Brazzaville, la belle d’antan
Depuis la fin de la guerre, la capitale congolaise a bien changé et aspire à se moderniser. Mais que reste-t-il de « Brazza la verte » ?
Pétrole, rumba et démocratie
Les façades éventrées de l’hôtel Mbamou sont couvertes d’échafaudages. La réhabilitation de ce qui fut, autrefois, le fleuron de l’hôtellerie brazzavilloise est en cours. Avec elle, l’un des derniers stigmates de la guerre civile de 1997 est en train de disparaître. Non loin de là, au rond-point de Poto-Poto, la toiture verte de la basilique Sainte-Anne, enfin réparée, étincelle au soleil. Tandis que, au centre-ville, l’imposant Mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza, flambant neuf, semble snober la mairie. De nouveaux bâtiments ont été construits ; les immeubles ravagés par les combats, réhabilités ; d’anciens édifices (dont le Conseil économique et social), ripolinés ; des ronds-points, aménagés. Partout ailleurs, à la faveur de la municipalisation accélérée, la ville est devenue un vaste chantier.
Brazzaville serait-elle en train de devenir une grande capitale moderne ? Pas vraiment. Bien sûr, les chantiers publics ne manquent pas. Il faut faire vite d’ailleurs pour que les travaux de réhabilitation de quelques grands axes routiers, de nouvelles canalisations d’eau ou des constructions de logements sociaux soient achevés, sinon pour la 48e fête de l’Indépendance du 15 août (qui a lieu cette année à Brazzaville), du moins pour l’échéance présidentielle de 2009. Du coup, dans la plupart des quartiers, des rues sont barrées pour permettre la réalisation des travaux. Ce qui fait pester les taximen, obligés de faire preuve d’imagination pour éviter les embouteillages et trouver des itinéraires bis.
Les chantiers privés ne sont pas en reste. Grands commerçants et fonctionnaires ont investi dans des villas, des immeubles de rapport ou des hôtels. La plupart de ces constructions sont à étages, un ou deux pour les villas, plus pour les autres. Avec portiques, balcons et colonnes. Le dernier chic. La fièvre qui s’est emparée de la ville n’a cependant pas touché tous les quartiers. Peu de grandes réalisations privées dans les arrondissements du Sud. En revanche, la frénésie de construire a gagné le Plateau et le nord de la ville. Ainsi que Mpila, où un nouveau quartier a été aménagé sur l’ancien domaine de l’ATC (Agence transcongolaise des communications). Les concessions y sont vastes et les villas, immenses. Et pour cause. C’est ici que les riches ont « pris leurs quartiers ».
Le tissu urbain ancien étant saturé, l’extension de Brazzaville s’opère à sa périphérie, en particulier sur la route du Nord, au-delà de Mikalou et jusqu’au cimetière d’Itatolo. Non loin de la cité Soprogi, un ancien programme de logements pour fonctionnaires. Des dizaines de villas, dont certaines inachevées, ont ainsi fleuri en pleine brousse. Faute d’unité architecturale et urbanistique, la ville manque d’âme.
