À quoi rêvent les jeunes Tunisiens ?

Éducation, musique, mode, médias, religion… Tournée vers le monde arabe autant que vers l’Europe, plus ouverte et plus réceptive aux influences extérieures que les autres, la jeunesse tunisienne est vraiment une jeunesse à part dans la région.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Le défi jeune
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Le défi jeune

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Conséquence d’une transition démographique entamée dès le début des années 1960, la Tunisie présente une structure par âge de sa population similaire à celle des pays développés. Les jeunes, c’est-à-dire les 15-30 ans, représentent près du tiers de sa population. Éduqués – tous sont passés par les bancs de l’école et, de plus en plus, par ceux de l’université (voir pp. 69-70) -, en phase avec leur époque, accros au portable, à Internet et à la télévision, ouverts aux influences culturelles du monde arabe et de l’Occident, très majoritairement célibataires, ils sont aussi… d’indécrottables pantouflards ! Car tous ceux qui en ont la possibilité vivent encore chez leurs parents ou, à défaut, chez un parent. « C’est à la fois plus économique et plus rassurant, estime Nébil, en dernière année d’architecture à Sidi Bou Saïd.
Contrairement à ce qui se fait en Europe, où les jeunes quittent dès qu’ils le peuvent le domicile familial pour prendre leur appartement ou leur chambre d’étudiant, ici, la sortie du “cocon” est beaucoup plus graduelle. Les parents ne demandent pas de comptes, mais aiment garder un œil sur ce qu’on fait. En vérité, on est surprotégés. Pour les garçons et, a fortiori, pour les filles, c’est finalement toujours le mariage qui est synonyme de départ définitif de la maison. »

Retour aux vertus du cocon familial

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Oui, mais voilà, les Tunisiens se marient de plus en plus tard. L’âge moyen ne cesse de reculer et a maintenant dépassé la barre des 30 ans. Un célibat davantage subi que choisi. Et que n’explique que partiellement l’allongement de la durée des études. « Du temps de nos grands-parents, l’affaire était réglée à 18 ans, voire avant, sourit Sélima, la trentaine, thésarde en économie et “encore sur le marché”. Aujourd’hui, c’est devenu très compliqué. Les mœurs ont changé. Les filles ont heureusement leur mot à dire, et celles qui, comme moi, ont poussé leurs études un peu loin auront peut-être inconsciemment tendance à faire la fine bouche. On ne se marie pas sur un coup de tête. » Pour beaucoup de jeunes cependant, la quête du mariage vire à l’obsession. Il faut avoir une situation avant de penser à convoler : une voiture, une maison et un travail ou, à défaut, la perspective d’un emploi stable. Or l’emploi stable, par les temps qui courent, s’assimile à une denrée rare. De mieux en mieux formés, les jeunes sont, paradoxalement, de plus en plus exposés au fléau du chômage. Celui-ci touche environ 14 % de la population, mais 27,4 % des jeunes. L’insertion professionnelle des diplômés du supérieur est problématique. La faute à des cursus pas toujours en adéquation avec les besoins de l’économie, et à une dynamique de création d’entreprise insuffisante.
L’emploi est donc la principale préoccupation des jeunes, car il conditionne tout le reste (voir pp. 73-74). Et l’oisiveté et son succédané, les petits boulots, sont particulièrement difficiles à vivre dans une société devenue hypermatérialiste et consumériste.
« Ici, il n’y a pas de secret, pour bien vivre, il faut de l’argent, il faut “flamber”, note avec amertume Farid, 31 ans, titulaire d’une maîtrise de droit et à la recherche d’un emploi depuis plusieurs années. Je n’aime pas trop les cafés, alors je reste à la maison et je tue le temps en lisant ou en regardant la télévision. Je n’ai plus les moyens de sortir, et Borj Cedria, où j’habite [à 25 km au sud-est de Tunis, NDLR], est trop loin des endroits qui bougent, tous situés au centre-ville ou dans les quartiers résidentiels d’El-Menzah ou d’Ennasr, où l’ambiance est d’ailleurs très artificielle, très surfaite… »

Génération désenchantée

Farid s’ennuie donc ferme. C’est la conséquence de l’autre paradoxe de la Tunisie moderne : le fossé entre riches et pauvres s’est creusé à mesure que s’élevait le niveau de vie. Et les jeunes sont les premiers à en faire les frais. Les salons de thé, qui pullulent dans le quartier d’Ennasr, ont connu un succès foudroyant, mais sont presque exclusivement fréquentés par la jeunesse aisée. Le prix des boissons, compris entre 2 et 5 dinars (1,10 et 2,80 euros), dissuade plus d’un client. Quant aux pubs alcoolisés de la banlieue nord ou de Hammamet, et leurs boîtes de nuit comme le Calypso, toujours furieusement en vogue, ils sont réservés à une jet-set de plus en plus dépensière et arrogante. L’offre de loisirs culturels étant ce qu’elle est, c’est-à-dire très largement déficitaire ou inadaptée (seuls 2 % des jeunes avouent fréquenter occasionnellement les maisons de la culture, qui leur sont dédiées), les plus pauvres se rabattent, faute de mieux, sur les cafés populaires, « réservés » au seul public masculin… Et sur la télévision ! C’est le divertissement préféré. La moitié des jeunes Tunisiens reconnaissent la regarder trois heures par jour, et un quart d’entre eux avouent passer cinq heures par jour à zapper entre les centaines de chaînes disponibles par la magie de la parabole…
Contrairement aux générations qui les ont devancés, notamment celles des années qui ont suivi l’indépendance, plus romantiques et patriotes, les jeunes Tunisiens d’aujourd’hui sont d’abord soucieux de leurs études et de leur réussite. Conscients que leur épanouissement personnel passe d’abord par l’enrichissement matériel, ils peuvent paraître terriblement conformistes. Ce n’est pas tout à fait faux. Invités, en 2004, par les enquêteurs du bureau d’études Sigma conseil à donner les mots caractérisant le mieux leur génération (étude inédite), 34,7 % des sondés ont cité le consumérisme et 24,3 % le matérialisme, loin devant le sens des responsabilités (13 %) et la révolte (11 %). Interrogés sur les valeurs qu’ils considéraient comme les plus précieuses, 43,7 % citaient la famille, 16,7 % la religion, 9,7 % la santé, 8,3 % l’argent. Seulement 1,1 % d’entre eux évoquaient l’épanouissement intellectuel et 0,7 % le travail. La liberté, avec zéro réponse, semble, elle, être passée par pertes et profits…

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