« Je me bats pour mon pays, pas pour nuire à qui que ce soit »

À quelques jours de l’ouverture du Dialogue national inclusif, le président centrafricain défend son bilan. Droits de l’homme, bonne gouvernance, relations avec la France, l’opposition et les groupes armés, mais aussi pouvoir, argent et religion…

Publié le 13 décembre 2008 Lecture : 17 minutes.

« Oubliée des hommes, peut-être, mais pas de Dieu ! » Dans le hall défraîchi de l’hôtel Oubangui, sur les rives du fleuve éponyme, le pasteur Kouamé, haut dignitaire en soutane blanche de l’Église du christianisme céleste, venu tout droit d’Abidjan rendre visite à son « frère » le président François Bozizé, proteste. Non, la Centrafrique n’est pas la grande oubliée des œuvres du Créateur. Et pour bien le démontrer, tout à l’heure, dans un temple du PK13, il montera en chaire devant le chef de l’État et exhortera la petite foule des fidèles à soutenir « celui que Dieu a choisi pour sauver ce pays ». Nous sommes le dimanche 9 novembre à Bangui, capitale figée dans le temps d’un État sinistré. Arrivé au pouvoir en mars 2003 à la tête d’une colonne de « libérateurs », élu deux ans plus tard après une consultation que la communauté internationale a jugé suffisamment démocratique, le général Bozizé, 62 ans, se débat comme il peut pour donner à la Centrafrique des allures présentables. Travail de Sisyphe.
« Bangui la Coquette, oui. Bangui la Roquette, non ! » martèle à chaque apparition publique cet homme taciturne, qui ne boit ni ne fume depuis sa conversion, il y a une vingtaine d’années, au christianisme céleste, et qui travaille en ermite douze heures par jour dans une présidence discrètement protégée par une escouade de soldats tchadiens et une poignée de conseillers sud-africains. Dans ce pays très pauvre de quatre millions et demi d’habitants, où des régions entières vivent en autarcie depuis des lustres, rien ou presque n’est à refaire et tout reste à faire. Actuel président en exercice de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), François Bozizé serait bien en peine d’accueillir chez lui un sommet des chefs d’État de la région tant les infrastructures font défaut. Quant à son Premier ministre, Faustin-Archange Touadéra, un mathématicien de haut niveau, il roule en Nissan Sunny et continue d’enseigner à l’université, histoire de boucler son budget : en dix mois de primature, il n’a touché que quatre mois de salaire.
Pourtant, à l’ombre tutélaire de la France, qui entretient ici un petit détachement réparti entre Bangui, Bouar et Birao, et du Gabon, parrain généreux, le président Bozizé veut y croire. La Centrafrique n’a-t-elle pas tout pour attirer les investisseurs : la terre, la main-d’œuvre, les richesses minières ? Tout, sauf l’impression durable d’une vraie stabilité. D’où l’importance du Dialogue national inclusif regroupant tous les acteurs politiques du pays, dont l’ouverture est prévue le 5 décembre à Bangui et dont, espère-t-on ici, sortira l’apaisement.
L’entretien qui suit a été recueilli dans la « salle des ambassadeurs » de la présidence, en présence des conseillers du chef de l’État et plus particulièrement de l’un d’entre eux, son nouveau « communicant », Henri-Pascal Bolanga, Camerounais, ancienne vedette de la radio Africa N°1 et de la télévision gabonaise, recruté il y a six mois. Depuis, « HPB » fourmille d’idées pour « vendre » son patron. Preuve que le vent de la mondialisation, à l’instar du souffle divin, n’a pas tout à fait oublié Bangui.

Jeune afrique : Mardi 11 novembre, une patrouille de l’armée centrafricaine est tombée dans une embuscade tendue par les rebelles d’Abdoulaye Miskine, non loin de la frontière tchadienne. Bilan : treize morts dans vos rangs. Est-ce à nouveau la guerre ?
François Bozizé : Nous n’en sommes pas encore là. J’ai entendu Miskine jurer qu’il n’y était pour rien mais, à l’occasion de la contre-attaque que nous avons menée conjointement avec les forces tchadiennes, nous avons fait prisonnier son propre frère et saisi des lots d’armes et d’uniformes neufs. L’enquête en cours nous permettra d’y voir plus clair. En attendant, il faut calmer le jeu.

