Comment va le Maroc ?
Le volontarisme des autorités pour faire du royaume un acteur d’envergure régionale et une destination privilégiée pour les investisseurs est manifeste. Pourtant, des déséquilibres demeurent.
Considéré par les bailleurs de fonds et les investisseurs comme un bon élève – par rapport à ses voisins – en matière d’attractivité, de communication, d’ouverture internationale, de transparence et de vision économique à moyen terme, le Maroc a plus d’un atout : une stabilité politique et économique qui tranche avec d’autres pays d’Afrique du Nord, de grands programmes d’investissement dans les infrastructures, de vastes chantiers de repositionnement économique entrepris pour rendre le royaume plus compétitif et plus moderne face à la concurrence internationale. Le pays se positionne aussi avec succès comme une plateforme entre Afrique et Europe. « Il commence à jouer un rôle de hub vers l’Afrique, grâce à l’implantation des banques marocaines » au sud du Sahara, confirme Jawad Kerdoudi, économiste et président de l’Institut marocain des relations internationales (Imri). Les progrès désormais soutenus enregistrés dans la création de Casablanca Finance City, la future place financière tournée vers l’Afrique subsaharienne, en témoignent.
Dans cette quête, le capitalisme marocain peut compter sur ses champions africains, symboles d’une véritable réussite entrepreneuriale : Attijariwafa Bank, FinanceCom, Addoha, Alliances, Saham, Maroc Télécom, ou encore la Société générale des travaux du Maroc (SGTM). Mais un véritable fossé sépare ces fleurons des milliers de PME et PMI qui composent 95 % du tissu productif, selon une estimation de l’Agence nationale pour la promotion de la petite et moyenne entreprise. Des sociétés qui n’ont que rarement su – ou pu – prendre le virage de la modernité et de la saine gestion. Elles souffrent notamment de la difficulté de l’accès au crédit.
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Au final, la croissance marocaine reste supérieure à celle de ses voisins mais, dans un pays où l’agriculture pèse 17 % du PIB, elle varie surtout au gré des récoltes. De 4,9 % en 2011, elle est passée à 2,9 % en 2012, selon le Fonds monétaire international (FMI). Loin des 7,8 % atteints en 2006. Les flux des investissements directs étrangers restent, eux aussi, irréguliers : en 2007, ils ont atteint la somme record de 2,8 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros) d’après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), contre 1,6 milliard de dollars en 2010 et 2,5 milliards en 2011. Le trou des finances publiques se creuse, le chômage des jeunes reste structurel, l’accès au foncier pour les entreprises est très compliqué. Bilan d’une économie au potentiel encore largement sous-exploité.
Plans sectoriels : des résultats inégaux
Dès le début des années 2000, le Maroc a changé de cap dans ses politiques publiques en lançant de vastes plans sectoriels destinés à diversifier son économie et à intensifier les efforts dans les secteurs phares. « Les élites du pays ont en général une bonne vision stratégique. Les grands plans vont clairement dans le bon sens », estime Frédéric Baranger, de l’Institut Amadeus, un think-tank marocain.
Le plan Azur, adopté au début de la décennie 2000 pour doper le secteur touristique, n’a pourtant pas eu tous les résultats escomptés. Le Maroc a bien augmenté ses revenus en attirant près de 10 millions de touristes en 2010. Mais les taux d’occupation n’ont atteint que 40 %, alors que le seuil de rentabilité est de 60 %. Les chantiers de construction de certaines stations balnéaires ont accusé des retards pour cause de mauvaise gestion et de changement de maître d’oeuvre.
