L’Afrique évitera-t-elle la récession ?

Le continent résiste au choc financier. Le crédit sera plus cher et plus rare, mais la croissance devrait se maintenir autour de 5 % en 2009.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 8 minutes.

Crise financière: Pourquoi l’Afrique est menacée
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Crise financière: Pourquoi l’Afrique est menacée

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La finance mondiale est devenue un champ de mines. Depuis le 15 septembre et la chute de la maison Lehman Brothers, les gouvernements tentent d’étouffer l’incendie qui a embrasé de vénérables banques américaines et européennes et qui s’est propagé aux places boursières. L’édifice mondial est ébranlé. Et l’Afrique ? Sera-t-elle frappée ? Avec quelle ampleur ? Pour quels dégâts ? Pour l’instant, le continent le plus fragile, qui a encaissé, coup sur coup, une crise énergétique, puis alimentaire, fait face. Il n’échappera pas pour autant à l’effet dévastateur des crises financière et économique qui agitent la planète. « En Afrique, l’orthodoxie des régulateurs, la transparence et la relative simplicité des produits financiers ainsi que la régulation du marché des changes ont isolé en grande partie le continent de l’effondrement de la liquidité et de la confiance. L’Afrique tire bien son épingle du jeu. C’est la seule source efficace de diversification du risque actuelle. Une dépression mondiale profonde et durable fera mal à l’Afrique, bien entendu, mais ce n’est pas le scénario le plus probable », assure Yassine Benjelloun, managing director de Medicapital à Londres (groupe BMCE). État des lieux.

L’Afrique est-elle déconnectée de l’économie mondiale ?

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Forcément non. « Nous vivons aujourd’hui dans une économie globale. Même si les pays africains sont moins exposés que les États-Unis ou l’Europe, ils ne seront pas épargnés. Chaque fois que l’Europe perd 1 point de croissance, celle de l’Afrique recule de 0,3 point », confirme Abdoulaye Bio-Tchané, le président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Les perspectives du FMI, attendues courant octobre, seront donc scrutées à la loupe. L’institution devrait revoir à la baisse, entre 1 et 2 points, les perspectives de croissance du PIB du continent cette année, arrêtées depuis avril à 6,3 % en 2008 et 6,4 % en 2009. « Même si 2009 sera très certainement moins bonne que 2008, l’Afrique pourra atteindre une croissance de 4 % à 5 % au lieu de 6 % à 7 % ces dernières années », anticipe Inge Lambrechts, chargée de l’Afrique au cabinet d’assurance-crédit belge Ducroire. Bien loin du 1,3 % prévu pour les pays de l’OCDE en 2009 !
Acteur minuscule, avec 3 % du commerce mondial, l’Afrique a transformé son handicap en atout. « L’enclavement, qui fait sa faiblesse, lui a assuré une certaine immunité », résume Luc Rigouzzo, directeur général de Proparco (Promotion et participation pour la coopération économique). Autre atout : le continent commence à générer sa propre croissance. « Jusqu’à présent, un ralentissement de l’économie mondiale en entraînait un encore plus important des économies africaines, très dépendantes des matières premières. Or nous avons constaté que la croissance était aussi alimentée par la consommation intérieure. Si elle est suffisante et que l’inflation faiblit, la croissance africaine sera alimentée », considère Razia Khan, responsable de la recherche Afrique à Standard Chartered.

Les banques africaines seront-elles affectées ?

