« La démocratie n’a jamais été autant menacée »
Pour le président de l’Assemblée nationale, seule une solution de compromis peut sortir le pays de la crise née du putsch du 6 août.
Messaoud Ould Boulkheir, 67 ans, est une figure respectée de la classe politique mauritanienne. Même ses nombreux détracteurs – son franc-parler irrite – lui reconnaissent une qualité : sa constance dans la défense des Haratines, les descendants d’esclaves (dont il fait partie), pour les droits desquels il a milité au sein du mouvement El-Hor, créé en 1978. Président d’un parti, l’Alliance populaire progressiste (APP), Ould Boulkheir est aussi un homme politique qui ne fait pas mystère de ses ambitions présidentielles. Arrivé en quatrième position, avec 9,8 % des voix, lors du scrutin de 2007, il a hérité de la présidence de l’Assemblée nationale après avoir appelé à voter pour Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Mais depuis le renversement de ce dernier par le général Ould Abdelaziz, le 6 août, il a déserté le perchoir, dénonçant la « dictature militaire » qui s’installe en Mauritanie. Pragmatique, il propose cependant une solution de compromis pour sortir de la crise, comme il est venu l’expliquer à l’Élysée, au début de novembre.
Jeune Afrique : Pour les partisans du général Ould Abdelaziz, le 6 août est une « rectification ». Pour ceux de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, un « coup d’État ». Et pour vous ?
Messaoud Ould Boulkheir : Il y a eu coup d’État, c’est net et incontestable. Un général a destitué, par la force, un président démocratiquement élu pour installer une dictature militaire. Ce n’est pas par la volonté populaire qu’il est arrivé à la présidence. Il n’aurait jamais pu y parvenir s’il n’y avait eu derrière lui son unité, le Basep [le Bataillon de la sécurité présidentielle, NDLR].
Pour autant, le Parlement n’a pas été dissous et continue de fonctionner…
C’est un leurre. Au moins un tiers des députés ne siègent plus, refusant même de participer à la session extraordinaire convoquée par le Haut Conseil d’État [HCE, l’organe exécutif installé par le général Ould Abdelaziz, NDLR], qui n’est d’ailleurs pas habilité à convoquer l’Assemblée. Quant au gouvernement désigné par le HCE, il reste contesté par les parlementaires. La présidence non plus ne fonctionne pas. Un général ne peut se substituer à un président régulièrement élu. La démocratie n’a jamais été autant menacée. Depuis la prestation de serment de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, elle était bien réelle et tous les Mauritaniens en étaient fiers. Chacun était libre de ses mouvements et de ses idées, pouvait s’organiser comme il le voulait, avec qui il voulait. Aucun parti n’était interdit, aucun journal censuré, aucun homme politique en prison. Chacun se sentait libre comme le vent.
Vous pouvez tout de même tenir de tels propos librement, sans être inquiété…
Pour l’instant. Cela dit, je suis critiqué à la radio et à la télévision nationales. Il y a une campagne contre moi. Et après tout, je ne suis pas sûr de ne pas être arrêté. On a bien arrêté un président de la République et un Premier ministre.
Avez-vous rencontré le général Ould Abdelaziz depuis le 6 août ?
Oui, deux fois. La première, c’était le 9 août. C’est lui qui m’a sollicité. S’il ne me l’a pas demandé clairement, il voulait mon soutien. Je lui ai dit que je ne pouvais pas cautionner cet amalgame, le renversement d’un président d’un côté et le maintien des institutions parlementaires de l’autre. J’ai poursuivi en l’avertissant qu’il mettait le pays dans de sales draps et que la seule solution pour en sortir, c’était de retourner à la légalité constitutionnelle. Avec, bien entendu, des garanties pour sa sécurité personnelle et celle des membres du HCE. La deuxième fois, c’était quand il s’apprêtait à nommer son Premier ministre. Il voulait avoir mon point de vue. Je lui ai dit que je ne cautionnerais rien.
Et Sidi Ould Cheikh Abdallahi, l’avez-vous vu depuis son arrestation ?
Non, et je n’ai pas demandé à le rencontrer. D’une part, je savais qu’il était en bonne santé. D’autre part, je n’avais pas de solution de sortie de crise à lui présenter. Mais maintenant, je serais bien tenté de le rencontrer, j’ai des propositions à lui faire.