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S’agit-il d’une tentative de sabotage du Dialogue national inclusif, qui doit s’ouvrir à Bangui le 5 décembre ?
Je n’ose y croire, dans la mesure où Miskine, qui bénéficie de la loi d’amnistie, est convié à y participer. Mais si cet incident se répète, alors ce sera une tout autre histoire.

Abdoulaye Miskine vit à Tripoli. On l’imagine mal agir sans l’aval des services libyens…
C’est vous qui le dites. Moi, je ne fais pas de commentaires.

Un premier Dialogue national a eu lieu en Centrafrique fin 2003. Pourquoi en tenir un second, cinq ans après ?
Parce que certains compatriotes ont cru bon, entre-temps, de prendre les armes et de se lancer dans des opérations de guérilla, malgré le retour à la légalité constitutionnelle et la tenue, en 2005, d’élections démocratiques. Les écouter, les réunir autour d’une table avec tous les acteurs du jeu politique, rectifier ce qui a lieu de l’être, tel est l’objectif de ce Dialogue national inclusif.

Lequel n’est pas à confondre avec une Conférence nationale souveraine…
En aucun cas. Il n’y a pas en Centrafrique de crise institutionnelle ou constitutionnelle. Comment voudriez-vous qu’on nous prenne au sérieux s’il fallait à chaque fois tout remettre en cause ?

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Ce dialogue durera quinze jours, avec des dizaines, voire des centaines de participants, des frais, des per diem, etc. Qui finance ?
Les Nations unies ont promis une aide, plusieurs chefs d’État voisins et amis de la Centrafrique également. Nous-mêmes, nous mettrons la main à la poche.

En annonçant publiquement, l’autre jour, la tenue du Dialogue inclusif, vous avez dit : « Je le fais devant vous, je vous prends à témoin, car la Centrafrique est une terre d’intoxication et de manipulations ». Que vouliez-vous signifier par là ?
Chaque fois que j’ai une annonce importante à faire, je procède de la sorte en réunissant le gouvernement, l’opposition, la société civile, les diplomates, etc. Il s’agit d’être transparent et d’éviter toute désinformation. La communication est l’une des armes favorites de nos adversaires, qui excellent dans la propagation de fausses nouvelles. Autant ne pas leur faciliter la tâche.

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Ce dialogue sera donc ouvert à tous. Y compris à l’ancien ministre de la Défense et actuel dirigeant d’un mouvement rebelle, Jean-Jacques Demafouth, en exil en France ?
Tout à fait. Les assassinats de Kembé en 1999, pour lesquels il était poursuivi, ont été amnistiés par la loi du 14 octobre. Il est donc libre de venir.

Et l’ex-président Ange-Félix Patassé, qui vit à Lomé depuis son renversement ?
Même chose. Il a été amnistié.

Donc, s’il rentre, Patassé aura droit au statut et au traitement d’ancien chef de l’État ?
Exact.

Pensez-vous vraiment qu’il reviendra au pays, après cinq années d’exil ?
Les membres du comité préparatoire du Dialogue l’ont rencontré au Togo. Il leur a semblé qu’il était disposé à venir. Pour le reste, il est libre…

Et les chefs militaires rebelles ?
J’ai fait libérer tous ceux qui étaient en détention à Bangui, dont le plus connu d’entre eux, le lieutenant Larmassoum, condamné à vingt ans de prison. Tous sont les bienvenus, y compris les capitaines Djadder et Sabone. Leur sécurité sera assurée. En réalité, je ne connais pas de pays d’Afrique où l’on soit allé aussi loin dans la main tendue à l’opposition, armée comme non armée. Que faudrait-il de plus ?

Ce dialogue, dans le fond, on vous l’a plutôt imposé…
Qui donc ?

L’opposition, le président gabonais, Omar Bongo Ondimba, qui en est le parrain, la communauté internationale.
Pas du tout. L’opposition a voulu, un moment, récupérer cette initiative. En vain. Je crois qu’elle y va désormais plutôt à reculons. Quant au doyen Bongo Ondimba, j’ai pour lui trop de respect pour penser qu’il a voulu me forcer la main. C’est mal le connaître.

