Politique de « bon voisinage »
Diplomatie, économie, culture… Le pays ne ménage pas ses efforts pour tirer les bénéfices d’une position privilégiée sur les bords de la Méditerranée. En particulier dans ses relations avec l’Europe.
Cap sur l’europe
Plaidoyer pour la relance de l’Union du Maghreb arabe (UMA), implication totale dans le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) chère au président Sarkozy, et, tout dernièrement, le 13 octobre, signature d’un accord consacrant son statut avancé auprès de l’Union européenne (UE)…
Si le Maroc est bien installé sur la rive sud, en Afrique, ce n’est pas lui faire injure de prétendre que ses responsables lorgnent davantage le modèle de développement de leurs voisins du nord que les économies subsahariennes.
« Ce statut représente une étape supplémentaire dans une relation déjà très ancienne avec l’Union européenne… », se réjouit Taïeb Fassi Fihri, le chef de la diplomatie. L’accord prévoit la tenue de sommets réguliers entre le pays et l’Union européenne, le renforcement du dialogue politique, la coopération en matière de sécurité et de justice, la participation aux opérations européennes de gestion de crise… Sur le plan économique, le Maroc est appelé à intégrer progressivement « un espace économique commun » s’inspirant des règles de libre-échange en vigueur dans les pays membres de l’Union…
Le royaume s’y préparait déjà puisqu’il bénéficiait d’un accord d’association favorisant le commerce avec les pays de l’UE. Les échanges entre les deux ensembles ont d’ailleurs enregistré une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 9 % durant les six dernières années, pour s’établir à 19,3 milliards d’euros en 2007. Les exportations du royaume vers la communauté ont progressé de 6,4 % durant la même période, tandis que ses importations augmentaient de 11,5 %, entraînant un déficit commercial de 4,2 milliards d’euros l’an dernier contre 1,08 milliard en 2001.
Toutefois, ce manque à gagner est largement contrebalancé par la progression des recettes touristiques (4,6 milliards d’euros pour 7,4 millions de touristes en 2007) et des transferts des MRE, les Marocains résidant à l’étranger (4 milliards d’euros par an), deux sources de revenus qui proviennent pour l’essentiel de la rive nord. Sans compter que l’UE promet d’accroître son aide au pays afin d’accélérer la mise en œuvre de ce « statut avancé », sachant qu’il est d’ores et déjà le premier bénéficiaire des fonds européens à travers l’Instrument européen pour la politique de voisinage (IEPV), avec un montant de 654 millions d’euros pour la période 2007-2010. En échange, Rabat adhère totalement à l’UPM, que le président français était venu présenter à Tanger en octobre 2007.
Et comme les relations avec le voisin espagnol sont également au beau fixe, on ressort de vieux serpents de mer, à commencer par le tunnel sous le détroit de Gibraltar, là où Hercule faisait le grand écart… Un ouvrage qui consacrerait la politique de bon voisinage de l’Europe et permettrait de réaffirmer les origines méditerranéennes du royaume face à la montée de l’identité arabo-musulmane.
N’est-ce pas pourtant un leurre destiné à asseoir la suprématie du Vieux Continent ? Pour l’écrivain et journaliste Driss Ksikes, « l’Europe est aujourd’hui une citadelle, dont les murs en barbelés assiègent, au nord du Maroc, Sebta et Melilia. L’Europe est le fruit interdit du pauvre. Ce dernier s’efforce de le cueillir, mais il perd souvent la vie avant d’atteindre les branches de l’arbre désiré. » Au-delà de la dénonciation des corps des clandestins sacrifiés sur l’autel du détroit, l’ancien rédacteur en chef de Tel Quel dénonce l’hypocrisie politique européenne en matière d’immigration. Dans les années 1950 et 1960, les grandes entreprises comme Renault sont venues recruter de la main-d’œuvre bon marché dans le Souss pour reconstruire l’économie des nations détruites par la Seconde Guerre mondiale.
Plus récemment, les immigrants marocains et subsahariens ont fait le bonheur du tourisme, de l’industrie et de l’immobilier espagnols, dont l’essor a été dopé par les capitaux européens. Mais, aujourd’hui, la Commission de Bruxelles a hissé les barbelés de Schengen et préfère délocaliser les usines des pays membres au sud pour gagner en compétitivité. En revanche, elle cherche toujours à attirer les cerveaux du sud dans les domaines de la finance, des hautes technologies ou de la recherche. Sans grande difficulté puisque la progéniture des élites du pays y est préparée. « La petite bourgeoisie met ses enfants dans les écoles de la Mission [française, espagnole] pour leur assurer plus tard un visa garanti… Et quitter le pays à terme », explique Pierre Vermeren dans École, élite et pouvoir au Maghreb. Un bémol toutefois. De plus en plus, les autorités cherchent à rapatrier leur diaspora et à l’impliquer dans l’édification du « Maroc moderne ». Le gouvernement a également lancé la réalisation de cinq centres culturels marocains, à Paris, Bruxelles, Montréal, Barcelone et Tripoli, pour que les sujets du royaume ne perdent pas leur « marocanité », un concept très large qui englobe les racines méditerranéennes, berbères et arabes.
Pour Driss Ksikes, le Maroc paye encore le règne d’« Hassan II, qui, dans un élan de séduction de l’Union européenne et de démagogie vis-à-vis des siens, inventa, le 3 mars 1986, une identité marocaine verticale pour soutenir son désir d’adhésion à l’Europe ». Le souverain chérifien affirmait, ce jour-là : « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe. » Un arbre qui serait particulièrement prisé par les responsables, les journalistes, les intellectuels désireux de vendre le partenariat maroco-européen, le miracle économique des pays occidentaux…
D’aucuns lisent aussi dans la politique européenne l’une des raisons de l’échec du panarabisme… Et force est de constater que le Maroc ne parvient pas à bâtir une réelle coopération avec ses voisins de la rive sud. « La construction d’un Maghreb arabe intégré et stable est également un élément fondamental de notre politique étrangère au même titre que la dynamisation des mécanismes de solidarité et de coopération Sud-Sud avec les pays arabes, islamiques et africains frères », indique pourtant le chef de la diplomatie marocaine. Depuis plusieurs mois, Rabat tend la main à Alger en vue de la réouverture de la frontière et du développement du partenariat économique. Il lorgne les réserves gazières de son voisin pour combler son déficit énergétique, ainsi que les marchés publics, l’État algérien disposant d’une manne de pétrodollars. Mais les discussions entre les deux frères ennemis continuent de buter sur le règlement du contentieux saharien…
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