Bons baisers de Tunis

Publié le 31 août 2008 Lecture : 2 minutes.

Amis lecteurs, j’ai honte de l’avouer, mais si je continue à paresser sur les plages de Tunis, je n’aurai plus souvenir de vous ni de mes collègues qui triment à Paris, les pauvres ! Le soleil et la bonne chère de Tunisie ont eu raison de mon sens du devoir, je ne sais plus ce que le mot labeur veut dire, je ne lis plus de journaux, je ne lis plus tout court, je ne fais rien, personne ne m’y encourage d’ailleurs, la notion de chikha (« s’éclater ») est tellement prégnante ici qu’elle efface le gros de mon éducation française qui clame que « le travail c’est la santé » !
Non, monsieur, la santé, ce n’est pas le travail, c’est son contraire. Et l’ennui ? « Quand on ne s’ennuie pas, on s’ennuie », dit un dicton local. Bon, c’est vrai, il y a parfois le téléphone qui sonne, un numéro de l’étranger, devenu vraiment étranger, je réponds à contrecur, sans cela j’oublierais qu’il y a un continent qui s’appelle l’Europe, un pays où sévit un George Bush, un autre où la flamme olympique a failli faire long feu.
Mes journées tunisiennes ? Plage, poisson et papotage. Il arrive que je sois en colère, c’est vrai, mais je finis toujours par en rire. C’est au moins ça. Un pays où on rit encore, c’est un pays où l’espoir est permis. Par exemple, l’autre jour, je me suis fâchée quand ma nièce a demandé à mon voisin, avec qui je partage une petite piscine artisanale, d’évacuer les lieux, arguant que sa tante, moi – c’est déjà bien qu’elle ne m’appelle pas hadja -, fait sa prière et ne peut pas se baigner en maillot devant un homme.
J’étais offusquée. De son comportement à elle, bien sûr. J’ai dit : « De quoi tu te mêles, il faut démentir. » Elle a répondu : « T’inquiète ! C’est juste pour le faire déguerpir. »
Le lendemain, un conducteur me fonce dessus sur un passage piéton virtuel, j’ai la peur de ma vie, il me fait un grand coucou et un sourire jusqu’aux oreilles, pendant qu’un passant soupire : « Allah ghaleb ! » (approximativement : « On n’y peut rien ») et qu’un autre gratifie son copain d’une salve de mots injurieux – il paraît que s’il y avait eu un concours des grossièretés aux jeux Olympiques cette année, les Tunisiens auraient remporté la médaille d’or.
Retour chez moi, je fais un effort et me reconnecte à la France via le câble. C’est alors que je comprends pourquoi je ne peux pas en vouloir aux miens ni me reprocher d’avoir oublié la terre d’Europe : ce soir, un grand poète arabe est mort et très peu de chaînes européennes donnent l’info. C’est sans remords que je reviens à l’heure tunisienne et convoque mon assemblée de bonnes femmes pour papoter. Pourquoi voulez-vous que j’aie le souvenir d’un Occident qui a oublié l’un des miens, et des plus grands, et des mieux désignés pour nous réconcilier avec lui, Mahmoud Darwich le Palestinien ?

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