Revenons à Jean-Jacques Demafouth. Il se présente sous une double casquette : chef d’une rébellion et chef d’un parti. Laquelle est la bonne ?
Je suis un peu comme vous : je n’y comprends rien. Pour moi, il est président d’un mouvement politico-militaire, l’APRD.

Êtes-vous disposé à le rencontrer ?
Mais je l’ai déjà rencontré à quatre reprises ! À Libreville, deux fois à Paris, et à Dakar. À son égard, je suis parfaitement serein. C’est lui qui interprète les choses à sa manière.

Votre loi d’amnistie exclut de son champ les crimes relevant de la Cour pénale internationale. Cela signifie donc que la CPI peut se saisir des exactions reprochées à votre armée dans le Nord, en 2005 et 2006.
Encore faudrait-il qu’elle le justifie. Pour notre part, si c’était le cas, nous serions prêts à coopérer avec cette instance.

Pas d’inquiétudes particulières ?
Aucune. Nous avons lutté pour notre pays, pas pour nuire à qui que ce soit. Aujourd’hui, la paix est là, le développement se dessine enfin, tous les Centrafricains sont libres de venir chez eux. S’il y a des explications à fournir, nous les donnerons à tous ceux qui nous posent des questions de bonne foi.

Le dernier rapport du Bureau des Nations unies en Centrafrique [Bonuca, NDLR], que dirige l’ex-Premier ministre guinéen François Fall, est assez sévère à votre encontre, alors que son prédécesseur, le Sénégalais Lamine Cissé, était lui plutôt bienveillant. Selon ce rapport, la plupart des violations des droits de l’homme sont imputées aux forces de défense et de sécurité. Votre commentaire ?
J’en ai discuté avec François Fall. C’est un malentendu. De vieilles affaires que le Bonuca a voulu publier sans nos amendements, ainsi que cela se fait d’ordinaire. Il est vrai que nous sommes un peu responsables, puisque nous n’avons pas réagi dans les délais. Je le regrette, car nous n’avons rien à cacher et ce genre de rapport donne du grain à moudre à nos détracteurs.

Le rapport parle également d’arrestations extrajudiciaires et de mauvais traitements sur les prisonniers.
Allez en prison, allez voir le ministre de la Justice : il n’en est plus rien. Ce sont de vieilles affaires, je le répète, que certains prennent un malin plaisir à relater comme si elles étaient d’hier. L’Eufor et les ONG sillonnent notre territoire. Si c’était un goulag tropical, croyez-vous que je pourrais le dissimuler aux yeux du monde ?

Quels sont vos rapports avec l’opposition démocratique ?
Nous nous voyons peu, en dehors des réunions officielles. Cette opposition fait son travail de contre-pouvoir, ce qui est normal. Il est dommage néanmoins que, pour des raisons qui m’échappent, il lui arrive de soutenir l’opposition armée. Au point que parfois je me demande si j’ai affaire à des démocrates ou à des rebelles.

L’ancien candidat à l’élection présidentielle et actuel chef du MLPC, Martin Ziguélé, que vous affronterez sans doute à nouveau en 2010, est rentré à Bangui depuis quelques mois. L’avez-vous reçu ?
Pas encore. Il a sollicité une audience mais je n’y ai pas, pour l’instant, donné suite. Certaines déclarations, maladroites ou excessives, de sa part n’augurent pas une rencontre franche et utile. Il ne s’agit pas de se voir pour se voir.

Pourtant, Martin Ziguélé a reconnu sa défaite en 2005. C’est une attitude louable, non ?
Tout à fait. Nos divergences n’ont d’ailleurs rien d’insurmontable et c’est quelqu’un que j’apprécie. Tôt ou tard, nous nous rencontrerons.

Qu’avez-vous fait pour les libertés publiques ?
Les Centrafricains n’ont jamais été aussi libres qu’aujourd’hui. Il n’y a aucun détenu d’opinion et les journalistes écrivent ce qu’ils veulent.

Vraiment ? Le Citoyen a pourtant rencontré quelques problèmes avec la justice.
Le Citoyen est un journal qui ne nous ménage pas, au point de flirter avec l’injure, mais nous le laissons faire, sauf quand il enfreint la loi – laquelle est d’application très laxiste, c’est le moins que l’on puisse dire.