Quelle solution proposez-vous ?
Je propose une solution de conciliation entre légalistes et putschistes. Les premiers veulent le retour dans ses fonctions du président de la République et tiennent à ce qu’il n’y ait pas de rupture dans la marche institutionnelle de l’État. Les autres ne veulent pas de ce président. Alors je propose la jonction entre les deux. Le général accepte le retour provisoire de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qui, sans aucune pression et volontairement, accepte d’organiser une élection présidentielle anticipée.
En fait, vous proposez une démission volontaire à Sidi Ould Cheikh Abdallahi. N’est-ce pas contradictoire ?
Dans la solution que je propose, ce n’est pas le général qui impose à Sidi de démissionner, c’est l’intérêt du pays. Quand la nation est en difficulté, il est naturel de se sacrifier. On demande au dernier des citoyens de le faire, il n’y a pas de raison de ne pas le demander au premier d’entre eux.
Mais vous préconisez la démission d’un président dont le régime était, selon vous, une démocratie achevée.
Nous sommes face à une réalité que nous ne pouvons ignorer. Il y a un général qui a mené un coup d’État, qui dispose de la force militaire et qui s’oppose au retour de Sidi. Il faut donc accepter qu’un autre président prenne la relève, mais avec la collaboration de Sidi, qui doit transmettre le flambeau à son successeur pour qu’il y ait une continuité. Il ne faut pas que nous perdions le capital de confiance engrangé depuis 2005.
Que proposez-vous au général Ould Abdelaziz ?
Je lui propose de passer à la postérité. S’il renonce au pouvoir, ce sera un bienfait pour le pays. Nous lui offrirons en contrepartie une position de détachement dans l’armée, ou un haut poste dans l’administration. S’il veut s’adonner à des activités politiques, il percevra une retraite honorable qui lui permette de se libérer de l’armée. Car il peut entrer en politique, à condition de démissionner ou de se mettre en retraite de l’armée. Tout sera possible pour lui, à l’exception de la direction d’une unité militaire armée. Ce qui importe aussi, c’est qu’il n’organise pas lui-même les élections.
Vous présenterez-vous à la présidentielle ?
Pourquoi pas, je suis un irréductible, j’ai de l’ambition, et un parti.
Que pensez-vous des menaces de sanctions agitées par la communauté internationale, dont certaines ont déjà été mises en œuvre ?
Je pense que le général ne peut être influencé que par des mesures qui le viseraient personnellement, ainsi que son entourage immédiat, ou qui lui rendraient impossible la gestion de l’État.
Mais au passage, c’est la population qui souffre…
Si on nous demande juste de nous serrer un peu plus la ceinture, je pense que c’est peu en regard des objectifs, la démocratie et la liberté.
La France s’est jusqu’à présent montrée intransigeante avec Ould Abdelaziz, mais sa position vis-à-vis des coups d’État en Afrique n’a pas toujours été aussi ferme. Pensez-vous que le dossier mauritanien est l’occasion pour elle de rompre avec le passé ?
Si la France joue cette carte-là, elle a raison. L’Afrique a été régentée par des coups d’État militaires qui n’ont apporté que la destruction, la misère et le délitement des valeurs. Il est temps d’envisager autre chose pour les millions d’Africains qui attendent de sortir enfin de l’ornière dans laquelle les régimes militaires les ont mis. En Mauritanie, tout le monde est attentif à ce que sera la position ultime de la France. Et si elle devait faiblir ou laisser la moindre chance au général, c’en serait fini de son crédit partout en Afrique, et même au-delà.
Son attitude serait-elle aussi sévère vis-à-vis d’un poids lourd économique du continent ?
Je ne pense pas qu’il y ait deux poids, deux mesures. Comme la communauté internationale, la France se sent concernée par la situation en Mauritanie. Elle a été partie prenante de la transition démocratique. Quand le résultat de toute cette mobilisation est renversé au bout de quinze mois, sans la moindre raison convaincante, tout le monde a le droit de s’interroger. Quant à dire que la Mauritanie ne pèse pas, c’est faux. Le pays est plein de ressources. Il y a du fer, des potentialités pétrolières… Nous sommes à la charnière entre le monde noir et le monde arabe, notre position est stratégique.
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