Réformes en terrain sensible
Nouvelle organisation des cycles du primaire au supérieur, création de filières, révision des programmes… La transformation du système éducatif est en marche.
Le défi jeune
Tarek ne comprend pas ce qu’il lui arrive. Cet étudiant de 24 ans est depuis plus d’un an à la recherche d’un emploi. Titulaire d’une maîtrise Entrepreneuriat et gestion des projets obtenue à l’Institut des hautes études commerciales (IHEC), il a frappé à toutes les portes, y compris celle des journalistes. Mais aucune entreprise n’a daigné le recevoir pour un entretien d’embauche. Pourtant, il pense avoir choisi la « bonne filière » en optant pour un diplôme en adéquation parfaite avec les besoins du marché de l’emploi. « Tout au long de mon cursus universitaire, j’ai acquis des connaissances solides dans le domaine de l’économie et de la gestion », explique-t-il désabusé. Il a étudié le marketing, les techniques de négociation, l’anglais des affaires… Il a effectué des stages pratiques ici et là… Mais rien n’y fait. Quand il s’agit de mettre la main à la poche, les patrons se défilent. Tarek les accuse pêle-mêle de « régionalisme » et de « favoritisme ». Les entreprises, pense-t-il, ne recrutent que dans leur entourage proche, parmi les membres de la famille ou les amis bien placés. « Celui qui n’a pas de piston ou n’a pas d’argent pour corrompre les recruteurs n’a aucune chance. Il doit attendre la grâce du bon Dieu », lâche-t-il.
Égalité des chances et boom universitaire
Cette histoire n’est pas singulière. Tarek, comme des milliers d’autres diplômés du supérieur, est victime de la politique « quantitative », qui a succédé à la politique « sélective » des années 1960 et 1970.
L’État avait décidé, à bon escient, à la fin des années 1980, de mettre fin aux divers « barrages » qui bloquaient le passage d’un cycle à un autre. Le budget de l’État étant restreint, l’accès aux études secondaires et supérieures était, en effet, limité à la source : d’abord à l’examen de sixième, indispensable pour entrer dans le secondaire, ensuite à celui du baccalauréat, pour accéder à l’université. Seuls les meilleurs élèves issus des familles pauvres pouvaient avoir une bourse afin de poursuivre leurs études supérieures. Alors que les élèves issus de milieux aisés pouvaient choisir les filières qu’ils voulaient.
Ce système doublement sélectif produisait beaucoup de « déchets » : abandons dès l’école primaire, redoublements multiples dans le secondaire. Les nombreuses réformes engagées à l’époque pour réduire le taux d’échec scolaire, notamment celle de l’arabisation, n’ont pas amélioré les choses, au contraire. Les jeunes parlaient moins bien les deux langues en usage dans le pays, l’arabe et le français. Pire, ils les mélangeaient dans un mauvais dialecte franco-arabe qui se ressent, actuellement, dans la qualité du courrier ou des rapports administratifs. À tel point que des cadres supérieurs doivent aujourd’hui suivre des cours de perfectionnement en langue française.
Les années 1990 ont été marquées par une explosion de l’offre scolaire et universitaire. Le nombre d’élèves dans le primaire et le secondaire est passé de 1,7 millions à 2,4 millions entre 1987 et 2000. Il est maintenant retombé à 2,1 millions en raison de la baisse de la natalité. Celui des étudiants est passé de 44 000 en 1987 à un peu plus de 370 000 cette année.
Au total, la Tunisie compte près de 7 500 établissements primaires et secondaires et 235 établissements supérieurs (répartis dans 47 villes) : 179 rattachés aux 13 universités publiques, 32 universités privées et 24 instituts supérieurs technologiques.
Des filières revues et corrigées
Avec l’institution du contrôle continu, la suppression de l’examen de sixième, la création de nouvelles filières (notamment les technologies de l’information et de la communication, TIC), la révision des programmes et des horaires, la dernière réforme (mise en œuvre progressivement entre 2002 et 2007) a pour objectif l’instauration de la « société du savoir », l’école de demain étant censée former des « têtes bien faites ».
L’enseignement de base a été divisé en deux cycles, un cycle primaire, d’une durée de six ans (où l’on entre à l’âge de 6 ans) et un nouveau cycle intermédiaire de trois ans (le collège). L’examen de neuvième (passage du collège au lycée) n’est plus aussi traumatisant que celui de sixième (du primaire au collège), mais il est déjà déterminant dans l’orientation future de l’élève. En effet, au cours de ce nouveau cycle, l’élève choisit, selon ses aptitudes, la filière classique (le bac général avec toutes ses options) ou la filière technique (bac pro ou brevet professionnel). L’entrée au lycée est donc plus aisée. Elle se passe à l’âge de 15 ans, au lieu de 12 ans. D’une durée plus courte qu’avant (quatre ans au lieu de sept), le lycée offre quatre filières : littéraire, scientifique, technologique et économique. Une fois le bac en poche, les futurs étudiants ont l’embarras du choix entre quelque 1 000 filières. Néanmoins, ces dix dernières années, plus de 10 000 bacheliers ont choisi de poursuivre leurs études à l’étranger (Angleterre, Roumanie, France, États-Unis) pour devenir médecins, chirurgiens-dentistes, experts financiers ou ingénieurs. C’est un véritable casse-tête pour les parents, qui déboursent entre 5 000 et 15 000 euros par an par enfant et se battent ensuite pour obtenir l’équivalence de leurs diplômes en Tunisie…
Un grand défi : la pertinence des formations
Au moment où il fête le 50e anniversaire de la création de l’université tunisienne (1958-2008), le système éducatif est appelé à relever plusieurs défis.
D’abord, celui de l’argent. L’État, qui consacre déjà 1,8 milliard d’euros par an à l’éducation dans son ensemble (21 % de son budget), mais aussi les parents, qui trouvent que les études leur coûtent déjà trop cher, tous sont appelés à payer davantage dans les années à venir.
Ensuite, celui de la qualité et de l’adaptation des formations. Le nombre des élèves dans le primaire et le secondaire va baisser (à un peu moins de 2 millions en 2011), mais celui des étudiants va s’accroître, pour frôler les 500 000. Il va falloir leur offrir des choix mieux adaptés à leur profil (sachant, par exemple, qu’il y a plus de filles que de garçons), et aux besoins futurs du marché de l’emploi en Tunisie et à l’étranger, notamment dans les pays du Golfe, qui attirent aujourd’hui beaucoup de jeunes. Le nombre de diplômés du supérieur, qui a déjà doublé au cours des six dernières années, ira crescendo, pour atteindre les 95 000 à l’issue de l’année universitaire 2012, contre 64 000 en 2008… et seulement 5 000 en 1988.
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