La concorde à tout prix

À quinze jours des élections législatives, le système rwandais privilégie le dialogue permanent entre les partis. Le pays a-t-il trouvé sa voie en pratiquant une démocratie certes dirigée, mais apaisée ?

Publié le 12 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Une démocratie à part
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Une démocratie à part

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« Au Rwanda, nous avons un terrain d’athlétisme sur lequel chacun court dans la même direction. Ce qui n’empêche pas que certains soient plus forts que d’autres. La compétition reste ouverte et chacun y va avec ses moyens. S’il y a compétition, y a-t-il opposition ? Cela dépend de la capacité des gens à y contribuer. » C’est ainsi qu’Anicet Kayigema, secrétaire exécutif du Forum de concertation des formations politiques au Rwanda, définit le fonctionnement du système politique de son pays. Ici, la démocratie n’est pas comprise comme l’exercice du pouvoir par une majorité issue des urnes au détriment d’une minorité. Ni comme un affrontement permanent entre deux camps antagonistes. Ici, s’il y a un parti majoritaire, en l’occurrence le Front patriotique rwandais (FPR, voir p. 69) – le parti du président Paul Kagamé -, la notion d’opposition, au sens classique du terme, n’a aucun sens. Pour Vincent Biruta, président sortant du Sénat et leader du Parti social-démocrate (PSD), « ce que nous faisons au Rwanda est particulier parce que notre situation est particulière. Nous sommes loin des clichés occidentaux où la démocratie serait uniquement une affaire de majorité et d’opposition. Le parti majoritaire ne nous impose jamais son point de vue. Le système en place a été conçu avec la participation de tout le monde ». Et c’est ce que montre la campagne électorale engagée depuis le 25 août pour les élections législatives, qui se dérouleront du 15 au 18 septembre (voir encadré p. 69).

Loin des clichés occidentaux

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Privilégier un dialogue permanent entre les partis en vue d’un consensus national, telle semble être la préoccupation des dirigeants rwandais. Au risque de voir cette volonté assimilée à une manière très subtile d’étouffer toute opposition. Une vision que balaie Pierre Rwanyindo Ruzirabwoba, directeur de l’Institut de recherche et de dialogue pour la paix (IRDP) de Kigali. « La convergence de vues vient après que tout le monde s’est exprimé, assure-t-il. Les questions d’intérêt national sont discutées par tous les Rwandais, compte tenu du contexte post-génocide et des objectifs que nous voulons atteindre : la réconciliation ­nationale, la non-exclusion, la construction d’un État-nation. » Tirant les leçons de l’histoire récente, les dirigeants rwandais ont conclu que la violence qui a conduit au génocide de 1994 est la conséquence de l’exclusion pratiquée par les régimes précédents. D’où la volonté d’associer toute la classe politique à la gestion du pays. Au nom de ce principe, le partage du pouvoir a été consacré par la Constitution adoptée en 2003. Ainsi, le président de la République et le président de la Chambre des députés, par exemple, proviennent de formations politiques différentes. La Constitution dispose également que le parti politique majoritaire à la Chambre des députés ne peut pas dépasser 50 % de tous les membres du gouvernement. Tenant compte de cela, l’équipe gouvernementale, bien que dominée par des membres du FPR, comprend des ministres issus des neuf partis reconnus.

L’alliance du consensus et du droit à la différence

Cette particularité rwandaise soulève quelques questions, dont celle de savoir si tous ces partis qui doivent beaucoup au FPR ne sont pas phagocytés. « Les phagocyter ? Non, c’est une façon de les inclure, répond François Ngarambe, secrétaire général du FPR. Après le génocide, même avec notre victoire militaire, nous ne pouvions pas gouverner seuls. » Les Rwandais ont poussé leur droit à la différence jusqu’à l’organisation spatiale au Parlement. Les députés ou les sénateurs n’occupent pas leur place en fonction de leur appartenance politique, mais par ordre alphabétique. Quand ils interpellent un ministre, tout le monde reste assis. Les questions sont posées d’une manière plus que courtoise, sans éclat de voix ni prouesse oratoire, à part, quelquefois, des pointes d’humour. Et lorsqu’il s’agit de voter les lois, c’est chacun pour soi. « Chaque membre du Parlement agit selon sa conscience, précise Vincent Biruta. Il n’y a aucune consigne de vote. Voter en bloc est tout le contraire de la démocratie. » Le paradoxe est que, dans son fonctionnement, la démocratie à la rwandaise donne l’impression d’être contrôlée et d’évoluer au gré du pouvoir. Un exemple : il y a à peine six mois que les partis ont reçu l’autorisation de s’implanter sur l’ensemble du territoire, jusque dans le plus petit des villages. Les autorités rétorquent que cette autorisation découle d’un constat : la classe politique a mûri et elle tient un discours unificateur. Le processus démocratique rwandais repose sur une option fondamentale : la décentralisation. Fondée sur un contrat de performance entre les responsables des plus petites entités et le gouvernement, elle a débouché sur la constitution d’assemblées et de gouvernements locaux chargés de répondre aux préoccupations des communautés de base. Et également sur l’émergence de quelques leaders d’opinion au niveau des structures locales. Les membres de cette « opposition sociale » sont consultés, sollicités pour faire passer les messages du pouvoir central. Un chef de village ne cache pas sa satisfaction : « Nous sommes entièrement responsables et nous décidons librement de notre sort. » Mais certains observateurs estiment qu’à l’heure actuelle cette décentralisation est en réalité plus économique que politique. Elle cherche surtout à amener les communautés à se prendre en charge. Décentralisation contrôlée ? Pour Pierre Rwanyindo Ruzirabwoba, « il faut plutôt parler d’une centralisation orientée, encadrée. C’est-à-dire qu’il s’agit d’encadrer la mise en application de la décentralisation ».
Le Rwanda a-t-il trouvé sa voie en pratiquant une démocratie « apaisée » ? Pour le moment, la classe politique qui participe à cette expérience reconnaît volontiers que « la démocratie à l’occidentale n’est pas adaptée à la situation du pays parce qu’elle est porteuse de conflits et de divisions ».

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