Adama Ly : « Le cancer va littéralement exploser en Afrique »
Chercheur à l’Inserm, à Paris, le cancérologue sénégalais a mis ses compétences au service de l’Afrique. Son sacerdoce : faire connaître la maladie, étudier ses causes et trouver des traitements.
Cancer : la maladie silencieuse qui ronge le continent
Après un internat à l’Institut Gustave-Roussy (IGR) et à l’hôpital Paul-Brousse (université Paris-XI) de Villejuif, Adama Ly a effectué un postdoctorat au Sidney Kimmel Cancer Center, aux États-Unis. Chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), à Paris, depuis 2002, il a créé l’association Afrocancer en 2005 et codirigé avec le Pr David Khayat un ouvrage collectif de référence : Le Cancer en Afrique, de l’épidémiologie aux applications et perspectives de la recherche biomédicale (éd. INCa, 2007). À 47 ans, son nouveau défi est l’ouverture en 2013 à Touba, au Sénégal, du Centre de prévention et de recherche sur le cancer (Ceprec), première infrastructure du genre en Afrique de l’Ouest.
Jeune Afrique : Comment expliquer la progression des cas de cancer en Afrique ?
Adama Ly : Cela tient à la croissance démographique, au vieillissement de la population et à des facteurs comportementaux comme le tabagisme, la consommation d’alcool et une mauvaise alimentation. Les cancers liés à des facteurs environnementaux, dont la pollution urbaine, et à des infections bactériennes ou virales sont également très importants, un quart des cas de cancer en Afrique découlant d’une infection chronique.
Y observe-t-on un profil épidémiologique particulier ?
L’origine infectieuse, justement, est très marquée, avec notamment les virus des hépatites B et C et les papillomavirus, qui peuvent respectivement entraîner des cancers du foie et du col de l’utérus. Certains cancers sont également associés au sida, le plus connu étant le sarcome de Kaposi. Autre spécificité continentale : l’origine parasitaire. La bilharziose peut être à l’origine d’un cancer de la vessie ; quant au paludisme, il est responsable du lymphome de Burkitt, qui touche en particulier les enfants. On remarque en outre que les hommes africains développent davantage de cancers de la prostate que la moyenne, ce qui a probablement une double explication, hormonale et génétique.
Comment la maladie va-t-elle évoluer à moyen terme ?
Le nombre de cas va littéralement exploser en Afrique. Selon l’OMS [Organisation mondiale de la santé, NDLR], en 2030, les chiffres de la maladie seront en très forte augmentation sur le continent, tant en termes d’incidence, avec 1,6 million de nouveaux cas de cancer contre 681000 en 2008, qu’en termes de mortalité, avec plus de 1 million de décès contre 512 000 en 2008. Le déséquilibre Nord-Sud est flagrant : alors que le taux de mortalité tend à diminuer dans les pays développés, il augmente dans les pays du Sud, où sont enregistrés 63 % des décès et 56 % des nouveaux cas de cancer aujourd’hui. Et ces pays paieront un tribut encore plus lourd en 2030, avec 70 % des décès et 60 % des nouveaux cas.
Y a-t-il une prise de conscience sur le continent ?
On ne parle pas beaucoup des maladies non transmissibles, car elles sont bien moins visibles que les pathologies de masse comme le paludisme et ont un impact économique moindre, notamment au niveau touristique. Même si l’OMS alerte régulièrement l’opinion, chiffres à l’appui, et que quelques associations commencent à tirer la sonnette d’alarme, sur le terrain, rien ne bouge. L’association Afrocancer travaille à mutualiser les travaux scientifiques, et l’ouvrage collectif Le Cancer en Afrique a contribué à lui donner plus de visibilité. Depuis, nous avons fait des émules dans certains pays au niveau associatif et auprès des sociologues. Mais il manque toujours les financements.
Par où commencer pour améliorer la situation ?
Il faut miser en priorité sur la prévention de masse, en particulier pour les cancers du foie et du col de l’utérus puisque des vaccins existent. L’OMS doit aussi faire en sorte que ces traitements soient rapidement disponibles et accessibles, en termes de coûts, dans les pays du Sud. C’est le nerf de la guerre.
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Propos recueillis par Fanny Rey
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