Un nouveau plan pour la période 2011-2020 entend doubler le chiffre d’affaires du secteur et la capacité d’hébergement du royaume, tout en visant la création d’un million d’emplois
. Dans l’agriculture, le plan Maroc vert a été lancé en 2008, avec un budget d’investissement de 150 milliards de dirhams (13,5 milliards d’euros) à l’horizon 2020. Ses objectifs sont d’augmenter les revenus agricoles et d’organiser la filière, composée à 70 % d’exploitations inférieures à 5 hectares. Ils sont en partie atteints : la production a, depuis, augmenté de 40 %, et 33 milliards de dirhams ont été investis dans le secteur, d’après des chiffres présentés en avril 2012. « La dynamique est bien enclenchée ; il faut voir où en était le pays en 2004 en matière agricole », souligne un banquier marocain.
Abdelkader Amara, ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies
« Le Maroc poursuit une stratégie concertée pour passer de pays sous-industrialisé à pays en voie d’industrialisation. Nous avons déjà réussi l’implantation d’entreprises leaders dans leurs domaines, notamment dans des secteurs de pointe comme l’aéronautique (Safran puis Bombardier) et l’automobile (Renault). Il faudra du temps, car les pays industriels au nord de la Méditerranée ont entamé leur évolution depuis longtemps. Je note avec satisfaction que, en 2012, l’industrie a été en tête en termes d’investissements étrangers, avec plus de 8 milliards de dirhams [près de 720 millions d’euros, NDLR]. Jusque-là, l’immobilier et le tourisme attiraient le plus de capitaux. »
L’industrie n’est pas en reste, avec le Pacte national pour l’émergence industrielle courant sur la période 2009-2015. En février dernier, les troisièmes Assises de l’industrie, à Tanger, ont été l’occasion de dresser un bilan à mi-parcours ; il est contrasté. Certaines filières, comme l’aéronautique et l’automobile, sont très prometteuses. Mais dans l’ensemble, l’industrie, surtout en raison des difficultés du textile et du cuir, a perdu 76 000 emplois depuis 2009, selon le haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi Alami.
Sur le volet énergétique, le Maroc a mis en place un plan solaire fin 2009, afin d’atteindre une capacité de production d’au moins 2 000 mégawatts d’ici à 2020. L’appel d’offres pour la construction de la deuxième tranche de la centrale de Ouarzazate – dont la capacité sera, à terme, de 500 MW et qui doit entrer en service en 2015 – a été lancé récemment. Le chemin est encore long.
Finances publiques : le poids des subventions
Depuis la crise économique internationale de 2009, les finances publiques se sont dégradées. En 2012, le déficit budgétaire a ainsi atteint 7,1 %, selon le Haut-Commissariat au plan, contre 6,2 % en 2011 et 4,7 % en 2010. Trois facteurs ont pesé négativement sur les finances du royaume. La détérioration de l’environnement économique extérieur – principalement en Europe – a mis à mal sa balance commerciale, dont le déficit s’est creusé de près de 36 milliards de dirhams entre 2010 et 2011, pour atteindre 184 milliards de dirhams, d’après l’Office des changes. Le pays a également souffert de la cherté des matières premières, notamment énergétiques : il dépend de l’étranger pour 95 % de son approvisionnement en pétrole.
L’augmentation des traitements des fonctionnaires, des pensions de retraite et des dépenses sociales pour maintenir le pouvoir d’achat a fait flamber le déficit.
De fait, la Caisse de compensation, qui subventionne les prix des produits de première nécessité, absorbe près de 20 % du budget national. « La réforme du système de subventions est indispensable et urgente », a estimé en décembre le FMI à l’issue de sa mission annuelle dans le pays. Véritable serpent de mer, le dossier est explosif pour le gouvernement. Hormis une hausse de 14 % du prix du gasoil et de 27 % de celui du fuel industriel en juin 2012, le statu quo perdure pour les produits subventionnés (céréales, électricité, farine, gaz, sucre…). Or, inadapté, « le système de compensation actuel profite plus aux riches qu’aux pauvres. Il est temps de le réformer, nous n’avons plus le choix », s’insurge Hicham El Moussaoui, maître de conférences en économie à l’université Sultan-Moulay-Slimane de Béni Mellal et analyste pour libreafrique.org. Pour Frédéric Baranger, de l’Institut Amadeus, « la réforme de la compensation doit passer par un meilleur ciblage des aides – qui concernent aujourd’hui toute la population -, mais on n’en prend pas le chemin ». À l’approche des élections communales de juin, le gouvernement étudie diverses pistes, comme des aides directes aux plus démunis, sans définir une feuille de route claire.