« Si les banques devaient faire faillite en Afrique, cela ne sera pas lié à la crise actuelle, mais plutôt parce qu’elles sont mal gérées », lance Paul Derreumaux, le PDG de BOA Group. Le géant sud-africain Old Mutual a perdu 135 millions de dollars dans la nationalisation des américains Freddie Mac et Fannie Mae. Une exception pour l’instant car les banques africaines sont peu tournées vers l’international et disposent de peu d’actifs à l’étranger. « Elles ne sont pas concernées par la crise des crédits et des subprimes. Hors Afrique du Sud, elles n’interviennent pas sur ces marchés », observe Stewart Culverhouse, économiste en chef pour Exotix Ltd, un cabinet spécialisé dans les marchés émergents. Avec seulement 10 % de son marché bancaire ouvert au privé, l’Algérie se sent à l’abri. « Dans les pays africains où le privé dépasse 30 % du marché, on peut quand même se demander si les maisons mères des établissements étrangers parviendront à contenir la crise », glisse Abderrahmane Benkhalfa, délégué général de l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (Abef). Si un départ pur et simple des filiales et des succursales des banques occidentales présentes en Afrique et touchées par la crise financière (Société générale, BNP Paribas…) est irréaliste, elles mettront un bémol à l’essor de leur réseau commercial et réduiront fortement les lignes de crédits de leurs filiales. « Cela risque d‘entraîner une accélération de la redistribution des liens des banques africaines vers les banques du Moyen-Orient ou d’Asie. Elles peuvent apporter des sources de substitution aux fonds qui, auparavant, venaient d’Europe. Elles sont intéressées et font déjà des offres depuis plusieurs années », remarque Paul Derreumaux. C’est aussi l’opportunité pour les banques africaines d’occuper le terrain laissé libre et pousser à l’africanisation du système bancaire.

Le robinet du crédit se fermera-t-il ?

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Sans y échapper totalement, les banques africaines seront relativement épargnées par la crise des liquidités. « Il y a très peu de prêts ou d’opérations interbancaires entre les systèmes africains et européens. Le risque d’une contagion de la crise du crédit est donc limité : il est faible pour les banques marocaines ou tunisiennes, extrêmement faible pour celles d’Afrique subsaharienne, notamment de la zone franc », insiste Éric Paget-Blanc, directeur senior et spécialiste de l’Afrique chez Fitch Ratings. Les établissements d’Afrique subsaharienne, qui sont surtout des banques de dépôts, sont principalement tournés vers leur marché domestique. En revanche, les banques marocaines et tunisiennes, plus internationalisées, éprouveront davantage de difficultés à trouver des financements à court terme sur le marché interbancaire. Le ralentissement économique africain pourrait aussi avoir des conséquences directes sur les banques africaines : « Depuis deux à trois ans, elles se développent très rapidement sur leurs marchés domestiques [crédit à la consommation, banques de détail…] », relève Stewart Culverhouse. Mais difficile d’imaginer le bon scénario. Le crédit pourrait être plus cher de 1 % à 2 %.

Les Bourses vont-elles résister ?

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Maroc, Côte d’Ivoire, Nigeria, Kenya… Portées par des croissances explosives de 200 % entre 2005 et 2007, les places boursières du continent piquent du nez depuis deux mois. Le 16 septembre, la Bourse de Casa a même connu une journée noire, avec la chute de 3,49 % de l’indice Masi. « On ne s’attendait pas à une telle violence. L’ampleur de la correction n’était pas justifiée. Elle a coïncidé avec la crise internationale. On a assisté à une contamination psychologique. Les investisseurs marocains ont pris peur », explique Youssef Benkirane, le président de BMCE Bourse et de l’Association professionnelle des sociétés de Bourse (APSB).
Si les Bourses africaines ont flanché, elles ne se sont pas effondrées. « Tout dépend de leur degré de dépendance au marché international. Les titres des grands groupes et de leurs filiales africaines ainsi que toutes les entreprises liées au négoce international des matières premières sont les plus exposés », explique Abdoulaye Bio-Tchané. Les places anglophones (Afrique du Sud, Nigeria et Kenya) sont les plus menacées. Leur repli s’explique par le reflux de capitaux américains qui ont liquidé des positions pour se renflouer. « Cela aura un effet bénéfique : celui de remettre les pendules à l’heure sur certaines valeurs, notamment au Nigeria, dont la capitalisation était largement surévaluée », se réjouit un banquier d’Afrique de l’Ouest. Mais là non plus, pas de krach en vue. « Les valorisations restent attractives. Seulement, la demande émanant des investisseurs étrangers sera plus faible. Déjà, cette année, on voit beaucoup moins d’investissements, notamment financiers », relève Neil Harvey, CEO Afrique de Renaissance Capital.

Vers une baisse du prix des matières premières ?

