Mauritanie : un trouble-fête nommé Chafi

En lançant un mandat d’arrêt international contre le conseiller du président burkinabè Moustapha Chafi, la justice mauritanienne a réveillé l’opposition et mis dans l’embarras plusieurs chancelleries africaines.

M. Chafi (à g.), aux côtés de l’un des otages qu’il a aidé à libérer, le 23 août 2010. © D.R

M. Chafi (à g.), aux côtés de l’un des otages qu’il a aidé à libérer, le 23 août 2010. © D.R

Publié le 19 janvier 2012 Lecture : 3 minutes.

Le ton est calme, la voix posée, le discours didactique. Accusé par la justice mauritanienne « d’appui financier au terrorisme, de coopération avec des chefs terroristes et de soutien matériel à des réseaux terroristes dans le Sahel », Moustapha Chafi ne cède pas à la colère, encore moins à la panique. La démarche est celle d’un homme décidé à laver son honneur. « Comment peut-on m’accuser de terrorisme après tout ce que j’ai fait pour obtenir la libération d’otages occidentaux ? » s’interroge le conseiller de Blaise Compaoré. Lorsqu’il a appris la nouvelle, le 28 décembre, il se trouvait d’ailleurs au Mali en compagnie du ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibril Bassolé, pour faire le point sur les questions sécuritaires.

Né en 1960 à Nouakchott de parents originaires de l’Assaba, dans le sud-est de la Mauritanie, Chafi appartient à la tribu maraboutique et commerçante des Tajakant. Au cours de son enfance, il a bourlingué dans toutes ces contrées avec son père, Limam Chafi, un grand négociant. Il apprend ainsi le tamasheq, le wolof, le bambara, le haoussa (il parle aussi l’arabe, le français et l’anglais) et acquiert une parfaite connaissance du terrain et des hommes. Entré au service de Blaise Compaoré en 1995, on le retrouve comme acteur ou médiateur dans toutes les grandes crises africaines (RDC, Côte d’Ivoire, Niger, Guinée…).

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"Aziz m’a proposé de l’argent"

S’imposant une grande discrétion dans ses initiatives continentales, il s’immisce à plusieurs reprises da les affaires intérieures mauritaniennes. Opposant déclaré, il se félicite ainsi de la chute du président Ould Taya, qui avait déjà fait émettre en 2003 un mandat d’arrêt international à son encontre pour déstabilisation. Puis il soutient le candidat devenu président, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, qui bénéficiait alors également de l’appui du général Mohamed Ould Abdelaziz, lequel le renversera le 6 août 2008 avant de se faire élire président en 2009. À l’époque, Chafi condamne fermement la junte militaire. Depuis, les relations entre les deux hommes n’ont cessé de se détériorer. Plusieurs émissaires ont tenté de les rapprocher – « Aziz m’a même proposé de l’argent et des postes », affirme Chafi –, en vain.

Au contraire, celui que la presse nationale qualifie « d’épine calcanéenne du président » ne rate pas une occasion de dénoncer la dégradation des conditions de vie de ses compatriotes, la progression de l’affairisme, un recensement « facteur de divisions » et les échecs de la politique sécuritaire. Le 22 décembre, il compare le comportement du chef de l’État à celui de son ex-homologue pakistanais Pervez Musharraf, « qui a renversé un gouvernement civil et convaincu l’Occident de sa capacité à lutter contre le terrorisme, mais il a quitté la présidence et le terrorisme a redoublé ».

"Dossier d’inculpation vide"

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« C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, explique un journaliste de Nouakchott. Aziz a réagi en militaire, de manière impulsive, en actionnant la justice. » Pour l’instant, le mandat d’arrêt ne semble pas avoir été suivi d’effet. Plusieurs États africains contactés disent ne pas avoir reçu de notification. De la Guinée au Niger en passant par la Côte d’Ivoire, où Chafi distille de précieux conseils, les chancelleries disent le soutenir en off. Ce qui est également le cas de Ouagadougou. Quand Ould Taya avait demandé sa tête en 2003, le président Blaise Compaoré avait offert à Chafi la nationalité burkinabè et officialisé leur collaboration. À Paris, le Quai d’Orsay n’a pas souhaité se prononcer, mais certains diplomates assurent que « le dossier d’inculpation est vide ».

Le 22 décembre, il compare le président Aziz à Pervez Musharraf. C’est la goutte d’eau…

De son côté, Chafi prépare sa défense. Il monte actuellement un collectif d’avocats internationaux qui va porter plainte contre le président Aziz pour diffamation devant une juridiction européenne. Sur le plan national, l’« affaire Chafi » a réveillé l’opposition, qui a fermement dénoncé la décision de la justice. Les comités de soutien s’organisent, notamment autour des organisations des droits de l’homme et des étudiants mauritaniens. Un sit-in a eu lieu le 4 janvier devant le ministère de la Justice. Enfin, les discussions intertribales battent leur plein autour de cette affaire, qui devrait faire encore couler beaucoup d’encre.

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Pascal Airault, avec Baudelaire Mieu, à Abidjan.

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