la Francophonie se met à la page

La XIIe conférence des chefs d’État et de gouvernement s’est tenue à Québec du 17 au 19 octobre. Une grand-messe modernisée, avec une organisation et un rythme revus et corrigés par ses hôtes canadiens et québécois.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Québec accueille la Francophonie
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Québec accueille la Francophonie

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Jean Charest, le Premier ministre québécois, cohôte du XIIe sommet de la Francophonie avec le Premier ministre canadien Stephen Harper*, espérait clore en apothéose cette année 2008, qui fut rythmée par les festivités du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain (géographe du roi Henri IV et explorateur de la Nouvelle-France).
Las ! Il devra composer avec les humeurs et les agendas des uns et des autres. À commencer par ceux de Stephen Harper. Le Premier ministre conservateur du Canada, également cohôte de la manifestation, a en effet joué un bien mauvais tour à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et au sommet de Québec en convoquant les électeurs canadiens à des législatives anticipées le 14 octobre. Soit trois jours avant l’ouverture du sommet.
Harper veut mettre à profit l’affaiblissement des libéraux du peu charismatique Stéphane Dion afin de remporter une majorité des sièges aux Communes. Qu’il y parvienne ou non, c’est en tout cas un chef de gouvernement démissionnaire, accaparé par les tractations internes, qui accueillera les chefs d’État et de gouvernement attendus dans la seule ville fortifiée d’Amérique du Nord.

Sarkozy dans le grand bain francophone

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Quant à Nicolas Sarkozy, il n’aime pas les corvées protocolaires. Aussi a-t-il décidé d’abréger sa participation à la grand-messe diplomatique de Québec et ne devrait rester qu’une nuit au Canada, celle du 17 au 18 octobre. Il quittera donc le sommet un jour avant sa clôture. En juillet dernier, il avait tout bonnement annulé la visite d’État qui devait précéder le sommet du G8 organisé sur l’île d’Hokkaido, à la stupéfaction des Japonais et de leur Premier ministre, Yasuo Fukuda. Alors même que la France et le pays du Soleil-Levant célèbrent cette année le 150e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques… Mais les Québécois, comme les Japonais, sont des gens bien élevés et ne devraient pas officiellement s’offusquer de cette façon de « filer à l’anglaise ». Quoi qu’il en soit, le sommet de Québec revêt politiquement une importance particulière, car ce sera le baptême du feu francophone de Nicolas ­Sarkozy. Et il devrait fournir de précieuses indications sur la ligne de conduite à venir du président français à l’égard de l’OIF.
Sur le papier, la France n’est qu’un membre parmi les 55 que compte l’organisation. Mais un membre « plus égal que les autres ». Or le chef de l’État français, a priori, ne possède pas la même appétence que ses prédécesseurs pour la question francophone. Et il a envoyé des signaux assez contradictoires à l’OIF. Abdou Diouf, secrétaire général de l’organisation, avait eu un vif échange avec lui en mai 2006, du temps où Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, qualifiant de « moralement inacceptable » le projet de loi sur l’immigration choisie. Depuis, les rapports entre les deux hommes se sont nettement réchauffés.
Un autre épisode, début 2008, a fait naître de sérieuses craintes sur la sincérité de l’engagement francophone du chef de l’État français : la tentative avortée de « nationalisation rampante » de la chaîne multilatérale francophone TV5, menée par la ­France dans le cadre de la réforme de son audiovisuel extérieur. « Aujourd’hui, la crise est derrière nous, tempère un haut cadre de la Francophonie. Et qui sait si, finalement, elle n’aura pas des vertus. En politique, ce qui importe, ce sont les faits. La France a amendé son projet pour TV5. Mais, surtout, Nicolas Sarkozy s’est montré au côté d’Abdou Diouf, le 20 mars, pour la Journée internationale de la Francophonie. Et il a assuré que celle-ci resterait une priorité de la diplomatie française. Mieux, il a profité de la révision du 21 juillet pour que l’appartenance de la République à l’ensemble francophone ait désormais valeur constitutionnelle. Franchement, que demander de plus ? »

