afrique du Sud. Avant de devenir un tube planétaire en 1967 dans sa version anglaise.
Makeba poursuit parallèlement son activisme antiraciste. En 1959, elle est interdite de séjour en Afrique du Sud pour sa participation à un documentaire anti-apartheid (Come Back Africa), réalisé par l’Américain Lionel Rogosin et projeté au Festival de Venise.
Makeba, dont la renommée dépassera rapidement les frontières de l’Afrique, contribuera à faire connaître la chanson africaine, se révélant au passage comme la pionnière de la world music. Une artiste « globale » donc, capable de s’exprimer aussi bien en langue zouloue qu’en swazi – la langue de sa mère -, en anglais, en espagnol ou en français, comme en témoigne « Comme une symphonie d’amour » sur l’album Sabelani (1979). En 1965, elle est la première artiste africaine à recevoir un Grammy Awards pour son album An Evening with Harry Belafonte and Miriam Makeba, enregistré avec le célèbre crooner américain.

Persona non grata
C’est aux États-Unis où elle s’exile alors qu’elle poursuit sa cause, notamment en se rapprochant du mouvement des Black Panthers dont elle épouse, en 1968, l’un des leaders, le Trinidadien Stokely Carmichael, alias Kwame Toure. Une union qui lui vaut d’être déclarée persona non grata en terre américaine. Avec son mari, qu’elle quittera en 1973, Makeba, qui continue d’arpenter les scènes du monde entier, se tourne alors vers la Guinée de Sékou Touré, chantre de l’anti-impérialisme, qui l’accueille à bras ouverts en lui décernant la nationalité guinéenne. Mieux, elle est nommée ministre de la Culture et devient même déléguée de la Guinée aux Nations unies, où elle prononcera, en 1975 et 1976, des discours très remarqués contre le régime de l’apartheid.
Miriam Makeba se produit sur toutes les scènes : en 1963, à l’occasion de la création de l’OUA ; en 1974, lors du combat Mohamed Ali-George Foreman à Kinshasa ; en 1986, lors du troisième anniversaire de la « révolution » de Thomas Sankara à Ouagadougou. Là même où elle chantera en 2007… pour le vingtième anniversaire de l’accession au pouvoir de Blaise Compaoré.
En 1985, à la mort de son unique fille, Bongi (36 ans), elle part vivre en Europe où elle multiplie les collaborations prestigieuses. Le chanteur Paul Simon, alter ego de Garfunkel, lui apporte une nouvelle notoriété. En 1987, le duo Simon-Makeba sort l’album Graceland, unanimement salué par la critique. Et entame une tournée mondiale, The Graceland Tour. Makeba accumule également les titres honorifiques. Considérée comme la « Femme du siècle » par la Bedford Stuyvesant Community of New York, elle se voit décerner la nationalité française en 1990 après avoir été élevée cinq ans plus tôt au rang de Commandeur des Arts et des Lettres. Nelson Mandela la convainc de revenir en Afrique du Sud, où elle retourne en décembre 1990 après trente et un ans d’exil forcé. On la voit également sur les écrans, où elle continue de camper des rôles militants, notamment dans le film Sarafina ! de Darrell Roodt (1992), qui relate les émeutes de Soweto de 1976.
Prêtresse de l’unité africaine, toujours chatoyante derrière un large sourire et des bandanas chamarrés, Makeba restera musicalement une diva qui, à l’instar d’une Abbey Lincoln, alterne entre révolte et désespoir comme en atteste l’émouvant « Miriam’s Goodbye to Africa » qu’elle signe avec The Skylarks.
Le plus souvent accompagnée par une formation acoustique (guitare, contrebasse, percussions sud-américaines), sa voix à la fois bluesy et puissante sert dans les années 1960 et 1970 des compo­sitions jouées dans l’intimité de salles feutrées. De cette époque, on retient particulièrement des titres comme « Khawuleza », « Amampondo », « Kilimandjaro », « Mayibuye » ou « The Click Song ».

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Remix et compilations

Mais la carrière de « Mama Africa » ne se résume pas – loin s’en faut – à son titre planétaire qui donnera lieu à plusieurs versions remixées comme sur l’un de ses derniers opus, Homeland (2000). Son œuvre est gravée sur plus de vingt-cinq albums. Une discographie aux tonalités variées et de qualité inégale comportant des live, des rééditions, des compilations mais aussi des pépites comme Country Girl (1978). De la grande tradition zouloue (Eyes on Tomorrow, 1991) au funk (Sabelani, 1979) en passant par la musique brésilienne (Reflections, 2004), le reggae (Miriam Makeba Forever, 2006), la salsa (Live à Conakry, 1974) ou le jazz, Makeba multiplie les expériences en s’ouvrant à la fin de sa vie aux sons plus électroniques.
Tous les artistes africains, y compris ceux de la jeune génération à l’instar d’un William Baldé, qui, enfant, la côtoya à Conakry, se revendiquent de cette ambassadrice de paix et icône du panafricanisme. Le combat de toute une vie qui pourrait se résumer par le titre de l’une de ses chansons : « Cause We Live for Love ».

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