Vous avez promulgué fin octobre une loi portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, malgré l’opposition de la plupart des juges. Pourquoi ce passage en force ?
Le fond du problème, c’est que notre justice est corrompue jusqu’à l’os. Ce fait est connu du dernier de nos paysans. Nous voulons donc éradiquer les mauvais magistrats, ceux qui font honte à leur profession. La réaction négative que vous évoquez est avant tout une réaction corporatiste. Mon intention n’est pas d’aller contre la Constitution mais de redonner aux Centrafricains et aux investisseurs confiance dans une justice impartiale, honnête et indépendante. Pour cela, il fallait revoir le statut de la magistrature afin que les mauvais éléments puissent être sanctionnés.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’avoir tribalisé votre régime, au point de n’accorder de postes sensibles qu’aux ressortissants de votre ethnie, les Gbayas ?
Seuls ceux qui veulent le fauteuil sur lequel je suis assis formulent ce genre de critique. Il suffit de comparer, statistiques à l’appui, mon régime avec ceux qui l’ont précédé pour s’apercevoir de leur mauvaise foi. Citez-moi des cas, je vous répondrai.

Votre fils Francis est ministre de la Défense.
Nommé pour ses compétences ! Il a lutté sur le terrain, les armes à la main, pour que le peuple retrouve la paix et la liberté. Au nom de quoi voudrait-on l’empêcher de participer au gouvernement ? Je devrais donc le sacrifier, le livrer à l’ennemi pour plaire à mes détracteurs ! Mon fils fait du bon travail et je ne le juge qu’à ce seul critère.

Sylvain Ndoutingaï, qui occupe le poste clé de ministre des Mines et de l’Énergie, est l’un de vos proches parents.
Et alors ? Que lui reprochez-vous ? D’avoir débarrassé le secteur de la mafia qui y régnait en maître ? D’avoir fait adhérer la Centrafrique au processus de Kimberley sur les diamants et bientôt à l’Initiative pour la transparence sur les industries extractives ? Est-ce cela dont on lui fait grief ? Devrais-je n’avoir aucun parent dans aucune structure de la République ? C’est un bon ministre.

Pourtant, les Français, il n’y a pas si longtemps, exigeaient son limogeage…
Je m’en suis expliqué avec eux, surtout avec Areva. La communauté internationale ne peut pas à la fois exiger de nous toujours plus de rigueur et nous dire de changer de cheval quand cette rigueur porte atteinte à certains intérêts.

Lors de votre visite à Paris, en novembre 2007, le président Sarkozy lui-même a réclamé la tête de Ndoutingaï !
C’est inexact. Il a formulé certains reproches en séance plénière, mais lors de notre entretien en tête à tête, il n’a rien exigé de tel. Si Ndoutingaï a détourné de l’argent, qu’on me le prouve ! Je considère qu’il ne fait que son travail, dans la plus grande transparence. Les gens de la Banque mondiale sont allés le vérifier jusque dans son bureau. Il a étalé tous ses documents. Ils n’ont rien trouvé à redire. Et vous voudriez que je le chasse et que je mette à sa place un gabegiste ! C’est le monde à l’envers…

Êtes-vous satisfait de votre gouvernement et de votre Premier ministre, M. Touadéra ?
Je n’ai rien à leur reprocher, même s’il faut parfois secouer certains ministres. Faustin-Archange Touadéra est en place depuis moins d’un an, il est donc trop tôt pour le juger. Le travail avec lui est fluide et le contact aisé.

Et les salaires des fonctionnaires ?
Depuis deux ans, nous les payons à terme échu, et parfois doublement. Les arriérés accumulés depuis mon arrivée au pouvoir ne dépassent pas trois ou quatre mois. Tous mes efforts tendent vers leur résorption définitive. En tant que président du Comité de trésorerie, j’y veille personnellement.

Vous avez enfin conclu, début août, un accord avec Areva pour l’exploitation de la mine d’uranium de Bakouma. Pourquoi a-t-il fallu un aussi long bras de fer pour en arriver là ?
Il faut être deux pour danser la rumba. Le temps que chacun des deux partenaires ajuste ses pas, cela ne se fait pas en un jour.

