Abdelkader Amara, ministre de l’Industrie : « Le Maroc n’est pas une destination low-cost »
Dans le cadre d’une enquête sur l’économie marocaine parue dans l’édition papier de « Jeune Afrique », retrouvez ici une interview d’Abdelkader Amara, ministre marocain de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies.
Quel est le bilan du Plan émergence qui vise à augmenter la part de l’industrie dans l’économie du royaume ?
Notre pays poursuit une stratégie concertée pour faire passer le Maroc de pays sous-industrialisé à pays en voie d’industrialisation. Depuis le gouvernement Jettou (2002-2007, NDLR), les différents plans sectoriels ont permis de jeter les bases de l’intégration de l’économie marocaine dans les chaînes de valeur mondiale. Dans le domaine de l’industrie, nous avons déjà réussi l’implantation d’entreprises leaders dans leurs domaines, notamment dans des secteurs de pointe comme l’aéronautique (Safran puis Bombardier) et l’automobile (Renault). L’actuel gouvernement poursuit donc cette stratégie de long terme. Il faudra du temps, car les pays industriels au nord de la Méditerranée ont entamé leur évolution depuis longtemps. Je note avec satisfaction qu’en 2012 l’industrie a été en tête en termes d’investissements étrangers, avec plus de 8 milliards de dirhams. Jusque-là, l’immobilier et le tourisme attiraient le plus de capitaux.
Dans le domaine de l’industrie, nous avons déjà réussi l’implantation d’entreprises leaders dans leurs domaines, notamment dans des secteurs de pointe comme l’aéronautique et l’automobile.
Quels sont les secteurs industriels les plus porteurs ?
En 2005, nous avions identifié six « Métiers Mondiaux du Maroc » (MMM) avec un fort potentiel de croissance. Il s’agit de l’offshoring, l’aéronautique, l’automobile, l’électronique, l’agroalimentaire, le textile et le cuir. Leurs performances sont contrastées, avec une progression très satisfaisante dans certains secteurs et des difficultés pour d’autres. Globalement, les engagements pris ont porté leurs fruits, surtout dans les métiers d’avenir qui affichent des taux de croissance élevés : notamment l’automobile (+22% par an) et l’aéronautique (+15% par an). Le secteur du textile, lui, a connu une légère baisse en 2012, et sur le cuir, en particulier, nous sommes en train de mettre en place des mesures d’accompagnement. Nous n’avons pas atteint le point critique, mais la situation est difficile. Je dois reconnaître que les industries électronique et agroalimentaire n’ont pas déployé tout leur potentiel.
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Pourquoi avoir décidé d’ajouter trois nouveaux métiers mondiaux du Maroc ?
Dans le cadre des 3èmes Assises de l’industrie (organisées le 20 février dernier à Tanger, NDLR), nous avons décidé d’élargir la liste des MMM. Il s’agit du secteur de la chimie-parachimie, dont je rappelle qu’il a un siècle d’existence au Maroc et qui compte, avec OCP, un leader au niveau mondial ; et du secteur de la pharmacie, où notre pays compte des opérateurs solides, avec des exportations en force croissante notamment vers le Moyen-Orient et l’Afrique. De même, nous voulons soutenir la métallurgie/mécanique, dans le cadre d’un contrat-programme pour les dix prochaines années.
Certains industriels de l’offshoring s’inquiètent de voir le Maroc enfermé dans l’image d’une destination low cost. Que leur répondez-vous ?
L’offshoring est le secteur qui cristallise le plus d’intérêt médiatique. C’est normal, compte tenu des polémiques autour des délocalisations. Le Maroc n’est pas une destination low-cost, quand on constate, par exemple, le degré d’intégration atteint dans le secteur de l’automobile. Nous évoluons vers un modèle industriel équilibré, qui devrait s’acheminer vers la mise en œuvre du concept de la colocalisation.
En temps de crise, le repli protectionniste relève quasiment de l’ordre du réflexe, un mauvais réflexe.
Faut-il craindre des mesures protectionnistes affectant l’industrie marocaine ?
En temps de crise, le repli protectionniste relève quasiment de l’ordre du réflexe, un mauvais réflexe. L’enjeu actuel est de mieux partager les transferts de compétence et d’étoffer la chaîne de valeur entre entreprises marocaines et étrangères. Quand on me dit délocalisation, je réponds colocalisation, un concept que nous sommes d’ailleurs en train de détailler avec mes homologues français Mme Nicole Bricq (ministre du Commerce extérieur, NDLR) et M. Arnaud Montebourg (ministre du Redressement productif, NDLR). Nous avons déjà eu l’occasion de l’annoncer lors de la visite du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en décembre dernier, et nous poursuivons aujourd’hui cette discussion. Dernier point pour ce qui concerne l’offshoring, certaines de nos entreprises du secteur sont actuellement en train de s’implanter à l’étranger, comme cela a été le cas récemment en France.
Toujours, dans le secteur de l’offshoring, où en sont les plus récentes plateformes industrielles de Fès Shore et Tétouan Shore ?
Il y a eu beaucoup de retards dans l’amorçage de ces zones. Je crois que la conjoncture actuelle doit nous inviter à prendre le temps de la réflexion. Oui, certaines plateformes industrielles sont aujourd’hui en suspens, en attendant que les entreprises intéressées précisent leurs projets. Cela ne peut être que bénéfique, dans un secteur qui s’est développé bien avant le premier Plan émergence. Ce sera peut-être l’occasion de proposer de nouvelles offres, de nouvelles langues, de nouveaux prospects.
Peut-on parler d’une pause, actuellement, dans l’offshoring ?
En quelque sorte oui.
Après Renault, les négociations en cours pour implanter un deuxième constructeur automobile ont-elles abouti ?
Avec l’implantation de Renault à Tanger, nous avons réussi à mettre le Maroc sur la carte mondiale de l’industrie automobile.
Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous menons actuellement des discussions prometteuses, mais je tiens à dire que les entreprises dont les noms circulent par voie de presse ne sont pas nécessairement celles qui sont les plus avancées. Avec l’implantation de Renault à Tanger, nous avons réussi à mettre le Maroc sur la carte mondiale de l’industrie automobile. Tanger se positionne comme un second pôle industriel puissant, après Casablanca.
Vous chapeautez également l’administration du commerce extérieur. Où en sont les procédures ouvertes par des entreprises marocaines contre la concurrence déloyale d’entreprises espagnoles et portugaises ?
En tant que pays à économie ouverte, le Maroc profite des avantages de la mondialisation, mais il pâtit parfois de ses effets néfastes. Aujourd’hui, la crise n’aidant pas, certaines entreprises recourent à des moyens déloyaux, comme le dumping ou l’importation massive. Si on veut sanctionner ces pratiques, il faut que les entreprises augmentent leurs moyens juridiques et de veille concurrentielle. L’administration est là pour aider les patrons à suivre la procédure qui relève de nos engagements internationaux. Nous attendons les résultats des enquêtes actuellement en cours.
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