C’est avec le pétrole, le gaz et les matières premières, qu’elles exportent ou importent, que les économies africaines sont le plus vulnérables. « Jusqu’en 2009, les prix des matières premières connaîtront des baisses modérées puis se stabiliseront à un niveau assez haut », anticipe Inge Lambrechts. Après des sommets à plus de 140 dollars, le baril de pétrole devrait ainsi se stabiliser entre 80 et 100 dollars. Si la baisse du billet vert, annoncée par la plupart des experts, se confirme dans les mois à venir et s’ajoute à une baisse de la demande en Europe et en Asie, les très nombreux pays africains (Niger, Guinée-Conakry, RD Congo, Congo-Brazzaville…) qui tirent leur croissance et leurs revenus de l’exploitation minière et pétrolière risquent d’accuser le coup. « Si la crise sort de son périmètre financier, elle générera de l’incertitude qui se traduira par une volatilité du prix des matières premières, laquelle sera préjudiciable aux pays africains exportateurs. Pour l’Algérie, avec le pétrole, il n’y aura pas de pertes de revenus mais un manque à gagner », indique Abderrahmane Benkhalfa.
Tendance identique pour les denrées alimentaires (céréales, riz…). Après la flambée du début d’année, en raison de stocks bas et de terres détournées pour les biocarburants, les prix retrouvent un peu de modération grâce à la rumeur de bonnes récoltes attendues, notamment de riz en Asie, et l’arrêt de restrictions aux exportations de grains et de riz par certains pays (Thaïlande, Vietnam, Ukraine, Kazakhstan…). Mais tout peut basculer très vite. De mauvaises conditions climatiques et la hausse des prix, source d’inflation importée, suivra.

Les investisseurs internationaux tourneront-ils le dos à l’Afrique ?

« Les 700 milliards de dollars du plan Paulson (le secrétaire d’État américain au Trésor) ne représenteront pas que l’épargne des Américains, c’est aussi une partie de l’épargne mondiale et autant d’argent qui ne sera pas disponible pour les marchés, les investissements et l’aide publique », explique Abdoulaye Bio-Tchané. Selon lui, les points de croissance perdus dans les pays européens et les États-Unis contraignent à des restrictions budgétaires qui pourraient toucher l’APD (Aide publique au développement). « Seuls les grands groupes africains souffriront lorsqu’ils feront appel à des financements à l’international. Pour les autres entreprises, le marché de la dette locale suffira à leur appétit de développement », relève Yassine Benjelloun. Mais si le marché du crédit est sous tension, celui du capital-investissement (fonds propres) se porte bien. « Il y a toujours autant de fonds d’investissement qui s’intéressent à l’Afrique, convaincus que le continent connaîtra une croissance durable portée par le marché intérieur. Il y a ainsi entre 2 milliards et 3 milliards d’euros disponibles en fonds propres. Soit 10 milliards de projets à financer », lance Luc Rigouzzo. La filiale d’investissement de l’Agence française de développement réalisera sa meilleure année en 2008 avec un volume d’engagement de 800 millions d’euros, contre 500 millions en 2007. « Face à la raréfaction et au renchérissement du crédit, les agences de développement comme nous auront un rôle essentiel à jouer dans les dix-huit mois », souligne Luc Rigouzzo.

Les industries exportatrices seront-elles freinées ?

« Nous n’avons pas de baisse dans notre carnet de commandes », précise Kamel Aït Adjedjou, le PDG de Rizzo Pack, un fabricant algérien d’emballages de luxe qui exporte en Europe. Les industriels africains veillent au moindre signe de défaillance de leur principal marché. « Des pays comme le Maroc et la Tunisie ont des flux d’exportation tournés vers l’Europe. Si une récession économique s’y déclenche, il y aura un ralentissement de leurs exportations dans les produits manufacturés et dans le textile. Il y aura également une réduction des flux de touristes », détaille Éric Paget-Blanc. Dans le tourisme, les programmes validés seront menés à terme. Mais si une baisse de fréquentation frappe le Maroc et la Tunisie dans les prochains mois, les investisseurs gèleront leurs projets. Quant à l’évolution du flux des IDE (Investissements directs à l’étranger) vers l’Afrique, des signes d’inquiétude se lèvent. Dans le zinc, l’aluminium et le nickel, les coûts de production sont désormais supérieurs au cours de la matière. Des projets industriels (Sonatrach, Cevital en Algérie) dans l’aluminium pourraient être revus à la baisse ou reportés.

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