C’est un accord gagnant-gagnant, comme l’a dit Anne Lauvergeon, la présidente d’Areva ?
Nous avons obtenu le minimum nécessaire. Nous sommes satisfaits.

Selon une étude confidentielle réalisée sur le terrain, il y a quelques années, la zone de Bakouma a été fortement contaminée lors de sa première exploitation par la défunte Cogema. Que comptez-vous faire ?
Areva a promis de s’en occuper. L’accord prévoit la construction sur le site d’un observatoire pour jauger les impacts potentiels de la radioactivité, ainsi que la création d’un centre de santé.

Par contre, en ce qui concerne l’exploitation pétrolière dans le Nord-Ouest, le blocage demeure total avec les Américains de Greenberg.
Effectivement, c’est une mauvaise affaire, un mauvais contrat signé par l’ex-président Patassé, dont nous avons hérité. C’est avocats contre avocats, plainte contre plainte. Cela prend un temps fou. Mais nous finirons par nous en sortir, au mieux des intérêts de la République.

Le gouvernement a fait procéder à la fermeture de huit bureaux d’achat de diamants sur treize. Pourquoi cette décision ?
Nous avons constaté, au niveau du Comité de trésorerie, une baisse préoccupante des recettes générées par ce secteur. Une enquête a été ouverte, qui nous a permis de découvrir que la plupart des sociétés diamantifères ne respectaient pas les conventions conclues avec l’État, pour certaines depuis près de trente ans. Il fallait donc remettre de l’ordre.

Il se dit que les bureaux qui ont été épargnés sont ceux où vous ou vos proches détiennent des intérêts…
Ridicule. Je connais à peine le nom de ces sociétés et, jusqu’à ce jour, je ne saurais même pas faire la différence entre un diamant et une vulgaire verroterie ! L’enquête à laquelle nous avons procédé est indiscutable et transparente. La plupart des coupables reconnaissent d’ailleurs leur faute et sont prêts à payer toutes les amendes nécessaires. Pour le reste, je suis parfaitement serein : je n’ai aucun intérêt dans ce secteur.

Pourquoi les investisseurs ont-ils toujours peur de venir chez vous ?
Je crois qu’ils feraient mieux de venir nous voir plutôt que de se laisser influencer par les sornettes que l’opposition débite au kilomètre sur l’Internet. Ils verraient que la réalité est tout autre. Ceux qui, comme Castel, Orafrique ou désormais Areva, ont pris le risque centrafricain ne le regrettent pas, croyez-moi. Ils font d’excellentes affaires.

La Centrafrique est en 171e position sur 177, selon le dernier classement mondial du Pnud, et plus de 66 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Qu’avez-vous donc fait de votre demi-siècle d’indépendance ?
Vous connaissez l’histoire de ce pays : l’empire, les mutineries, l’instabilité permanente. C’est pour mettre un terme à tout cela que j’ai pris le pouvoir. Qui est responsable de ce gâchis ? Je crois que la responsabilité est collective. Voilà d’ailleurs un excellent sujet de débat pour le Dialogue national.

Existe-t-il un mal centrafricain ?
Oui, la paresse, la haine, le jeu empoisonné des politiciens, l’appât du gain. Il est impératif de faire notre mea-culpa.

Êtes-vous un homme riche ?
Riche en quoi ? Riche de quoi ? Vous êtes allé chez moi. Croyez-vous que c’est une résidence de chef d’État ? Soyons sérieux. Si je vous montrais ma chambre à coucher, vous seriez surpris de sa rusticité, j’en ai presque honte. Ma résidence n’arrive pas à la cheville de celle de certains de mes compatriotes dont chacun ici connaît les noms. Je suis issu d’une famille pauvre. Le luxe ne m’intéresse pas.

Quelles sont vos relations avec le président tchadien, Déby Itno ?
Aucun problème.

Et avec le Soudanais Omar el-Béchir ?
L’incident de mars 2007, quand une colonne rebelle venue du Soudan s’est enfoncée en territoire centrafricain, a été éclairci. Nos rapports se sont depuis apaisés.

