La crise… Quelle crise ?
La plupart des indicateurs économiques du pays affichent une résistance qui tranche avec la conjoncture mondiale. À commencer par le boom des investissements directs étrangers. Une tendance durable ?
Comment résister à la crise
C’est parti. Sur les berges du Lac sud de Tunis, et pendant que le monde parle d’un ralentissement de l’économie mondiale à la suite de la crise financière internationale, une noria d’engins de construction s’active, dans un vrombissement assourdissant, à faire sortir de terre les infrastructures de la ville nouvelle de la Porte de la Méditerranée. Lancé par la société internationale de promotion immobilière et d’investissement Sama Dubai, appartenant à des princes du Golfe, ce projet intégré a pour but de faire de Tunis un centre de services international. Initialement estimé à 14 milliards de dollars, l’investissement vient d’être porté à 25 milliards de dollars, après que les autorités tunisiennes eurent approuvé, en septembre, le plan d’aménagement. La réalisation des quatorze tranches du projet s’étalant sur vingt-cinq ans, cela donne un investissement moyen d’un milliard de dollars par an… Et ce seul projet de Sama Dubai a représenté 50 % des investissements directs étrangers (IDE) de 2007.
Pendant ce temps, d’autres grands et moyens projets d’investissements étrangers sont en cours de réalisation, ou dans les tuyaux, à travers le pays : une cité nouvelle, Tunis Sports City (Groupe Abukhater), dans la banlieue nord de Tunis ; une centrale électrique tuniso-italienne d’une puissance de 1 200 MW, pour un coût estimé à 2 milliards d’euros, dont une large partie de la production sera transportée par câble sous-marin vers l’Italie. Huit parmi les plus grands opérateurs maritimes mondiaux sont en compétition pour remporter la concession pour le financement, la construction et l’exploitation d’un port en eau profonde à Enfidha (voir p. 79). À l’intérieur du pays, de grands câbliers internationaux ont déjà établi des unités entrées en production cette année, et d’autres les ont suivis avec des projets d’installation, notamment à l’ouest (voir p. 73), où la main-d’œuvre est plus disponible qu’ailleurs.
Une meilleure intégration
Autant de réalisations et d’implantations qui sont un véritable plus pour des IDE déjà en plein boom. « La croissance des investissements directs étrangers, constate Noureddine Zekri, directeur général de l’investissement étranger au ministère du Développement et de la Coopération internationale, a dépassé les objectifs fixés par le XIe Plan de développement (2007-2011). » Celui-ci tablait en effet sur une amélioration des IDE qui représenteraient l’équivalent de 3,3 % du PIB en 2011, contre une moyenne de 2,4 % par an durant le Xe Plan. Or, comme le confirme Noureddine Zekri, les IDE ont dépassé cet objectif en 2007 en atteignant 4,8 % du PIB. Mieux encore : pour 2008, cette part devrait représenter 5,5 % du PIB, puisque pendant les neuf premiers mois de cette année le montant des IDE est de 38 % supérieur à celui enregistré sur la même période en 2007.
Les raisons du succès
La recette de cette « croissance soutenable » ? Elle réside tout d’abord dans les atouts de la Tunisie. À savoir la proximité géographique de l’Europe et la qualité de vie, les infrastructures, l’amélioration de l’environnement des affaires (y compris les encouragements accordés dans le cadre du statut offshore), la disponibilité de la main-d’œuvre spécialisée et d’une pépinière de cadres, l’accélération des réformes qui ont répondu aux attentes précises des investisseurs. Sans oublier la stabilité politique. En outre, le pays se trouve de plus en plus intégré à l’économie mondiale, avec un taux d’ouverture (mesurant la part des exportations et des importations dans le PIB) de 97,8 % en 2007, alors qu’il n’était que de 74,1 % en 1995.