La crise européenne peut-elle entraîner le Maroc dans la stagnation ?
Jawad Kerdoudi. Président de l’Institut marocain des relations internationales (Imri).
NON « C’est préoccupant, mais pas catastrophique. Car, malgré des baisses possibles dans le tourisme, les transferts des Marocains résidant à l’étranger et les exportations, l’économie marocaine reste tirée par la forte demande intérieure. Le royaume a largement les moyens pour ne pas subir la mauvaise conjoncture de nos voisins du Nord. En revanche, il faut diversifier nos débouchés, en priorité vers l’Afrique de l’Ouest. »
Hicham El Moussaoui. Économiste, analyste pour le site libreafrique.org.
OUI « Il est impossible d’avoir un PIB hors secteur agricole en hausse lorsque son principal partenaire est en récession. Nous pouvons nous attendre à une baisse des exportations vers l’Europe, mais aussi des investissements directs étrangers, des transferts des Marocains résidant à l’étranger et des recettes touristiques. La bonne récolte attendue cette année ne servirait qu’à compenser la baisse du PIB non agricole. »
Alors que la dette publique tutoie le seuil dangereux de 70 % du PIB, Nizar Baraka, ministre de l’Économie et des Finances, table sur un déficit budgétaire de 4,8 % en 2013. « Les projections du ministère sont à prendre avec des pincettes », prévient Frédéric Baranger. Pour preuve, à la fin février, les dépenses de fonctionnement de l’État avaient bondi de 18,4 % sur un an, d’après les chiffres publiés par la Trésorerie générale du royaume.
Jeunes : inaptes au travail ?
Le taux de chômage a atteint 9 % en 2012, d’après le Haut-Commissariat au plan, contre 8,9 % en 2011. Comme dans d’autres pays de la région, le chômage des jeunes reste trop élevé, bien qu’une réelle baisse se soit amorcée depuis dix ans. Ainsi, 33,5 % des 15-24 ans et 19,6 % des 25-34 ans vivant en milieu urbain étaient au chômage fin 2012, contre respectivement 37,6 % et 30 % en 2000. Dans ces tranches d’âge, « ce sont les diplômés qui enregistrent le taux de chômage le plus élevé », souligne le haut-commissaire au Plan. Des chiffres en adéquation avec ceux de la Banque mondiale, qui estimait en juin dernier le chômage chez les 15-29 ans à près de 30 %. Principale cause : la qualité des formations. « Notre enseignement public est malheureusement inadapté aux besoins du pays. Il ne prépare pas du tout nos étudiants au marché du travail. Beaucoup de filières ne débouchent sur aucun emploi », déplore Jawad Kerdoudi. Pour Karim Bernoussi, PDG d’Intelcia, société spécialisée dans la relation clientèle, « le système éducatif marocain vit un vrai malaise dû aux multiples réformes non abouties. Et l’arabisation [décrétée à la fin des années 1980, NDLR] a eu un impact très négatif. Nous en subissons encore les conséquences ».
Pour 2013, le gouvernement a annoncé le renforcement des programmes de lutte contre le chômage, mais les effets ne s’en feront pas sentir du jour au lendemain, car le pays a besoin d’une croissance soutenue (au moins 6 %) pour inverser la tendance. « Les programmes de lutte contre le chômage n’ont pas donné de résultats, souligne Asmae Benthami, professeure à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Salé, près de Rabat. Les solutions mises en place ne sont qu’à caractère conjoncturel, ce qui ne permet pas de résorber le chômage chez les jeunes sur le long terme. »
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