Kasserine fait sa révolution avec Benetton
Le spécialiste mondial du textile a lancé un partenariat avec de jeunes promoteurs tunisiens. Résultat : une quarantaine d’unités de production ont été créées au cœur de l’une des régions les plus pauvres de l’arrière-pays. Et avec elles, des milliers d’emplois.
Le défi jeune
De quoi rêve une jeune fille de 22 ans, pauvre et sans emploi comme ses frères et sœurs, quand elle habite dans le monde rural et qu’elle s’ennuie à mourir dans la région de Kasserine, chef-lieu de l’une des régions enclavées et pauvres du centre-ouest de la Tunisie ? De Benetton, le mythe de la mode dont les magasins tiennent le haut du pavé dans les rues commerçantes de Paris, Londres ou New York. Pas pour s’habiller en Benetton. Ce n’est pas à sa portée. Elle rêve plus simplement d’être embauchée par les ateliers de confection qui sous-traitent pour le compte de l’enseigne internationale.
Une aubaine dans une région de 423 000 habitants où le taux de chômage est, selon les statistiques officielles, de 26 %. Sans tenir compte de ceux, très nombreux, qui ont « émigré » vers les centres industriels du pays pour y chercher un emploi. Il n’y a pas longtemps encore, l’activité économique de cette zone enclavée se limitait à l’agriculture, à des activités extractives de marbre et de pierre, à une cimenterie, sans oublier le complexe cellulosique créé en 1963, qui transforme l’alfa – dont la région est riche – en pâte à papier et emploie un millier de personnes.
Un pari risqué mais gagné
L’arrivée de Benetton a révolutionné l’emploi dans la région. Le groupe était déjà présent à Monastir, sur le littoral nord-est, depuis 1995. Sa décision, il y a deux ans, de créer une plate-forme à Kasserine est venue à la suite d’un accord conclu avec les autorités tunisiennes. Cet accord s’inscrit dans le cadre de la politique gouvernementale qui offre des avantages supplémentaires à toute entreprise, nationale ou étrangère, choisissant de s’implanter dans une région défavorisée pour y créer des emplois.
Là où aucun investisseur étranger n’aurait pris le risque de placer le moindre euro, le groupe italien a lancé une expérience d’essaimage originale : à tout jeune promoteur qui s’installerait dans la région de Kasserine, il assure des commandes qui donneront du travail tout au long de l’année à ses employés ainsi qu’une régularité dans les règlements et les recettes qui permettra de payer les salaires en temps et en heure. La seule condition est que le jeune entrepreneur soit un technicien de la confection ou un gestionnaire – qui, dans ce cas, doit être obligatoirement assisté par un technicien qualifié.
Benetton a ainsi incité de jeunes promoteurs établis dans le textile du côté de Sousse et de Monastir (sur le littoral est), à tenter l’aventure. Deux ans après, le résultat a dépassé les espérances. L’objectif de départ, qui était de permettre l’établissement de 10 sous-traitants, a été multiplié par quatre. À 10 km du centre-ville de Kasserine, en pleine campagne, au pied du Djebel Chaambi (point culminant de la Tunisie, 1 544 m), une zone industrielle en devenir abrite la plate-forme Benetton Manufacturing Tunisia. « Nous avons jusque-là une quarantaine d’unités de sous-traitants qui travaillent pour nous dans la région, explique Biagio Milazzo, directeur de la plate-forme. Elles produisent environ un million de pièces finies par mois (maille et jeans) qu’elles nous livrent. »
Sans tradition dans la confection, la région de Kasserine est en passe de devenir un complexe textile. « En dehors d’un petit atelier qui occupait 8 personnes et qui n’existe plus, il n’y avait aucune entreprise travaillant dans le secteur, souligne Hajira Bouhlel, la représentante régionale de l’Agence de promotion des investissements (API). À la fin de 2007, on comptait plus de 1 400 personnes employées dans le textile. Et la tendance est à la hausse, avec l’entrée en production de projets en cours de création ou d’extension. »
De l’or dans les mains des jeunes filles
Le succès de Benetton à Kasserine est une expérience riche d’au moins deux leçons, qui devraient faire boule de neige. La première est qu’il apporte la preuve que les investisseurs étrangers n’hésitent plus à s’installer dans les zones enclavées de l’intérieur et qu’ils peuvent y trouver des avantages encore plus importants que ceux qu’ils avaient dans les régions du littoral. La deuxième est qu’il est faux de penser que, parce qu’on s’installe dans une région rurale, on va forcément manquer de personnel qualifié. Il est vrai qu’il n’y en avait pas beaucoup à Kasserine avant l’arrivée de Benetton et que, jusqu’à présent, les jeunes filles qui sortaient du centre de formation (ouvert depuis 1994) restaient pour la plupart au chômage.
« Il a fallu d’abord aller rechercher les filles de la région qui avaient “émigré” pour travailler dans le Sahel, sur la côte est du pays, point de concentration de l’industrie de confection, explique Hajira Bouhlel. On profite de l’expérience qu’elles y ont acquise, et, surtout, elles ont pu enfin trouver du travail chez elles, près de leurs familles. »
Et puis les nouveaux patrons se sont mis à former des jeunes filles à la couture, au repassage ou au contrôle. Ahmed Hmida, 30 ans, promoteur de la société Katex est l’un des « pionniers » de l’aventure. Venu du Sahel, où il travaillait dans le textile, il s’est s’installé à Kasserine dès 2006. « Nous avions des craintes au début, confie-t-il. Les jeunes femmes que nous avons recrutées n’avaient jamais occupé d’emploi et sortaient de l’école. Nous les avons formées dans notre local, pendant quatre à cinq mois, sous la conduite d’un formateur que nous avions fait venir. Les résultats sont meilleurs que ce que nous attendions et la productivité est maintenant en hausse. »
Heddi Dachraoui, une jeune fille rurale pauvre, a fait des prodiges qui lui ont valu un « prix présidentiel ». Un père chômeur, une mère au foyer, un frère handicapé et une sœur contrainte d’émigrer dans une région urbaine du littoral à la recherche d’un travail… pour cette jeune fille qui était au chômage depuis qu’elle avait quitté l’école primaire, avoir un revenu était une question vitale pour nourrir la famille. « Je l’ai engagée comme apprentie, raconte Nejia Khlifi, promotrice de la société Foutex, qui fait de la sous-traitance pour Benetton dans le village de Foussana. Des dons exceptionnels lui ont permis de tout apprendre sur sa machine à coudre. Et c’est elle qui assure désormais la maintenance et répare toutes les machines à coudre de l’unité. »
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