Samia Ghali
Femme, musulmane, originaire d’Algérie, maire du 8e secteur de Marseille et sénatrice des Bouches-du-Rhône, elle incarne la relève d’un Parti socialiste en perdition.
En vingt-quatre ans de politique, Samia Ghali a amplement eu l’occasion de prouver sa pugnacité. À tout juste 40 ans, elle n’a perdu aucune des six élections auxquelles elle a participé. Si bien qu’aujourd’hui elle collectionne les écharpes tricolores : maire du 8e secteur de Marseille (l’un des plus populaires), vice-présidente de la Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole (MPM), et, depuis le 21 septembre, sénatrice des Bouches-du-Rhône. Elle est aussi vice-présidente du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), mais devra renoncer à ce poste à la fin de ce mois pour ne pas enfreindre la loi sur le cumul des mandats.
Cette ascension fulgurante, Samia Ghali la doit, au moins en partie, à la protection de Jean-Noël Guérini, le « patron » du PS marseillais : c’est lui qui, aux dernières municipales, en mars, l’a choisie comme tête de liste dans le 8e secteur. Elle serait même devenue sa première adjointe s’il avait remporté la mairie, finalement conservée par l’UMP Jean-Claude Gaudin. Lors des sénatoriales, enfin, il l’a placée en quatrième position sur la liste qu’il conduisait, ce qui lui assurait une élection presque certaine.
Guérini, bien sûr, se défend d’avoir choisi la « Beurette de service » pour servir d’alibi à un parti en panne de diversité. Pour Samia, le risque de se laisser enfermer dans un tel rôle n’en est pas moins réel. Les boutades de Gaudin en témoignent. Un jour, le maire n’a pas hésité à lui réclamer un couscous en plein conseil municipal. « Elle lui a répondu que, en bonne Marseillaise, elle était toute disposée à lui préparer une excellente bouillabaisse », sourit Sabrina, sa sœur et désormais assistante parlementaire. Au Sénat, où seules deux élues d’origine maghrébine l’ont précédée, son teint mat ne passe pas davantage inaperçu. Sophie Joissains (UMP), la benjamine du Palais du Luxembourg, ne voit par exemple en elle que le « symbole d’une minorité visible ».
En revanche, s’il faut en croire ses proches, madame le maire n’usurpe nullement sa place. « Elle fait un travail de terrain remarquable », témoigne Nadia Boulainseur, conseillère municipale socialiste et amie de longue date. Sans doute, mais ce n’est pas facile tous les jours pour cette femme remariée et mère de quatre enfants. Sa dernière grossesse a ressemblé à un marathon. À peine venait-elle d’accoucher, en octobre 2007, qu’elle est aussitôt repartie en campagne pour les municipales.
Il va sans dire que la jeune femme est parfaitement consciente de l’instrumentalisation politique dont elle fait à l’occasion l’objet. Jeune, femme, musulmane, originaire d’Algérie… « Je cumule tous les handicaps », s’amuse-t-elle. Mais rien ne pourra l’amener à renoncer à sa double culture : elle est « française car c’est un état de fait », mais aussi « orientale jusqu’au bout des ongles ». Ses camarades du PS ont mis un peu de temps à le comprendre. Au début, lors des réunions de travail, « ils ne commandaient que des sandwichs au porc ».
À Bassens comme à Campagne-Lévêque, deux cités des quartiers nord de Marseille où le chômage atteint le taux record de 37 %, nul n’imaginait qu’une enfant du coin ferait un jour une telle carrière politique. Sa mère, aide-soignante, quitta son père lorsque Samia n’avait que six mois. Elle dut ensuite travailler dur pour nourrir ses quatre enfants, même si les grands-parents, des Chaouis originaires des Aurès, prenaient le relais de temps en temps.
« C’était un peu comme dans les montagnes d’Algérie. Je caillais le lait pour accompagner le couscous et mes grands-parents ne nous parlaient qu’en arabe », se souvient Samia. Son oncle Abid Dahou, trésorier de la mosquée Al-Islah, dans le 15e arrondissement de Marseille et « homme de gauche attaché à la laïcité », s’occupe d’elle également. Il complète son éducation et l’initie à la chose publique.
Mais c’est son professeur de français au lycée catholique Saint-Louis, où sa mère l’avait inscrite en raison de la proximité de l’établissement avec le domicile familial, qui l’incite à se lancer en politique, après l’avoir invitée à une réunion de section du PS. À l’âge de 16 ans, la jeune fille fait ses premiers pas de militante. Une révolte l’anime déjà : « Le racisme existe en France, arrêtons de nous voiler la face », tonne-t-elle.
Aujourd’hui, plus que jamais résolue à lutter contre toutes les formes de discrimination, Samia rêve de « désenclaver les quartiers nord » de Marseille et prône la mixité pour remettre en route l’ascenseur social. Son credo : « Il faut en finir avec la ghettoïsation et ces écoles où 80 % des élèves sont noirs et arabes. »
Elle-même a débuté sa carrière d’élue, en 1995, avec pour tout bagage un BEP de comptabilité. À seulement 27 ans, elle est élue adjointe au maire du 8e secteur de Marseille. À l’époque, la loi sur la parité n’existe pas… Mais ce succès est éphémère. Par la suite, elle essuie plusieurs revers. « Surtout au Parti socialiste, admet-elle. Je n’étais pas une héritière, je débarquais et j’appartenais à une tendance minoritaire. »
Sa plus grosse déception remonte aux élections législatives de 1997. Alors qu’elle compte bien décrocher l’investiture socialiste dans sa circonscription où elle milite depuis tant d’années, elle se voit préférer Sylvie Andrieux, une parachutée !
La pilule passe mal. Mais la jeune femme ne se décourage pas et finit par prendre sa revanche. D’abord aux municipales de 2001, à l’issue desquelles elle devient conseillère à la mairie centrale. Puis aux régionales de 2004 : élue sur la liste de Michel Vauzelle, président sortant de la région Paca, elle se voit offrir le poste de vice-présidente, chargée de la jeunesse et des sports.
En mars dernier, enfin, c’est la consécration. Arrivée en tête dans tous les bureaux de vote dès le premier tour, elle fait mieux que l’ancien maire du 8e secteur, Guy Hermier, son mentor en politique. Celui-ci « n’avait jamais réussi une telle prouesse », s’émerveille Nadia Boulainseur.
Depuis, les succès s’enchaînent. En six mois, Samia Ghali a coup sur coup obtenu un master d’économie (par « validation des acquis de l’expérience »), un siège à la communauté urbaine de Marseille et un autre au Sénat. Mais de tous ses mandats, il en est un qu’elle n’entend en aucun cas négliger, en dépit de son agenda très chargé : son rôle de mère de famille.
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