Une rencontre dépoussiérée

Le format du sommet de Québec s’annonce bien différent de celui des précédentes éditions. « Stephen Harper, Jean Charest et Abdou Diouf souhaitaient moderniser cette manifestation, explique Wilfrid-Guy Licari, délégué général du Québec à Paris et sherpa du Premier ministre Charest. Le rythme d’une rencontre tous les deux ans a permis de politiser l’OIF et de lui faire franchir un cap. Il faut continuer à insuffler ce renouveau. »
Trois innovations sont à retenir. L’ordre du jour, tout d’abord. Il sera étoffé, et comportera quatre thèmes au lieu d’un seul : la langue française dans le monde, les questions politiques (qui engloberont les volets de la paix, des droits de l’homme, de la démocratie, de l’État de droit), la gouvernance économique (incluant la sécurité alimentaire) et l’environnement. Ce dernier thème tenait particulièrement à cœur à Jean Charest, qui fut ministre fédéral de l’Environnement du gouvernement de Brian Mulroney en 1992, au moment de la signature par le Canada de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (l’ancêtre du protocole de Kyoto). Son inscription à l’ordre du jour a d’ailleurs provoqué des frictions avec Ottawa : Stephen Harper, le Premier ministre fédéral, originaire de l’Alberta – province riche en schistes bitumineux dont l’exploitation est particulièrement polluante -, était en effet beaucoup plus réservé que Charest sur la nécessité d’inclure ce thème dans le programme (voir p. 82).
La deuxième innovation portera sur le déroulement même du sommet. Les débats politiques et économiques se feront à huis clos. But recherché : que les chefs d’État s’écartent des textes préparés par leurs conseillers, se parlent et se sentent engagés par ce qu’ils diront. Pour exemple, la séance consacrée à l’environnement se fera à travers quatre tables rondes, afin de stimuler les débats et de ­permettre davantage de franchise dans les échanges. Enfin, c’est le troisième et dernier changement majeur de cette douzième édition, la déclaration finale sera plus courte et plus rythmée. Son texte ne devrait pas excéder 5 ou 6 pages – et au maximum 80 articles -, contre 15 à 20 habituellement. Car qui trop embrasse mal étreint…

Crise ou retour en force ?

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Le sommet ne manquera pas non plus de se pencher sur la délicate question des missions assignées à l’organisation. Et sur celle de leur financement. Conçue à l’origine comme une sorte de pendant francophone au Commonwealth, l’OIF a vu, au fil des années, ses objectifs et ses domaines d’intervention s’élargir. Elle a pris une coloration nettement politique en s’investissant dans l’accompagnement du processus démocratique en République centrafricaine, en Mauritanie (après le coup d’État d’Ely Ould Mohamed Vall, en 2005), aux Comores, au Togo ou en Haïti.
Quant à la défense et au rayonnement de la Francophonie, l’organisation a bataillé avec succès pour la reconnaissance de la notion de diversité culturelle dans les enceintes internationales. Elle a mis en route des dizaines de programmes de soutien à la langue française, à ses enseignants et aux artistes. Elle a popularisé le concept des autoroutes de l’information en français et s’est fortement impliquée dans la mise en réseau des universités pour donner corps à la notion de solidarité francophone. Enfin, depuis le sommet de Rio, l’OIF s’est aussi engagée dans la lutte contre les changements climatiques et a notamment développé Mediaterre, la plus grande base de données en langue française sur l’environnement.
Le problème est que les moyens qui lui sont accordés, eux, n’ont pas augmenté en conséquence. Et ce alors que le nombre de ses membres (55 actuellement) a plus que doublé depuis sa création, en 1986. « Avec 80 millions d’euros de dotation budgétaire, le compte n’y est pas tout à fait. En euros constants, notre budget a diminué de 20 % en quinze ans, déplore un haut responsable de l’organisation. Nous avons réussi à baisser de 15 % les frais de fonctionnement, qui ne représentent plus que 30 % à 35 % de l’enveloppe totale. Un chiffre qui inclut les dépenses de diplomatie préventive, qui devraient d’ailleurs être imputées dans les dépenses de programmes. » Aussi, à moins que ses membres ne consentent à un effort significatif, l’OIF devra se résoudre à abandonner certaines des missions qui lui ont été assignées… pour gagner en efficacité.
« Le multilatéral est en crise, poursuit notre interlocuteur, et le constat ne se limite pas à la Francophonie : l’Unesco et l’ONU en savent quelque chose. Notre chance, cependant, c’est que le combat que nous menons depuis les années 1970 est en train de devenir moderne. Il paraissait terriblement ringard, passait pour une lubie de diplomates grammairiens. Mais, avec le retour en force des identités, la défense et la promotion de la diversité culturelle font maintenant l’objet d’un large consensus international. Or c’est exactement le message porté par l’OIF… »

* Le Canada, qui assume la présidence du sommet, et le Québec sont les deux gouvernements hôtes. Celui du Nouveau-Brunswick leur est associé en tant que coorganisateur.

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