En l’absence d’un code d’urbanisme, les nouvelles réalisations, en ville comme à la périphérie, n’ont pas de cohérence. Toutes les hauteurs cohabitent, l’alignement du bâti est aléatoire, l’ensemble donnant l’impression d’un grand désordre. « Brazzaville n’a qu’un schéma directeur. On délimite des zones au sol, on leur attribue une fonction, mais on ne réglemente pas le bâti », explique Pierre, un urbaniste. En outre, Brazza s’est hérissée d’antennes de téléphonie mobile et de panneaux publicitaires, dont l’implantation n’est pas plus réglementée. Ce qui frappe aussi terriblement, c’est la dégradation de l’environnement. « Brazzaville la verte » n’est plus vraiment ce qu’elle était. Le ramassage public des ordures est parti à vau-l’eau. Quand ils ont quelques F CFA, les Brazzavillois s’offrent les services d’un jeune qui, au petit matin, collecte dans sa charrette à bras les ordures de ses clients… qu’il déversera ensuite dans des décharges sauvages. Même à Mpila, les ruelles sont envahies de tas d’ordures et de sacs plastique. Que dire de la situation dans les quartiers populaires surdensifiés… Sans compter les trottoirs, ou ce qu’il en reste, envahis par les étals et les kiosques où l’on vend des cartes de téléphone et où chacun peut passer son coup de fil. Quant aux espaces verts, ils tendent à disparaître. Car, le foncier étant devenu cher, les parcelles sont divisées pour y construire sans possibilité d’y laisser un centimètre carré de verdure. On respire un peu plus à Bacongo, Makélékélé, Kinsoundi ou Mfilou, où les terrains sont encore arborés.
Autre grand problème, le manque d’eau et d’électricité. Ne tirant que des filets d’eau, voire pas d’eau du tout, de leurs robinets, les habitants sont contraints de transporter des bidons d’un quartier à l’autre. Quant aux délestages, ils rendent difficile le quotidien des ménages et pénalisent les artisans et les entreprises. « Un jour sur trois, mes employés sont au chômage technique une bonne partie de la journée. Pour rattraper le retard, ils doivent travailler la nuit ou le dimanche », se plaint Jacques, gérant d’une société d’informatique et multimédia. Marie, la couturière, a plus de chance car elle dispose d’un groupe électrogène. Cependant, l’achat de gazole augmente les coûts de fabrication, qu’elle ne peut répercuter sur ses tarifs… Tous attendent avec impatience l’achèvement de la centrale hydroélectrique d’Imboulou (200 km au nord de Brazzaville), en cours de construction sur financement chinois, qui devrait être livrée avant la fin de l’année 2010.
Tout est prioritaire
Cependant, les travaux d’infrastructures engagés pour le moment laissent les Brazzavillois quelque peu indifférents. S’ils sont contents que la voirie s’améliore, ils aimeraient aussi avoir plus de courant et d’eau, des centres de santé et des écoles dignes de ce nom. L’extension de l’aéroport de Maya-Maya ne suscite guère plus d’enthousiasme. Il aurait même tendance à inquiéter. « On va exproprier des familles qui n’auront pas les moyens de s’offrir les logements sociaux qui se construisent. » Achevés rue des Trois-Francs, à Mpissa, et lancés au Camp-Clairon, dans le quartier du Plateau, ces lotissements, qui répondent aux doux noms de Saka-Saka, Manga, Papaye ou Safou, ne sont en effet pas à la portée de tous. « Qui peut payer les 20, 27 ou 31 millions de F CFA ? », s’interroge Annie, une assistante de direction. Et ceux qui n’ont pas les moyens, même s’ils sont mariés, continueront donc à vivre chez les parents.
Pour oublier les maux du quotidien, les Brazzavillois fréquentent les nganda (bistrots) et bars-dancings (voir p. 107). Un peu de musique, de danse et une bonne bière ne peuvent pas faire de mal. Chez les jeunes, les nouveaux lieux de divertissement sont les salles vidéo – d’ailleurs devenues plus rentables que les cybercafés -, ce qui n’est pas pour plaire aux parents. « On y visionne des films pornographiques », s’inquiète une mère de famille. Pour les sorties plus culturelles, il reste les Centres culturels français et Sony Labou Tansi, et quelques expositions. C’est peu. Beaucoup souhaitent que Brazza retrouve son aura d’antan, quand la peinture et la musique faisaient sa fierté. Et qu’elle soit une vraie capitale. « Sassou vient tout juste de se réveiller en lançant des travaux d’infrastructures. C’est un peu tard. Il faut qu’il s’active », s’époumone Jean. Autour de lui, tous hochent la tête, comme pour dire qu’il y a en effet urgence.
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