« À cela, il faut ajouter un facteur essentiel, qui joue un rôle multiplicateur, souligne Noureddine Zekri : le fait que quelque 3 000 entreprises étrangères sont déjà implantées en Tunisie et que leur satisfaction est attestée par les extensions auxquelles elles procèdent. Un investisseur étranger à la recherche d’un site dans le monde se dit, à juste titre, que si son concurrent est allé en Tunisie, c’est ce sentier battu qu’il faut suivre. » Et, ici, il ne s’agit pas seulement d’attirer les entreprises étrangères. Tout est mis en œuvre pour qu’elles y restent et développent leurs activités. Ainsi, l’investisseur étranger continue à bénéficier de l’écoute des responsables tunisiens, qui coopèrent par ailleurs étroitement avec les chambres de commerce mixtes. « Chaque année, les principales d’entre elles, notamment celles de France et d’Allemagne, font leurs propres enquêtes sur le degré de satisfaction de leurs adhérents, ajoute Noureddine Zekri. Et nous nous basons sur leurs remarques pour prendre les mesures nécessaires à l’amélioration de leurs opérations. »
Autant d’ingrédients qui expliquent la place remarquée de la Tunisie, depuis plusieurs années, dans le classement annuel de la compétitivité établi par le Forum économique mondial (WEF, qui organise le Forum de Davos). Le dernier, publié en octobre, la place au 36e rang sur 134 au niveau mondial (devançant une vingtaine de pays membres de l’Union européenne) et salue sa position d’économie la plus compétitive du continent africain, devant l’Afrique du Sud (45e).
Vers plus de valeur ajoutée
Ambitieuse, la Tunisie veut aller plus loin, avec pour objectif d’atteindre les performances des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Nous travaillons à rendre notre site encore plus compétitif, poursuit Noureddine Zekri. C’est le sens des mesures prises récemment par le gouvernement, qui tiennent compte des meilleures pratiques pour répondre aux attentes des investisseurs notamment en matière de procédures et de transparence, comme la promulgation d’un code des douanes, la loi sur l’initiative économique ou encore la loi sur les concessions. »
Rien que dans le secteur industriel, la Tunisie compte environ 5 700 entreprises, dont plus de la moitié ont été créées à l’initiative d’investisseurs étrangers. Elles opèrent essentiellement dans trois grands secteurs : le textile-habillement, l’agroalimentaire, et les industries mécaniques, électriques et électroniques (IMEE).
En 2007, les IMEE sont devenues le premier secteur manufacturier exportateur, supplantant celui du textile et de l’habillement. Et faisant de la Tunisie une base de production internationale pour les composants automobiles et aéronautiques. Les exportations du secteur ont ainsi totalisé plus de 5,26 milliards de dinars (2,97 milliards d’euros), soit une progression de 30,9 %, contre 23,9 % un an auparavant. Elles représentent 27,1 % du total des exportations de biens, tandis que celles du textile-habillement ont dépassé les 5,18 milliards de dinars. Quant aux investissements dans le secteur des IMEE, ils ont atteint 485 millions de dinars en 2007 (contre 347 millions en 2006), avec un bond très remarqué des industries électriques et électroniques, qui ont totalisé 148,6 millions de dinars d’IDE, soit une croissance de 59 % par rapport à 2006.
Le point négatif reste que, historiquement, les investissements directs étrangers se concentraient surtout dans des activités à faible valeur ajoutée et grandes consommatrices d’une main-d’œuvre réputée peu chère. Cette tendance tend cependant à s’estomper, en particulier avec la montée en puissance des industries électriques et électroniques.
Aujourd’hui, ainsi que le rappelle le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, la Tunisie se doit de poursuivre ses efforts de polarisation de l’investissement extérieur et de son orientation vers les secteurs et activités à haute valeur ajoutée. Ce, non seulement dans les nouveaux secteurs, mais aussi dans des secteurs plus traditionnels comme le textile, avec le passage de la sous-traitance à la cotraitance ainsi qu’aux produits haut de gamme.
Cette politique se traduit par l’effort engagé pour développer les activités liées au secteur des technologies de l’information et de la communication, notamment dans les technopoles qui leur sont dédiées. Elle se traduit aussi par l’émergence d’un parc industriel d’activités aéronautiques (voir p. 76), qui est en train de prendre forme avec la présence du constructeur français Latécoère depuis une dizaine d’années et la récente décision d’Airbus de créer une filiale industrielle pour les composants aéronautiques.
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