James Bond à Kigali
Une démocratie à part
Ancien journaliste au New York Times, l’Américain Stephen Kinzer vient de publier la première biographie de l’homme qui incarne la renaissance du Rwanda : Paul Kagamé*. Une biographie autorisée que d’aucuns – ceux aux yeux de qui le président rwandais demeure l’archétype du mal pour avoir éradiqué un régime génocidaire – trouveront sans doute complaisante, mais dont les pages recèlent quelques clés essentielles afin de mieux comprendre ce chef d’État à part.
L’enfance et la jeunesse de Kagamé sont ainsi racontées pour la première fois avec minutie. On y apprend comment le très jeune Paul et sa famille d’aristocrates tutsis échappèrent par miracle aux massacres de novembre 1959 avant de s’exiler en Ouganda. Sa mère, contrainte aux tâches dégradantes pour survivre dans les camps. Son père, tout imprégné des privilèges de son rang, qui préféra se laisser mourir plutôt que de creuser la terre. Paul, adolescent bagarreur, en colère contre la xénophobie des Ougandais qui méprisent ces Rwandais misérables, violent avec les autres, violent avec lui-même et qui portait en lui un profond malaise, qu’il se battait pour dépasser, mais qu’il ne parvenait pas à nommer. Étudiant difficile, dévoreur des aventures de James Bond qui le fascinait, et admirateur de Che Guevara, il rêvait de devenir pilote de ligne, fut reçu à l’examen d’entrée à Kampala, puis se vit aussitôt expulsé pour cause de « mauvaise » nationalité : il était réfugié. C’est la rage au cœur qu’il se rendit à deux reprises, clandestinement, dans son Rwanda natal et jusqu’à Kigali, un Rwanda où les prémices du « Hutu power » se faisaient sentir partout et où il retournera les armes à la main, quinze années plus tard. Entre-temps, Paul Kagamé aura contribué à la chute de deux présidents ougandais – Idi Amin Dada et Milton Obote – effectué un stage militaire aux États-Unis et un autre, qu’on ne connaissait pas, à Cuba, où il apprit le renseignement et l’importance de la politique dans la lutte armée.
Pour ceux, amis ou adversaires, qui souhaitent découvrir les ressorts cachés de cet homme complexe et secret, ascétique et autoritaire, et qui a de la démocratie une conception dirigiste forgée dans les miasmes du génocide, ce livre est une aubaine. « S’il y a une chose que je n’admets pas, confie Kagamé à Kinzer, ce sont ces leaders qui prennent leur temps alors qu’ils doivent décider et agir. Ceux qui tolèrent la médiocrité et la corruption et qui ne ressentent aucune pression bien que tout soit urgent. » Puis il ajoute : « Il y a une autre chose qui me caractérise et qui fait partie de ma vie. Je pose sans arrêt des questions. Vous ne pouvez pas prononcer devant moi une phrase sans que je vous demande : pourquoi dites-vous cela ? En êtes-vous sûr ? Une autre formulation est-elle possible ? Je suis ainsi. » Pour ses collaborateurs, dont le James Bond de Kigali exige beaucoup, une telle attitude doit avoir quelque chose d’épuisant. Mais cela change, assurément, de l’autisme béat dans lequel baignent nombre des pairs de Paul Kagamé.
* A Thousand Hills (Rwanda’s rebirth and the man who dreamed it), Stephen Kinzer, Wiley Publishers, Etats-Unis, 2008, 400 pages, 25,95 dollars / 17,30 euros.
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