France : Bariza Khiari, le Sénat et le « péril vert »
La nouvelle vice-présidente du Sénat français veut offrir à ses concitoyens un « modèle positif d’identification individuelle ». Dans une France minée par les débats sur la religion, Bariza Khiari assume pleinement ses origines algériennes et sa pratique de l’islam soufi. Portrait.
« Je suis arrivée nourrisson en France. Mes origines algériennes n’ont aucune incidence sur mon parcours politique. Je n’en parle jamais. » C’est ainsi, presque en chuchotant, que Bariza Khiari, les jambes croisées dans un tailleur mauve, introduit ses origines. La sévérité de l’expression tranche avec la voix calme, presque satinée, et le visage chaleureux. À 65 ans, la nouvelle vice-présidente socialiste du Sénat français, née à Ksar Sbahi, près de Constantine, mesure sans doute le poids de toute déclaration sur ses liens avec l’Algérie et l’islam. Pourtant, l’affirmation étonne venant d’une femme qui dit aujourd’hui assumer totalement ses racines. Et à bien y regarder, tout semble l’y lier.
Son engagement politique, en premier lieu, n’est pas dû au hasard. « Mes parents ont été des militants de la décolonisation. Ils ont tous deux fait de la prison en France », dit-elle. C’est d’ailleurs leur dévouement en faveur de la cause algérienne qui l’a poussée à faire de l’antiracisme son premier cheval de bataille, au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), à la fin des années 1970. Un engagement pour lequel Bariza Khiari a très tôt montré un souci de l’efficacité, exigeant de ses actions une portée concrète. Ainsi, lorsqu’elle participe à la création du journal Différences, c’est « parce qu’il ne suffit pas de dire que l’on n’est pas raciste, encore faut-il avoir les outils pour expliquer ce que c’est que le racisme ». Et quand elle prend conscience des limites de son militantisme – « Tout ça c’est bien, mais on ne transforme pas » –, elle décide de s’engager en politique pour s’impliquer plus avant.
Derechef, et même si la sénatrice préfère en dire peu sur leur vie, l’exemple parental revient en toile de fond. « Eux, ils avaient une grande cause, mais moi, qu’est-ce que je pouvais faire ? » s’est-elle longtemps demandé. Son appréhension première à évoquer ses origines algériennes intrigue à nouveau. Et si cette méfiance était née lors de ses premières années en politique, dont elle semble parfois avoir du mal à se détacher ?
De fait, lorsque Bariza Khiari intègre le Sénat, en 2004, elle est la première femme issue du monde arabo-musulman à entrer dans un Parlement national. Elle qui n’a « jamais considéré que le fait d’avoir une appartenance confessionnelle pouvait jouer » voit alors la question de ses origines maghrébines et sa pratique du soufisme susciter l’attention des médias. Républicaine convaincue, elle préfère retenir de son parcours le côté « classique ». « Il n’est en rien différent de celui de mes collègues », dit-elle. Énarque (diplôme qu’elle a obtenu en formation continue), elle déclare sans fausse modestie : « J’ai excellé dans ma vie professionnelle, j’excelle de la même manière dans mes fonctions politiques. » À une carrière professionnelle bien remplie – notamment au ministère duTourisme, où elle fut déléguée régionale pour l’Île-de-France – s’ajoute un parcours syndical à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), un engagement de parent d’élèves et une carrière politique au sein du Parti socialiste (PS). Militante socialiste depuis les années 1980, elle a débuté dans le 16e arrondissement parisien, où elle a grandi et où elle a été élue conseillère d’arrondissement en 2008. Un choix au départ loin d’être évident. Elle a échoué à trois reprises, en 1995, 1997 et 2002, lors des élections législatives sur cette « terre de mission » qui lui a « donné le goût de la discussion, de la bataille politique ».
Pugnace face au « climat de défiance qui entoure l’islam en France », Bariza Khiari s’est finalement décidée à ranger ses craintes et à élever la voix. Un déclic citoyen.
Aujourd’hui, elle considère qu’il est de son devoir de se prononcer, à titre de modèle. « On ne peut pas laisser complètement la parole aux institutions représentatives des musulmans. Nos concitoyens ont besoin de modèles positifs d’identification individuelle », dit-elle. Et quand il s’agit d’évoquer le climat actuel, la vice-présidente du Sénat use de mots forts. Elle estime que, en France, l’islam est devenu le « péril vert », comme le communisme a pu représenter autrefois le « péril rouge ». Elle dénonce un « climat de défiance instrumentalisé par l’exécutif ». Mais elle ne s’autorise pas le moindre écart, pesant ses mots dès qu’il s’agit d’évoquer ses origines. « Elle veille toujours à éviter les discours revanchards, confirme SébastienTurcat, membre du groupe socialiste au Sénat. Elle ne met jamais en avant ses origines. »
Aujourd’hui, si elle affiche sans détour sa confiance en elle, Bariza Khiari vit sa nouvelle fonction comme l’aboutissement du combat pour l’égalité qu’elle mène depuis des années. « J’ai pu observer la régression des préjugés vis-à-vis de quelqu’un portant un nom comme le mien. À une époque, on disait que j’allais plomber les listes », se plaît-elle à rappeler. Tout juste installée dans un bureau aux dimensions démesurées, Bariza Khiari en observe le luxe majestueux. Les dorures et le mobilier royal ne semblent pas l’impressionner. Au mur, plusieurs tableaux anciens. Elle en remplacera bientôt un par « une calligraphie arabe »… Quand même !
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