Avez-vous craint, à l’époque, que les rebelles aillent jusqu’à Bangui ?
Non. Nous les avons stoppés et repoussés au-delà de la frontière avec l’aide de nos amis de toujours, les Français.

N’avez-vous pas peur que cela recommence ?
Et pourquoi donc ? Vous ne voulez pas que la paix règne dans ce pays ? Je vous connais depuis vingt ans et je n’imagine pas une seconde que tel puisse être votre souhait…

Pensez-vous être bien entouré ?
Oui, je le crois. Seul, je ne serais pas parvenu à redresser la Centrafrique.

Craignez-vous pour votre propre sécurité ?
Tout chef d’État a cette préoccupation présente à l’esprit, quelle que soit la qualité de la protection dont il bénéficie. Mais on vit avec.

Accordez-vous facilement votre confiance ?
Plutôt, oui. À celles et ceux qui travaillent bien.

Revers de la médaille : vous êtes parfois déçu…
Effectivement.

Trahi ?
Il faut s’y attendre. Même si cela n’est pas encore arrivé depuis que je suis chef de l’État.

Déléguez-vous aisément ?
Oui, mais je contrôle en permanence.

Vous êtes un fervent adepte du christianisme céleste depuis votre exil au Bénin, il y a une vingtaine d’années. Pourquoi avoir choisi cette Église plutôt qu’une autre ?
Dans mon exil, j’étais seul, coupé de ma famille. Ma rencontre avec les chrétiens célestes a été pour moi une planche de salut et un grand réconfort.

C’est une Église africaine par essence. Est-ce cela qui vous a attiré ?
Peut-être, mais ce n’est pas l’essentiel. On y prie librement et sincèrement, on y sent la présence de Dieu au cours des cultes, on chante, on lit la Bible. C’est tout sauf une secte.

L’Église catholique n’aime pas trop cette concurrence…
À tort. J’ai été moi-même catholique avant de devenir céleste. Et puis, les deux institutions ne sont pas comparables par leur ampleur. En réalité, cette Église m’a rendu plus moral, plus sûr de moi. J’agis dans le sens de la justice et du bien collectif. Ne dit-on pas que le pouvoir est un don de Dieu ?

Prônez-vous la non-violence ?
Je suis contre l’usage de la force. Mais, si on m’y contraint pour défendre le peuple et la Constitution, le pays, alors, je n’hésiterai pas à y avoir recours.

La peine de mort existe en Centrafrique. Pourquoi ne pas l’abolir ?
Ce n’est pas une urgence. De toute manière, elle n’est pas appliquée.

Vous vous voyez, vous, signant l’ordonnance d’exécution d’un condamné à mort ?
Le cas ne s’est pas encore présenté. J’aviserai.

Êtes-vous fier d’être centrafricain ?
Oui. Puisque Dieu a voulu que je naisse dans ce pays…

Comment avez-vous suivi l’élection de Barack Obama ?
Avec passion. De 23 heures à 11 heures du matin, non-stop, devant ma télévision.

En songeant à votre propre échéance, en 2010 ?
Il est trop tôt pour cela.

Votre slogan favori, Kwa na kwa, « le travail, rien que le travail » en sango, c’est un peu « aide toi, le ciel t’aidera », non ? Il faut se prendre en charge plutôt que d’aller prier dans les églises…
Comme vous y allez ! Les deux ne sont pas incompatibles. La Bible dit : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front. » Et notre président fondateur Barthélemy Boganda : « Parlez peu et travaillez beaucoup. »

Boganda, c’est votre référence ?
C’est la référence de tous les Centrafricains. S’il n’avait pas été assassiné en 1959, notre pays n’aurait sans doute pas emprunté le chemin chaotique qui a été le sien. C’était un visionnaire. Son programme se résumait en cinq mots : nourrir, vêtir, soigner, loger, instruire, les fameux cinq verbes du Mouvement pour l’évolution sociale de l’Afrique noire, le Mesan. Un demi-siècle plus tard, c’est encore et toujours mon programme.

Vous considérez-vous comme son héritier spirituel ?
Ce n’est pas à moi de le dire. Mais si un jour je mérite ce qualificatif, alors, oui, j’aurai accompli ma mission.

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