Jours tranquilles au Palais du bord de mer
Ici plus qu’ailleurs, tous les chemins mènent à la présidence. Décideurs politiques de la sous-région, porteurs de projets et investisseurs étrangers s’y succèdent. Avec quels résultats ?
Le temps des résolutions
Un matin ordinaire au Palais du bord de mer. Le ballet des visiteurs a commencé de bonne heure à la présidence gabonaise. Les parkings sont encombrés de rutilants 4×4 d’où sortent des hommes et des femmes, d’ici et d’ailleurs. À voir leur mise, il semble que l’on n’ait pas affaire à de vulgaires commis. Parmi eux, on reconnaît les habitués, à leur pas tranquille et mesuré ainsi qu’à leur aplomb dans l’immense salle d’attente du rez-de-chaussée.
Il y flotte une atmosphère de ruche. Certains sont ici comme chez eux, en ce lieu dont on dit qu’il est l’un des derniers bastions de la Françafrique. Pour d’autres, en attendant l’heure du rendez-vous, les regards s’évitent. Sommes-nous entre gens de bonne compagnie ? Rien n’est moins sûr. Car la gazette du palais raconte bien des histoires de prédateurs et autres escrocs mis en appétit par l’afflux des pétrodollars qui débordent des caisses de l’État.
Ces deux derniers mois, on y a vu passer le chef de la police camerounaise, Edgar Alain Mebe Ngo’o, en quête du soutien du « doyen » des chefs d’État d’Afrique pour l’obtention du poste de vice-président pour l’Afrique à Interpol (finalement échu au Marocain Mustapha Mouzouni). Avant lui, on y a vu défiler les frères ennemis du conflit centrafricain, invités à une médiation autour de cet arbre à palabres fortifié. Et ce matin, dans les attachés-cases des investisseurs attirés par une prospérité retrouvée grâce au pétrole cher, on devine des projets. Comme celui de ces responsables de la Lebanese Canadian Bank qui ont présenté, le 24 septembre, au président Omar Bongo Ondimba (OBO), un projet de banque d’affaires à capitaux libanais, chinois et canadiens, qu’ils ont l’intention d’implanter au Gabon. Avec pour objectif de « promouvoir des investissements privés dans les secteurs des routes et du logement social ». Ça tombe bien. L’attractivité que le pays exerce sur les travailleurs étrangers et l’inflation endémique au sein de la Communauté des États d’Afrique centrale (Cemac) ont fait flamber les prix des loyers, accentuant la crise du logement.
La grande école du parti
Entre deux rendez-vous avec des étrangers de passage, le maître de céans trouve le temps de recevoir des notables locaux. Un sexagénaire, dont le projet est de ranimer le Centre d’études politiques du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), compte accrocher le président-fondateur dudit parti pour lui en parler. Dans l’ascenseur qui le conduit vers le cabinet du chef de l’État, il fulmine contre « les jeunes loups du parti, qui ne pensent plus qu’aux postes et à l’argent et n’ont pas de formation politique ». Pour le vieux militant, c’est le bon moment : le mouvement présidentiel vient de tenir son 9e congrès ordinaire, du 19 au 21 septembre, au cours duquel OBO s’est efforcé de contenir les « ambitions démesurées » d’héritiers rivaux, qui s’épient dans la perspective de sa succession.
Depuis quarante ans à la tête du Gabon, le fondateur du PDG, se livrant à une singulière partie d’échecs, a ainsi fait élire le ministre de l’Agriculture, Faustin Boukoubi, au secrétariat général du parti. Occasionnant du même coup un remaniement ministériel qui a vu régresser, pour des motifs impénétrables, le tout-puissant ministre de l’Économie et des Finances, Paul Toungui, désormais chargé du portefeuille, moins clinquant, des Affaires étrangères. La lutte pour le pouvoir mobilise les individus, les générations, et attise les rivalités au sein même de la famille présidentielle. Au-dessus de ces luttes intestines dans lesquelles « appellistes », rénovateurs et caciques se tiennent en respect, le président se pose en seul maître du jeu. Et en garant de l’unité nationale. Selon le vieux « pédégiste », dans ce contexte de transition générationnelle, aider le président, c’est aussi former l’impétueuse jeunesse gabonaise, qui piaffe d’impatience en attendant son heure pour accéder aux affaires ou, tout simplement, un emploi pour survivre.
Il est vrai que le taux de chômage est encore élevé au Gabon (21 %). Si la bonne tenue des cours du pétrole, pendant un an, a favorisé le rétablissement des grands équilibres budgétaires, ses effets tardent à améliorer le quotidien des ménages dans les quartiers ?pauvres.
Gouvernement « de missions »… accomplies ?
Pourtant, le Conseil des ministres réuni le 18 septembre a fait passer le budget 2008 de 1 798 milliards à 2 648 milliards de F CFA (2,74 milliards à 4 milliards d’euros), soit une hausse de 850 millions par rapport à la loi de finances initiale. Des « ateliers de validation du plan d’action de la bonne gouvernance » se succèdent, sans donner plus d’efficacité à la politique sociale du gouvernement. La mise en place de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) se révèle plus difficile que prévu. Et le processus de décentralisation reste à approfondir, alors que l’environnement des affaires a besoin de réformes pour s’améliorer. En attendant, derrière le front de mer cossu de Libreville survit une population qui réclame des emplois, des soins hospitaliers à bas coûts et des routes pour relier les principales capitales provinciales entre elles, en toutes saisons.
Une partie des espoirs du pays pour satisfaire ces attentes repose sur le projet d’exploitation du gisement de fer de Belinga (voir p. 76), attribué par l’accord final du 24 mai dernier au consortium chinois Comibel (Compagnie minière de Belinga). Il devrait fournir plus de 26 800 emplois directs durant les travaux de construction des infrastructures minières, énergétiques, ferroviaires et portuaires, et 4 000 lors de l’exploitation proprement dite du gisement.
En août dernier, les responsables de Sinohydro et de la China National Machinery and Equipment Import and Export Corporation (CMEC) avaient promis au chef de l’État gabonais, en escale à Hong Kong après l’ouverture des jeux Olympiques de Pékin, que les travaux démarreraient dès 2009. Le 23 octobre, selon les usages consacrés, Xue Jinwei, l’ambassadeur de Chine au Gabon, ainsi que les responsables des entreprises concernées sont allés au Palais pour rendre compte de l’état d’avancement des études et travaux. Mais, aussi, pour assurer aux autorités que la crise financière internationale ne va pas contrarier le projet, quelle que soit la tenue des cours du fer sur les marchés. L’autre certitude est que les investisseurs chinois ne seront pas les derniers à miser sur ce pays, qui reste un îlot de stabilité dans la sous-région en dépit des incertitudes liées à la succession au sommet de l’État, dont tout le monde parle.
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Le temps des résolutions
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